Citations sur Journal d'un amour perdu (234)
Ce qu’on peut faire de mieux pour ceux qui nous aiment, c’est encore d’être heureux.
Quand un enfant vient au monde, une mère aussi vient au monde. Chaque naissance est une double naissance.
Se méfier de deux assassins: la nostalgie, l'espoir. Ils tuent le présent
Les sentiments vont par deux, comme l’ombre et la lumière.
Il n’y a pas de sentiments célibataires, tous vivent en couple.
En ce moment, ma Tristesse cuisine son repas à ma Joie. Ma Nostalgie a invité ma Gaité à danser pour célébrer le bon vieux temps mais ma Gaité compte bien l’étourdir. La Foi et le Doute font un voyage de noces au désert. Bras dessus bras dessous, la Confiance et l’Angoisse se promènent dans la nuit étoilée ; quand l’un se tort la cheville, l’autre le soutien. L’Insouciance offre un bouquet à l’Inquiétude, et l’on prétend même que le Désespoir a demandé l’Espérance en mariage.
Notre sottise consiste à les séparer. Ne garder que l’Espoir. Supprimer la Tristesse. Mettre le Doute au cachot.
Mais sans le Doute, la Foi devient intolérante, puis violente, puis meurtrière.
Mais sans la Tristesse, la Joie se connaît si peu qu’elle s’ignore ou se délite.
Mais sans le Désespoir, l’Espoir vire à la bêtise.
Ne souhaitons pas leur divorce. Tâchons plutôt de trouver notre place au milieu de ces tensions.
Souvent, la mort s’y prend à plusieurs fois.
Cette prétentieuse vient se pavaner dans le monde sous la forme de maladie, d’affaiblissement, de décrépitude. Elle arrive à se faire souhaiter, elle l’indésirable, lorsqu’elle a rendu la vie âpre, odieuse, insupportable, lorsque, pour sa victime, les jours se confondent avec les nuits, les heures se coulent les unes dans les autres, navrantes, oiseuses, vides ; oui, lorsqu’elle a suffisamment torturé sa proie, elle apparaît une solution.
La mort qui soulage ! Quelle ironie !
De toi, je n’ai reçu que de la tendresse, de l’attention, de là considération, de l’enthousiasme. De toi, j’ai recueilli la passion d’exister, le désir d’admirer, l’ivresse d’entreprendre. De toi, je ne conserve aucun mauvais souvenir, seulement chaleur, lumière, joie. Pas moyen de déterrer un instant où ton sourire se serait fermé, où ton écoute aurait failli, où une éclipse aurait terni ta bienveillance. Impossible de me rappeler la seconde où tu m’aurais déçu. Ton amour se révélait aussi généreux qu’inusable.
Depuis toujours, ma mère élargissait mes jours aux dimensions d'un poème : je vivais deux fois, une fois pour en jouir, une fois pour le lui relater. Un coup pour moi, un coup pour elle. Les événements que je traversais sécrétaient un récit que je lui destinais, que j'essayais de clarifier, d'orner, de rehausser, guettant son œil curieux, provoquant son ébahissement, la rejoignant dans le fou rire. Certes je ne lui comptais pas tout–je gardais des secrets et nous partagions une immense pudeur–, mais je recyclais une large part de mes rencontres, de mes sentiments, de mes agacements, de mes regrets et de mes sarcasmes, dans la gazette que je lui concoctais pendant plus de cinquante ans, j'ai bénéficié de deux existences, une réelle, une narrée.
Je ne possède plus qu'une seule vie, la mienne. Adieu à la vie pour nous deux. Adieu à la vie en un mot.
p.15
Le bonheur n’est pas un enfant, mais un veuf. Parce qu’il a vécu, désiré, aimé, joui, pleuré, gagné, échoué, regretté, espéré, désespéré, le bonheur sait le prix des personnes, la fragilité de la vie, le privilège luxueux d’exister, l’ivresse d’être là, de ressentir des émotions, d’épouser le monde et de percevoir sa beauté.
Aujourd’hui, comme chaque jour, une mère meurt et il y a un peu moins d’amour sur terre.
Aujourd’hui, comme chaque jour, un enfant naît et il y a beaucoup plus d’amour sur terre.
Les tombes constituent les étiquettes que laissent sur terre les disparus.
Pour éviter que ces étiquettes ne s’envolent, on les fabrique en pierre.
Et les cimetières sont des champs d’étiquettes.
Une étiquette cesse d’assurer sa fonction si personne ne la lit.
Je me recueillerai sur ta tombe pour témoigner de ta présence.