Citations sur Je suis à l'Est ! (87)
Vers la fin de l'année calendaire, j'étais allé dans un centre s'occupant de l'emploi de personnes handicapées, habitué à recevoir des gens particulièrement désocialisés -du moins selon leurs propos. Ils ont discuté quelques minutes avec moi, m'ont fait remplir un formulaire, puis m'ont dit qu'ils ne pouvaient rien pour moi. Je me retrouvai dans la rue, conscient que la situation était plus compliquée que prévu.
Si quelqu’un crie votre prénom alors que vous êtes dans la rue, que faites vous ? Il ne vous a pas demandé de vous retourner.
À force de dire: l'enfant autiste est exclu, on finit par croire qu'autisme = exclusion. Des mécanismes beaucoup plus brutaux et bassements humains sont à l'œuvre.
Parmi ces phénomènes sociaux étranges qui sans doute m'échapperont toujours, susciteront l'incrédulité et ce délicat mélange émotionnel que l'on ressent lorsque l'on croit être face à un canular, j'ai remarqué que lorsque je parle, les gens ont parfois de bien curieuses réactions. Souvent, leur attention est fluctuante, certains écoutent, d'autres pas, sans que l'on puisse savoir pourquoi. Mais quand je glisse dans la conversation que j'ai fait Science Po, les gens sursautent et leur attitude change. Comme par enchantement.
Les personnes avec autisme se fatiguent beaucoup plus vite que les autres parce qu'elles doivent mener simultanément beaucoup de tâches de front. On parle parfois de double, ou de triple cursus pour l'enfant avec autisme à l'école, qui doit non seulement apprendre le français et les maths, mais également les codes sociaux.
Si on ne devait lire que ce que l'on comprend parfaitement, on ne lirait plus rien. Et une certaine difficulté de lecture pourrait bien être parfaitement nécessaire pour l'être humain.
Il est, je le crois, fort important de ne pas être militant à temps plein, faute de quoi le sens des réalités s'estompe rapidement, et la cause poursuivie, obnubilant le cerveau en question, occulte tout le reste de l'univers.
La question de la souffrance pourrait être disjointe de bien des thématiques liées à l'autisme; en d'autres termes, l'hypothétique cessation de la souffrance, pour reprendre l'expression des bouddhistes, ne résoudrait probablement qu'une fraction des autres problématiques. Pour le dire autrement : supposons que je souffre beaucoup; si vous arrivez à lever ma souffrance, est-ce-que cela changera réellement quelque chose pour moi au niveau de mes structures de fonctionnement, de mes particularités, autistiques ou autres ?
En tout cas, en primaire comme au collège, personne ne voulait être assis à côté de moi. Gâcher sa réputation en étant assis à côté d'un monstre pareil. J'ose ajouter dès à présent que plus tard, en fin de lycée, pour d'incompréhensibles raisons, certains se bousculaient pour s'asseoir à côté de moi, notamment lors des examens de maths... Les équations sociales sont, quoi qu'on en dise, les plus redoutables à résoudre et à comprendre.
Hors université, quand on me pose des questions et que je sais la réponse, même maintenant, je suis souvent fort gêné : est-il correct de donner la réponse ? Est-il normal que les autres ne la sachent pas et moi oui ?