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EAN : 9787780033077
Librairie Generale Francaise, P. (01/12/2003)
  Existe en édition audio
4.15/5   5242 notes
Résumé :
Le fameux « Smoking, no smoking » d'Alain Resnais l'a illustré naguère au cinéma, la scientifique "théorie du chaos" déclinée par Lorenz le vérifie tous les jours auprès de l'enchaînement des événements naturels : il suffit parfois d'un rien, d'un chouïa, d'une relation causale infime pour que tel phénomène, inattendu, surgisse tandis qu'on ne l'attendait point. Inversement, pour que telle situation se profile alors qu'elle n'était aucunement escomptée. Ainsi en est... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (471) Voir plus Ajouter une critique
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sur 5242 notes
Et si Adolphe Hitler, le 08 octobre 1908, avait été reçu au concours d'entrée à l'Ecole des Beaux-Arts de Vienne, au lieu de s'y voir lamentablement recalé ? La face du monde en eut peut-être été changée ; et plus particulièrement entre 1933 et 1945. C'est du moins le thème de réflexion que nous propose Eric-Emmanuel Schmitt dans « La part de l'autre ».

Publié en 2001, voilà un roman bien étrange dans la mesure où l'auteur nous fait vivre en parallèle une biographie romancée d'Adolph Hitler et celle non moins romancée et U-Chronique d'Adolph H., son double imaginaire.

Que se serait-il passé si, au lieu d'être humilié, le sulfureux chef du Parti National-Socialiste – plus tard, nazi – s'était vu encensé ? Sa vie aurait sans doute été bien différente… Celle de nos parents et la nôtre également, je suppose… A moins que l'Histoire ne se charge de créer ex-nihilo, les monstres dont elle a besoin ; chacun d'entre nous ne cache-t-il pas au mieux une part d'ombre qui n'attend que l'occasion pour se révéler ?

« La part de l'autre » parle de chacun d'entre nous et nous ébranle dans nos certitudes : l'homme est un être dual.
Il faut tout l'art d'Eric-Emmanuel Schmitt pour ne pas tomber dans le conflit un peu simpliste du bon et du méchant : nul n'est parfaitement bon ou mauvais et chacun porte en lui la part de l'autre

Comme souvent chez Eric-Emmanuel Schmitt : dérangeant, fascinant… original !
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J'ai lu autrefois un ouvrage de science-fiction où coexistaient en parallèle autant de réalités que de choix possibles pour un individu. "La part de l'autre" est un peu bâtie sur ce principe, imaginant ce qui se serait passé si Adolf Hitler n'avait pas été recalé au concours d'entrée de l'Académie des beaux-arts de Vienne en 1908.

Le récit débute le jour fatidique de l'annonce des résultats et superpose les deux possibles. Hitler, recalé, ressent son échec comme une humiliation et cherche à se venger de ses semblables car il n'ont pas reconnu son génie. Tandis qu'Adolf H., admis, se coule dans le monde artistique, s'ouvrant aux autres et à l'amour.

Par petites touches, Eric-Emmanuel Schmitt évoque ce qu'aurait pu être le destin politique et économique de l'Allemagne sans dictateur – et sans deuxième guerre mondiale – mais ce n'est pas la partie la plus convaincante du livre. En effet, il me semble naïf de croire que sans Hitler, le nazisme n'aurait pas existé. Hitler n'était pas seul dans son délire belliqueux et meurtrier, mais entouré de cerveaux autant, sinon plus malades que le sien : Göring, Hess, Goebbels, Himmler... le mal a d'infinies ressources pour perpétrer son oeuvre infâme.

L'intérêt du livre est ailleurs : à l'intérieur, dans l'humain. L'introspection d'Hitler et de son double l'emporte largement sur la fiction politique. Et ceux qui s'attendent à un portrait manichéen avec l'ultra-méchant d'un côté et le gentil peintre de l'autre seront surpris...

« En montrant qu'Hitler aurait pu devenir un autre qu'il ne fut, je ferai sentir à chaque lecteur qu'il pourrait devenir Hitler » explique l'auteur dans son journal. Si bien qu'au début, le vrai Hitler semble plus à plaindre que le faux. le déclencheur de sa "vocation" – portée par l'opéra "Rienzi" de Wagner – est la défaite de l'Allemagne en 1918. Contrairement à Adolf H. et aux autres jeunes gens, cette guerre meurtrière, en offrant un métier au vagabond Hitler, est sa bouée de sauvetage. La défaite lui intime de trouver un coupable : ce sera la début de son antisémitisme. La haine galvanise ses propos : ce sera le début de son éloquence. Adolf H. et Hitler sont névrosés en raison d'un père violent et d'une mère morte trop jeune. L'un sera guéri par la psychanalyse (« l'oreille qui écoute ») et s'en sortira, l'autre sera traité par l'hypnose (« la bouche qui ordonne ») et on ne peut pas en dire autant...

Éric-Emmanuel Schmitt manie la langue française avec virtuosité ; sa description de la guerre des tranchées est terriblement réaliste. L'humour est là aussi, salutaire sur un tel sujet. Hitler et Adolf H. sont parfois d'un ridicule qui tourne à la farce et cette humiliation littéraire a la saveur d'une vengeance. le passage d'Adolf H. sur le divan de Freud est irrésistible. Comme le portrait d'Hitler en puceau irrécupérable : c'est osé, mais cela se tient.

Après nous avoir donné sa version du bien dans "L'Évangile selon Pilate", Éric-Emmanuel Schmitt nous livre ici sa version du mal et sa clairvoyance est édifiante. « le mal est un mystère plus profond que le bien car, dans le bien, il y a une lumière, un dynamisme, une affirmation de la vie. Comment peut-on choisir l'obscur ? »
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« L'écriture vire à l'hallucination.
Hier, en marchant sur les trottoirs avec mes neveux, j'ai entendu un sifflement et j'ai crié :
- Couchez-vous !
Ils m'ont regardé, interloqués. Un vélo passait.
J'avais cru reconnaître un shrapnell. »


Ah ! quel humour ! et quel don prodigieux de l'exagération ! Ainsi EES revient-il sur le parcours de l'écriture de la part de l'autre dans son Journal du livre –journal qu'il n'a bien sûr pas écrit pour lui-même mais à seule fin d'être inclus en conclusion de la part de l'autre, comme témoignage de la souffrance qu'un auteur s'est infligé pour satisfaire son lectorat trop souvent ingrat. En vérité, ce témoignage vient trop tard. Pour donner le ton exact du livre, il aurait dû être placé en introduction et aurait peut-être dissuadé bien des lecteurs qui n'ont que faire des romans à la gloire de leur auteur.


Exagération, nous disions donc, mais aussi égocentrisme : ESS semble avant tout avoir voulu parler d'Hitler pour faire parler de lui. Avec un temps de retard, il s'imaginait sans doute qu'il suffisait d'évoquer ce nom pour faire trembler la foule, provoquer son enthousiasme ou sa répulsion extrêmes, et s'emparer de la place convoitée de l'écrivain controversé. Mais n'est pas Céline (entre autres et par exemple) qui veut.


« Grande résistance de mon entourage à mon projet. Seul Bruno M. comprend et m'encourage. Les autres, Nathalie B. en tête, m'incitent à renoncer.
- Tu ne peux pas associer ton nom à Hitler !
- Mais parler d'Hitler ne consiste pas à devenir hitlérien.
- Moi je sais que tu n'es pas nazi, mais les autres, les lecteurs pressés, les journalistes… »


ESS, trop innocent pour parler de Hitler ? Véritablement convaincu de l'indigence du thème de la Part de l'autre ? Sans doute pas assez innocent en tout cas pour ne pas sentir qu'il y a là de quoi pavaner et se faire passer pour un écrivain à la fois provocateur, martyr et polémique. C'est sans aucune honte qu'il croit bon d'inclure dans son Journal cette remarque faite par un de ses amis (forcément) :


« - Comment parviens-tu à raconter l'existence d'un raté, toi qui as toujours tout réussi ? me demande Bruno M. »


Un raté, Hitler ? Plutôt un vainqueur, même si ses exploits sont amoraux. Un vainqueur, EES ? En tout cas pas en ce qui concerne la Part de l'autre. L'idée était pourtant prometteuse. Que serait devenu Hitler –et donc le monde- si celui-ci n'avait pas échoué son examen d'admission aux Beaux-Arts ? Cette question, beaucoup se la sont déjà posée. Pour rendre cet exercice plus évocateur, EES ne se contente pas seulement de développer cette hypothèse ; il la fait évoluer parallèlement au « véritable » destin que connut Hitler. Pourquoi ces guillemets ? Parce que même si EES respecte les principaux marqueurs historiques de l'existence du dictateur, il s'autorise beaucoup de spéculation en lui attribuant des angoisses, des névroses et des sentiments qui le transforment moins en homme qu'en stéréotype ambulant –complexe d'Oedipe et de castration en tête.


Si EES semble persuadé de son talent et de son intelligence, aucune de ses remarques ne nous le prouvent. Espère-t-il se montrer fulgurant lorsqu'il écrit par exemple que Hitler n'est pas le seul coupable dans le génocide juif, mais qu'il faut aussi prendre en compte tous ceux qui l'ont aidé et qui ont cru en lui ? ou prend-il seulement son lecteur pour un ignare capable de rivaliser avec son portrait d'Hitler ? Afin de nous montrer que le personnage n'est pas un monstre total et sans vergogne, mais plutôt un triste sire qui ne joue pas assez à touche-pipi, EES abuse de la caricature et utilise des procédés grossiers qui, en tentant de détruire tout manichéisme réducteur, finissent par devenir également simplistes. Et cela commence dès l'enfance. Avant son échec aux Beaux-Arts, Hitler nous est présenté comme un gentil garçon de bonne famille. Absolument pas raciste, pas même antisémite, il passe du bon temps avec ses collègues et voisins étrangers, et pour que l'ouverture d'esprit de Hitler soit suffisamment flagrante, EES nous brosse des portraits qui réduisent l'individu à des clichés nationaux :


« Sans bien discerner pourquoi, il appréciait Guido. L'éternelle joie de l'Italien, son sourire désarmant, ses paupières rieuses, sa poitrine velue qu'il montrant sans gêne aucune, la force virile qui éclatait en lui… »


L'uchronie se met véritablement en place lorsque, dans un des deux univers possibles, Hitler apprend son échec à l'entrée des Beaux-Arts. Commence alors le cheminement que l'on connaît. EES se fait plaisir et introduit dans l'existence du personnage tous les détails graveleux qu'il est possible d'imaginer : complexe de castration, terreur des femmes, vie sexuelle inexistante, arrivisme, égoïsme, inceste limite pédophile… A l'opposé de cette existence qui connaît toutes les déchéances possibles, EES imagine le parcours d'un Hitler qui aurait été admis aux Beaux-Arts. Son énergie aurait alors été dirigée dans la réalisation de son oeuvre. Hitler aurait rencontré des gens avec qui il aurait pu élaborer des relations satisfaisantes, et tout s'enchaîne : copains, petite amie, vie sexuelle, travaux réussis, emploi stable, reconnaissance du milieu, famille… Avec EES, la vie se joue à pile ou face : pile, on gagne le jackpot social, professionnel et sexuel ; face, on sombre dans le milieu de la vermine, déshérité et rejeté de tous.


La part de l'autre, outre ses simplifications grossières, commence véritablement à devenir agaçant lorsqu'on comprend que Hitler n'est qu'un prétexte habilement utilisé par EES pour parler de lui –ou de ce qu'il croit être. Son discours à l'égard des deux personnages n'est pas neutre. Hitler l'homme politique a beau avoir réussi à dominer le monde et à le façonner durablement pour des décennies au moins, EES ne peut s'empêcher de le ridiculiser et de le mépriser en exacerbant son inaptitude à la vie sociale. En revanche, Hitler l'artiste est précipité sous une avalanche d'éloges derrière lesquelles se dessine la figure plus générale du créateur –celui qui transcende ses pulsions et instincts néfastes pour les transformer en oeuvres. le contexte historique est à peine évoqué. Quant au monde tel qu'il l'aurait été si Hitler n'avait jamais été au pouvoir, il n'est même pas évoqué. L'histoire se termine sur un air d'inachevé. On croyait lire une uchronie mais La part de l'autre n'est qu'un condensé de la Psychanalyse pour les nuls –à moins qu'il ne soit un manuel de libération sexuelle post-soixante-huitarde dont le credo adressé à Hitler aurait été : « Vide-toi un coup et ça ira mieux ». le Journal de la Part de l'autre apparaît alors à point voulu. En retraçant sa vie lors de l'écriture de son roman, de nombreuses similitudes se dessinent entre la personnalité d'EES et de Hitler l'artiste. Serait-ce une manière d'insinuer que si l'écrivain n'avait pas réussi à se faire connaître en tant que tel et aurait échoué à vendre ses petits romans, il aurait fini par devenir aussi décrépi que Hitler le dictateur, et aurait risqué de faire connaître au monde entier la virtuosité d'une vengeance sanglante ? EES, futur criminel de guerre ? Voilà qui ferait l'objet d'une uchronie tout aussi sympathique et inutile que cette Part de l'autre !

Lien : http://colimasson.over-blog...
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Et si ?
Et si cet homme avait été reçu à ce concours ?
Et si le jury avait été clément avec ce petit être freluquet, transparent, si banal ?
Et si la pièce était tombée du bon côté de l'Histoire ?
Aurions-nous basculé vers la lumière au lieu de nous enfoncer parmi les heures les plus sombres de l'Humanité ?
Aurions-nous engendré un Monstre ?

Cette question dérange. Elle nous renvoie au plus profond de nous. Quelle est cette part de « l' Autre » que nous renfermons ? Est-il possible qu'elle surgisse du néant pour s'imposer à nous ? Sommes-nous si différents de ce Führer au point de le considérer comme un être à part, exceptionnellement pervers, fou, génie du mal ? Sommes-nous assez naïfs pour laisser une nouvelle chance à l'Histoire de nous contredire à nouveau un jour ?

Oui, cette question dérange. Il était comme vous et moi, il n'est pas l'Autre mais nous l'avons laissé prendre cette part de l'Autre, nous ne l'avons pas cru et nous nous sommes lourdement trompés...
Plus jamais ! Plus jamais ça !

Eric-Emmanuel Schmitt nous offre une vision de l'Humanité à travers deux vies parallèles, celle d'un homme banal devenu Hitler, orateur hors pair, égocentrique, capable de lever les foules avec sa langue vipérine et la face noire du coeur, et celle de son alter ego imaginaire, Adolphe H, reçu aux Beaux-Arts, artiste, son exact contraire, qui exercera son talent de peintre dans une Europe en paix. Tout les oppose mais ce n'est pourtant qu'une petite minute de l'Histoire qui changera le Monde et les séparera.

Eric-Emmanuel Schmitt nous fait évoluer en alternance auprès de ces deux hommes, il nous joue avec virtuosité Wagner et puis Mozart, il nous fait courtiser avec grâce les jolies femmes de Montparnasse et nous sert avec une fièvre démente les foules aveuglées, il nous peint avec force le noir et le rouge de la svastika et nous offre de délicieuses aquarelles multicolores, il nous perturbe à ne plus savoir où se trouvent le Bien et le Mal, où se trouve cette part de l'Autre.

J'ai ressenti ce livre, ce voyage à travers les différents chapitres de la vie de ces deux hommes, comme on peut apprécier un repas dans un bon restaurant...
Tout se passe bien... Les chapitres se suivent comme les plats... apéritif, entrée, plat, fromage... tout m'a paru bon, fin, équilibré... l'instant est agréable, on se souviendra de cette très belle soirée... J'attendais la fin pour terminer en beauté... Mais cette fin, ce dessert, m'a un peu déçue... le flan qui retombe, le sabayon qui ne prend pas... Ce moment grinçant qui déçoit après tant de plaisir et qui va au final faire que le repas ne restera pas dans la mémoire. J'aurais aimé de l'apothéose dans ce bavarois ! (si je peux me permettre ce jeu de mots).
On se dit alors qu'on va sortir déçu du restaurant puis, par magie, comme on tourne encore une page après le point final, on découvre qu'Eric-Emmanuel Schmitt nous livre la genèse de son roman et la démarche intellectuelle et philosophique qui l'a habité durant toute la construction de celui-ci...
Le chef qui sort de sa cuisine pour te serrer la main et te demander ce que tu veux boire pour la maison... Et là tu découvres toute la finesse d'un Bas-Armagnac 18 ans d'âge, toute la force glaciale d'une grappa morbida, toute la saveur d'un pur malt écossais !
Vingt-cinq nouvelles pages d'intimité où on se retrouve accoudé au bar avec l'auteur et où tu te repasses tout le livre dans ta tête autour d'un dernier verre... Et tu comprends. Et tu apprécies. Et tu applaudis. Et tu lui mets quatre étoiles !

(Merci pour la découverte de ce beau roman, Magali)
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Alors qu'une nouvelle tragédie vient de s'abattre sur Paris, rallongeant la liste des drames qui jalonnent l'Humanité, l'ouvrage "La part de l'autre" revêt des aspects obsédants. Qu'est-ce qui se serait passé si... Est-ce qu'un détail, un léger détail aurait pu tout changer ?

Voilà le point de départ de la réflexion d'Eric-Emmanuel Schmitt : si Adolf avait été reçu aux Beaux-arts de Vienne, évitant ainsi les rebuffades et l'humiliation, les choses auraient-elles été différentes ?

Roman ? Biographie ? Essai philosophique sous couvert de la fiction ? Qu'il est difficile de faire entrer cet ouvrage dans une case... Mais quel bonheur d'échapper à ces fameuses cases! "La part de l'autre" est un récit déstabilisant, criant de vérité, qui conduit, au-delà du récit de ces Hitler qui évoluent en parallèle, à une véritable réflexion instrospective sur ce que nous sommes, sur notre essence, sur cette part d'ombre que nous portons tous en nous.

Bon, méchant. Gentil, cruel. Généreux, égoïste. Désintéressé, égocentrique. Doué, humilié... Les chapitres concernant cet Adolph H. au talent reconnu, alternent avec l'Hitler que nous connaissons, pour plonger dans la psyché de ce personnage honni de l'Histoire. Tantôt émouvant, tantôt pathétique, parfois drôle, le récit flirte avec la vérité historique pour nous amener vers notre propre vérité.

L'Histoire a crée ses monstres, mais qu'en est-il de notre propre part d'ombre ?

Même si l'on s'en défend, nous hébergeons tous en nous cet être de noirceur tapi, assoupi, qui n'attend qu'un déclencheur pour s'éveiller, s'étirer et peut-être, absorber cette lumière qui nous guide. Et tout peut être différent, tout aurait pu être différent.

Dans le cas d'Hitler, ma grand-mère n'aurait pas connu l'humiliation réservée aux femmes qui ont aimé un allemand, elle l'aurait rencontré lors de vacances entre amis dans le centre de la France, ils se seraient aimés, lui l'aviateur, elle la jeune femme qui se sacrifiait pour son père. Mon père aurait été le fruit de l'amour, le vrai, et non celui de la honte qui a suivi ses pas jusque dans sa tombe.

L'Humanité n'aurait pas subi l'un de ses génocides les plus atroces, on n'aurait pas eu de choix à faire, de camp à choisir, on aurait pas eu à survivre, le quotidien aurait été suffisant. On n'aurait pas appris à pleurer nos morts, à tenter de soigner le traumatisme de notre âme. Je ne suis pas naïve, la vie n'aurait pas été un océan de bonheur, mais on n'aurait pas connu cette horreur qui fait encore verser des larmes de peine mais aussi de haine.

Si j'avais rédigé cette chronique hier, j'aurais mis en avant la virtuosité de la plume d'Eric-Emmanuel Schmitt tout en déplorant quelques longueurs. J'aurais dit que j'avais apprécié cette lecture, qu'elle m'avait parfois arraché des sourires, et que j'avais trouvé Adolf Hitler pathétique parfois, que c'était même amusant finalement de se moquer de lui.

Aujoud'hui, je frisonne devant la pertinence de cette réflexion. Comme d'habitude, les mots d'Eric-Emmanuel Schmitt sont justes et s'imbriquent parfaitement dans la dualité qui nous définit.

La part de l'autre est en chacun d'entre nous... Cet autre, lové dans un petit coin de notre être, qui peut tout faire basculer...

Lien : http://lelivrevie.blogspot.f..
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Citations et extraits (487) Voir plus Ajouter une citation
Quelques citations importantes à mon sens et qui résument bien mieux mon propos, tirées du journal de l'auteur dans lequel il explique sa démarche et les difficultés auxquelles il a été confronté:

" L'erreur que l'on commet avec Hitler vient de ce qu'on le prend pour un individu exceptionnel, un monstre hors norme, un barbare sans équivalent. Or c'est un être banal. Banal comme le mal. Banal comme toi et moi. Ce pourrait être toi, ce pourrait être moi. Qui sait d'ailleurs si, demain, ce ne sera pas toi ou moi? Qui peut se croire définitivement à l'abri? A l'abri d'un raisonnement faux, du simplisme, de l'entêtement ou du mal infligé au nom de ce qu'on croit le bien? [...] Tel est le piège définitif des bonnes intentions. Bien sûr, Hitler s'est conduit comme un salaud et a autorisé des millions de gens à se comporter en salauds, bien sûr, il demeure un criminel impardonnable, bien sûr je le hais, je le vomis, je l'exècre, mais je ne peux pas l'expulser de l'humanité. Si c'est un homme, c'est mon prochain, pas mon lointain. "p477 - 478

"Hitler est à la fois à l'extérieur et à l'intérieur de moi. A l'extérieur dans un passé accompli, dont il ne reste que des cendres et des témoignages. A l'intérieur, car c'est un homme, un de mes possibles, et je dois pouvoir l'appréhender."p479

" Réduire Hitler à sa scélératesse, c'est réduire un homme à l'une de ses dimensions. C'est lui faire le procès qu'il fit lui même aux Juifs. Noircir l'autre pour se blanchir: la pensée même d'Hitler. Et la pensée des gens qui parlent d'Hitler. Blanchir l'humanité en en excluant Hitler. Comme si l'humanité n'était pas spécifiquement humaine. "p500

" Décidément, plus j'avance, plus je découvre que tous les discours sont mus par cette même invisible idée: Hitler est l'autre.
Mon livre sera un piège tendu à cette idée. En montrant qu'Hitler aurait pu devenir autre qu'il ne fut, je ferai sentir à chaque lecteur qu'il pourrait devenir Hitler." p482

"Après l'expérience de ce livre,
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Je ne supporte plus Hitler.
Non seulement je le hais, comme avant, pour sa politique criminelle, pour ce qu'il est devenu, un barbare messianique persuadé d'avoir toujours raison, mais désormais je le hais aussi pour la vie qu'il m'impose depuis des mois.

J'ai hâte de le faire mourir.

Je dédierai ce livre au premier homme qui a voulu l'abattre, Georg Elser, cet Allemand simple et sans prétention qui avait compris avant tout le monde que le Führer emmenait le monde à sa perte.
Oui, je dédierai mon livre à ce « terroriste ».

Savoureux paradoxe : je rédige quatre cents pages pour faire revivre un homme et je dédie le livre à son assassin.

(Extrait du Journal de « La part de l'autre »)
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D’abord il se fait désirer.

Il donne un rendez-vous. Toujours loin dans le temps. Toujours incertain. [...] Du coup, ce n’est plus Hitler qui attend la foule mais la foule qui attend Hitler. Qui l’espère.

[...] Ensuite, il se fait attendre. Il organise avec précision son retard. Il a calculé le temps exact nécessaire à une foule pour devenir tendue, impatiente, sans être bafouée ni furieuse. Il sait alors entrer rapidement et bondir sur la tribune telle une solution.

[...] Il est là. Il fait face à la foule. Ce ne sont encore que les préliminaires.

La foule est une femme ; la femme est longue à venir ; Hitler est un grand amant parce qu’il est encore plus lent qu’elle. Dès le départ, il livre des arguments, des idées, mais il donne peu. Il traîne. Il retient. Il veut créer l’envie dans la foule. Il veut qu’elle s’ouvre. Il garde ses assauts pour plus tard. [...] Le secret de la réussite, c’est de ne penser qu’à la jouissance de l’autre.

Hitler commence à faire frémir la foule. Elle applaudit. Elle veut participer. Il l’attise, la laisse faire, la retient, plaque sa bouche sur la sienne pour l’empêcher de crier. Il va et vient, il se retire, il enlève son bâillon : elle exulte. Il redonne l’assaut. Elle s’étonne. Quoi ? Déjà ?

Il va. Il insiste. Elle suit. Elle crie. Il continue. Elle gémit. Il change de rythme. Elle ronronne et se plaint à la fois. Il accélère. Le cœur s’emballe. Elle jouit.

Il enchaîne immédiatement. Non. Elle n’en peut plus. Elle est convaincue. Elle a compris. Personne n’est meilleur. Si. Il insiste et curieusement, elle repart avec lui. Maintenant, sa volonté est vaincue, elle lui appartient, il est son maître, il fait d’elle ce qu’il veut. Il est son présent, son avenir car il est déjà son meilleur souvenir

[...] Hitler s’est déjà réfugié dans sa voiture. Ensuite il sautera dans un avion pour rejoindre une autre ville qui l’attend déjà.

Il fait jouir la foule mais lui n’a pas joui. Il l’a méprisé pour avoir joui si facilement sans que lui ait joui.

Et dans le mépris, il se sent supérieur.
Et dans ce mépris, il garde le pouvoir.
Et dans sa frustration, il trouvera la force de recommencer une heure plus tard.
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Il est là. Il fait face à la foule. Ce ne sont encore que des préliminaires.
La foule est une femme; la femme est longue à venir; Hitler est un grand amant parce qu’il est encore plus lent qu’elle. Dés le départ, il livre des arguments, des idées, mais il donne peu. Il traîne. Il retient. Il veut créer l’envie dans la foule. Il veut qu’elle s’ouvre. (...)
En amour, on appelle ça un étalon; en politique, un démagogue. Le secret de la réussite , c’est de ne penser qu’à la jouissance de l’autre.
Hitler commence à faire frémir la foule. Elle applaudit. Elle veut participer. Il l’attise, la laisse faire, la retient, plaque sa bouche sur la sienne pour l’empêcher de crier. Il va et vient, il se retire, il enlève son bâillon: elle exulte.
Il redonne l'assaut Elle s’étonne. Quoi ? Déjà ? (...)
Il enchaîne immédiatement. Non. Elle n’en peut plus. Elle est convaincue. Elle a compris. Personne n’est meilleur. Si. Il insiste et curieusement, elle repart avec lui. Maintenant, sa volonté est vaincue, elle lui appartient, il est son maître, il fait d’elle ce qu’il veut. Il est son présent, son avenir car il est déjà son meilleur souvenir.
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Un homme est fait de choix et de circonstances. Personne n'a de pouvoir sur les circonstances mais chacun en a sur ses choix.
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