Le premier qui se présente à mon esprit est précisément celui de Sainte-Beuve. Je ne sais pas comment fut élevée sa mère, mais je m'en doute à la qualité de ses parents qui étaient de souche anglaise et bourgeoise, et je sais comment il fut élevé par elle. L'éducation qu'elle lui donna fut celle d'une bonne petite bourgeoise de province, très ordonnée, très économe, ayant horreur de tout ce qui n'était pas tradition, usage et pratique, et rendue plus stricte encore sur ce point par la situation précaire que lui avait faite la mort prématurée de son mari. Au lieu d'élever son fils pour lui, pour Dieu ou pour le roi, comme faisaient alors tant de mères françaises, elle l'éleva pour elle seule d'une façon si jalouse que, lorsqu'ayant atteint l'âge d'homme, il eut l'audace de s'échapper de dessous ses jupons, elle dit à la maîtresse de l'hôtel où il s'était réfugié, en 1830, qu'elle aimerait mieux avoir donné le jour à un maçon.
La mère, en effet, n'a pas besoin d'une grande culture pour agir sur lui, sans même qu'il s'en doute. C'est assez qu'elle lui ait donné son sang et puis son lait et qu'elle ait entouré son enfance et sa jeunesse de tendresses et de soins dont le charme s'éternise avec le souvenir. Et le fait est que les trois quarts du temps la mère n'agit sur lui que par le cœur. Est-ce à dire que les connaissances humaines lui soient inutiles et que l'amour ou le simple bon sens puissent lui tenir lieu de tout ce qu'elle ignore?
Sage et modéré jusque dans ses désirs, ayant une horreur instinctive de toutes les opinions extrêmes, aussi bien de l'ultramontanisme que de l'ultraroyalisme, il était de" la forte lignée des novateurs qui ne rompent jamais entièrement avec la tradition.