Maman est morte ce matin et c’est la première fois qu’elle me fait de la peine.
Moi non plus je ne lui ai jamais dit je t'aime. Cela m'aurait paru grotesque. Les preuves d'amour valent davantage que des mots d'amour. ........l'amour est une fleur précieuse qu'on préserve par un silence sacré, de peur qu'elle porte la cicatrice des termes inadéquats.
La douleur n'élève pas, elle ratatine. Loin de nous améliorer, elle nous amenuise. Elle ne conduit pas à des pensées sublimes, elle condamne à ne plus penser. La douleur n'a rien d'un privilège qui ennoblit, tout d'un fléau qui fout à terre.
Absurdité du suicide : on sait ce que l’on fuit, on ignore ce que l’on trouve.
Non seulement Maman ne m'a donné aucun signe de vie depuis qu'elle est morte, mais elle ne m'a donné aucun signe de mort non plus - la semaine où elle a disparu, je n'ai rien détecté ni deviné.
Cela me meurtrit presque autant que son départ : je nous pensais intimement liés.
Je parle de toi dans une langue que tu m’as apprise et que tu n’entends plus.
Quand un enfant vient au monde, une mère aussi vient au monde.
Chaque naissance est une double naissance.
"On occupe sa jeunesse à se préparer à vivre, sa vieillesse à se souvenir d'avoir vécu. Ce faisant, on rate le présent qui seul existe en tombant dans deux pièges, celui de l'avenir qui n'existe pas, celui du passé qui n'existe plus. Que de temps perdu ! Ou plutôt : que de présent perdu !"
Un jour comme les autres, tout devient différent.
On nous annonce une mort, une naissance, et dès lors rien ne sera plus jamais pareil.
Je croyais que la douleur tuait. Or le corps reste bête, borné, coriace, détenteur de trop de forces - pulsions, appétits, puissances réparatrices - pour ne pas poursuivre sa besogne opiniâtre, quand bien même l’esprit voudrait l’arrêter. (...)
Mon corps, qui n’a pris la mesure de la situation, me condamne à la desolation. Malgré mon abattement, il manifestait hier le besoin de manger, il a dormi cette nuit et, ce matin, il a soif ... Il demeure obscènement sain, acculant mon esprit à la souffrance, un supplice qui, loin de décroître, s’intensifie.