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Citations sur D'après nature : Poème élémentaire (6)

Mais jusqu’où faut-il remonter en arrière pour
trouver le commencement ? Peut-être
jusqu’à ce matin du 9 janvier 1905
où mon grand-père et ma grand-mère
par un froid à pierre fendre partirent
de Kloster Lechfeld en calèche découverte
pour aller à Obermeitingen se marier.
Ma grand-mère en robe de taffetas noir,
un bouquet de fleurs en papier à la main, mon grand-père
en uniforme, son casque rehaussé de laiton
sur la tête. À quoi pensaient-ils,
assis côte à côte dans la voiture,
la couverture de cheval sur les genoux,
en entendant résonner les sabots
dans l’allée dénudée. À quoi pouvaient penser
plus tard leurs enfants, dont l’un,
sur une photo de classe
prise en l’année de guerre 1917 à Allarzried,
vous fixe d’un air angoissé.
Quarante-huit
misérables congénères,
l’institutrice à main droite,
à gauche l’aumônier
myope et, comme maxime,
au verso
du carton gris tavelé,
ces mots : “À l’avenir
la mort se couchera à nos pieds”,
un de ces oracles obscurs
qu’on n’oublie plus jamais.

(La sombre nuit fait voile, I)
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La sombre nuit fait voile, II

Lorsque le jour de l'Ascension
De l'an quarante et quatre je vins au monde,
la procession des Rogations passait justement
au son de la fanfare des pompiers
devant notre maison, se dirigeant
vers les champs fleuris de mai. Ma mère prit cela
d'abord pour un heureux présage, ne se doutant pas
que la planète froide Saturne gouvernait
la constellation de l'heure, et qu'au-dessus des montagnes
s'accumulait déjà la tempête qui l'instant d'après
éparpilla les processionnaires et foudroya
l'un des quatre porteurs du dais.
Outre l'impression peut-être
Dévastatrice que cet événement inouï dans l'histoire du village
a pu faire sur moi au début de ma vie, et outre
l'incendie qui une nuit fit rage,
c'était un peu avant mon entrée à l'école,
engloutissant une scierie du voisinage
et éclairant toute la vallée, j'ai grandi,
en dépit de l'époque par ailleurs effroyable,
au pied du versant nord des Alpes sans avoir, me semble-t-il,
la moindre idée de la destruction.
Mais je suis tombé à maintes reprises dans la rue,
les mains bandées j'ai passé des heures
à la fenêtre près des pots de fuchsias,
attendant que les douleurs s'atténuent
sans rien faire pendant des heures que regarder au dehos,
et cela m'a amené de bonne heure à me représenter
une catastrophe silencieuse qui
simplement se produit devant le spectateur.
Ce que je me suis imaginé à l'époque
en regardant le jardin de simples
où les nonnes en cornettes
blanches empesées lentement
se déplaçaient entre les plates-bandes,
comme si l'instant d'avant elles étaient
encore des chenilles, tout cela
je ne l'ai pas encore surmonté.
Pour moi, le symbole
de la catastrophe pas davantage identifiée
est depuis ce temps-là un nain tatar
avec autour de la tête un bandeau rouge et une plume
blanche recourbée. En anthropologie
cette figure souvent associée
à certaines formes d'automutilation
est reconnue comme celle de l'adepte qui
escalade une montagne enneigée et longtemps
reste au sommet, est-il dit, en larmes.
Dans un coin de son coeur, à l'abri du vent,
il porte, comme je l'ai lu récemment,
un petit cheval d'argile. Il aime à marmonner
des mots croisés magiques, parle
d'une silhouette en papier découpé, d'un dé à coudre,
du chas d'une aiguille, d'un caillou dans sa mémoire,
d'un lieu de pèlerinage et d'un petit cube
de glace, teinté d'un iota de bleu de Prusse.
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Il est probable que Grünewald
a peint d’après nature
et de mémoire l’enténèbrement catastrophique,
la dernière trace de la lumière tombant
de l’au-delà, car en l’an 1502,
lorsqu’à Bindlach, au pied du Fichtelgebirge
il travaillait à la pose du retable de Lindenhardt,
l’ombre de la lune, dans la nuit du 1er octobre,
passa sur l’Est de l’Europe, glissant du Sud de la Pologne
vers la Lusace, la Bohême et le Mecklembourg,
et Grünewald, qui était fréquemment en contact
avec l’astrologue de la cour d’Aschaffenburg, Johann Indagine,
sera allé au-devant de cet événement séculaire, l’éclipse de soleil
attendue par beaucoup avec grande crainte,
et aura été témoin
du mystérieux dépérissement du monde
au cours duquel un crépuscule fantomatique
en plein milieu du jour se déversa comme un évanouissement,
et dans la voûte du ciel,
sur les bancs de brouillard et les parois
des nuages, sur un bleu froid
et lourd, un rouge ardent se leva et des couleurs
errèrent, éclatantes, qu’aucun œil jamais
n’avait perçues et que le peintre
désormais ne peut chasser de sa mémoire.

(Comme la neige sur les Alpes, VI)
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La municipalité de Francfort ordonne,
ayant appris la nouvelle du décès
de Nithart, l’inventaire du mobilier
présent dans son atelier. La longue liste comprend
une collection d’objets les plus divers :
cuillers et compotiers, chaudrons à savon,
courroies à godets pour l’eau, quinze
peaux de chèvres tannées à blanc, des thalers d’argent
et des monnaies de cuivre de Schwaz, Tirol,
livres, proclamations, écrits et un grand nombre
d’imprimés luthériens, le tout illuminé
par la splendeur d’une extraordinaire réserve de couleurs :
blanc de plomb et céruse,
rouge de France, cinabre, vert ardoise,
terre verte, vert alchimie, billes bleues
de verre coulé et minéraux
venus d’Orient. Des vêtements aussi,
beaux, ainsi une paire de culottes jaune d’or,
des habits couleur d’œillet aux revers ornés
de velours et pourprins à passementerie noire,
un pourpoint de satin gris, un chapeau rouge à large bord,
et bien d’autres pièces d’habillement précieuses.
La succession en vérité est celle de deux hommes
mais est-ce que Grünewald, l’inventeur des couleurs,
partageait la prédilection de son ami défunt
pour les tenues chamarrées ?
Nous ne saurions le dire.

(Comme la neige sur les Alpes, IV)
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Des vols infinis
d’oiseaux crieurs qui frôlaient
la surface de la mer
ressemblaient de loin à des îles
flottant au ras de l’eau. Des baleines tournaient
autour du navire et crachaient
aux quatre coins de l’horizon
des jets d’eau jaillissant très haut dans les airs.
Chamisso, qui plus tard, lors de l’expédition
de Romanzoff s’ébahit
devant ce même tableau gigantesque, caressa alors
l’idée qu’on pourrait peut-être
domestiquer ces animaux et – comme
des oies sur une friche – en quelque sorte les mener en troupeau
sur la mer, une baguette à la main.

(... Et que j'aille tout au bout de la mer, XII)
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À l’Art Institute de Chicago
se trouve l’autoportrait d’un jeune
peintre inconnu, œuvre qui, en Suède jusqu’en 1929,
apparut alors sur le marché de l’art de Francfort.
Le petit panneau d’érable présente
un homme âgé d’à peine vingt ans
dans une pièce exiguë, à la fenêtre.
Derrière lui, sur une étagère
à la perspective pas très juste, des godets de peinture,
une râpe à pigments, un coquillage et un précieux
verre de Venise plein d’une essence translucide.
Le peintre tient à la main un couteau
en os joliment sculpté et taille
la plume à dessin, pour tantôt reprendre
le nu féminin, lequel est posé devant lui
à côté du petit encrier.
Par la fenêtre à sa gauche on voit
un paysage avec montagne et vallée
et le ruban d’un chemin. Celui-ci,
expose doctement Zülch, est le chemin qui mène au monde,
et nul autre ne l’a emprunté
que l’homme disparu sans laisser de traces,
sur qui portent ses recherches et dont il croit
reconnaître l’art dans ce tableau anonyme.

(Comme la neige sur les Alpes, IV)
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