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354 pages
Ernest Flammarion, Editeur (01/11/1893)
4/5   1 notes
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Difficile de trouver en littérature un humour plus exagérément daté que le comique troupier. Ce genre qui connut un immense succès en France fut pourtant l'un des plus insolents et de plus progressistes qui soient en son temps. Sous l'Ancien Régime, il eût été impensable de se moquer de l'Armée, ou même de laisser entendre que ceux à qui on faisait l'honneur d'imposer deux ans de service militaire s'y ennuyaient ou y commettaient des farces grossières.
La débâcle franco-prussienne de 1870, qui marqua l'avènement de la IIIème République, changea totalement l'image de l'Armée aux yeux des français. D'abord, parce que l'Invincible Armée Impériale avait été vaincue en quelques mois seulement et avec une relative facilité, ce qui lui enlevait beaucoup de son prestige en dépit du respect que l'on montrait envers les anciens combattants. Ensuite parce que comme les militaires ne se façonnent pas à partir de la terre glaise, l'armée républicaine était encore majoritairement constituée des ex-soldats impériaux de Napoléon III, particulièrement chez les anciens et les plus gradés. Les jeunes conscrits républicains se heurtèrent donc avec une certaine violence à cette vieille génération de bonapartistes rigoureux et amers, et il en résultat d'inédits problèmes de discipline, qui, pour n'être pas exagérément graves, furent très répandus, et installèrent durablement un climat de défiance et d'ironie entre les vieux chefs et les jeunes recrues.
Cependant, rire ouvertement de cela fut longtemps délicat, et on en resta longtemps à la sphère privée. Ce fut Georges Courteline qui donna le coup d'envoi du comique troupier avec « Les Gaietés de l'Escadron » (1886), un recueil de nouvelles savoureux et fort réjouissant sur la vie quelque peu chaotique d'une caserne. Courteline y créa le personnage du capitaine Hurluret, archétype du petit gradé râleur, distributeur en série de punitions, et, peu instruit à la base, grand massacreur d'orthographe et de grammaire le long de phrases ridiculement alambiquées dans un galimatias administratif hautement risible, qui amusaient beaucoup ceux qu'elles étaient censées impressionner.
le même personnage est repris par Courteline deux ans plus tard dans « le Train de 8h47 » (1888), un roman narrant l'errance nocturne et calamiteuse de deux soldats, Croquebol et La Guillaumette, envoyés en mission par leur capitaine afin de ramener des chevaux pour la cavalerie, et qui, manquant un changement de train, se retrouvent en pleine nuit sans argent ni papiers à Bar-Le-Duc où, après avoir atterri fortuitement dans un bordel, s'en font éjecter manu-militari (c'est le mot), puis se retrouvent mêlés à un crime, et bientôt accusés d'être des assassins.
Ce roman humoristique, qui fut le premier à dépeindre des soldats pétris d'ennuis et jugeant leur emploi comme une interminable corvée, connût un succès colossal et suscita bien des imitateurs et des émules, y compris dans le music-hall où de nombreux comiques en mal d'inspiration n'eurent qu'à revêtir un uniforme de soldat et jouer les recrues fainéantes et ivrognes pour faire rire un public qui en avait bien besoin.
La Première Guerre Mondiale ramena l'image du soldat à son rôle initial de guerrier, et cet humour disparut progressivement au cours des Années Folles. Seul l'increvable Gaston Ouvrard, célèbre auteur et interprète de la chanson « J'ai la Rate qui se Dilate » continua à représenter cet humour potache jusqu'au milieu des années 70, car il mourut nonagénaire. Cependant, le vrai fossoyeur de cet humour sensiblement éventé fut l'humoriste Pierre Palmade, avec son célèbre sketch du « Colonel » à la toute fin des années 80. Entre temps, le comique troupier s'était sensiblement éloigné de l'armée de métier pour incarner plus volontiers les galères du conscrit n'ayant aucune vocation pour les armes ni pour l'uniforme, et les humoristes devinrent donc bien plus caustique qu'auparavant sur le rôle de l'Armée auprès du peuple français, ainsi que sur les valeurs prétendument éternelles qu'elle était censée incarner. Nul doute aujourd'hui que cet humour qu'on juge, non sans raison, poussif et dépassé, a néanmoins beaucoup contribué à la dévalorisation du service militaire, puis à sa disparition.
Si le comique troupier vécut une longue carrière au music hall et au cinéma, sa forme littéraire ne survécut pas à la Première Guerre Mondiale. C'est donc une forme d'humour littéraire qui reste intimement liée à la Belle-Époque, mais qui connut cependant une grande productivité de la part d'auteurs inspirés, mais aujourd'hui oubliés.
C'est le cas de Paul de Sémant, pseudonyme de Paul Cousturier, qui était à la base un illustrateur extrêmement talentueux, un authentique génie graphique, dont le trait évoquait avec presque un siècle d'avance quelques uns des futurs grands noms de la bande dessinée.
Comme cela se faisait couramment, l'illustrateur aimait volontiers user de sa plume en tant qu'auteur, principalement pour se donner le plaisir d'écrire des textes qui justifiaient des illustrations qu'on ne lui proposait pas, mais qu'il avait envie de faire. Paul de Sémant signa et illustra ainsi une petite dizaine d'ouvrages relevant assez souvent du roman populaire ou du comique troupier, bien que son style surprenne dans ce genre par son extrême préciosité. Béni par les fées, Paul de Sémant écrivait aussi bien qu'il dessinait, et c'est suffisamment rare pour le préciser.
« Ce Sacré Poilut » (1893) en est un vibrant exemple, même si, ne nous le dissimulons pas, ce livre n'est qu'un plagiat très opportuniste des deux précédents livres cités de Courteline. C'est un roman subdivisé en nouvelles indépendantes, mais qui se succèdent comme les chapitres d'un récit. L'histoire commence exactement comme « le Train de 8h47 » : deux conscrits nouvellement recrutés, Poilut et Foissotte, doivent prendre le train avec leur compagnie pour rejoindre la caserne De Blois où ils ont été affectés. Mais s'enivrant un peu trop, ils ratent la gare et se réveillent à Tours. Fort heureusement, n'étant pas désargentés, ils parviennent à revenir à Blois, mais la nuit est alors tombée. Ils n'osent sonner à la caserne, et vont se donner de la volonté dans une petite taverne située en face. Bien évidemment, ils s'y enivrent toute la nuit, et c'est là que leur supérieur les ramasse le lendemain matin. Dès lors, leurs aventures s'inspireront plus volontiers des « Gaietés de l'Escadron », d'autant plus que leur supérieur le capitaine Pance est un digne sosie du capitaine Hurluret de Courteline.
Néanmoins, la suite est bien plus intéressante, car l'ironie mordante de Georges Courteline a fait oublier qu'il était un auteur plutôt convenable, pouvant être lu par tous et ne sombrant jamais dans le graveleux. Or, nonobstant son très aristocratique nom de plume, Paul de Sémant aimait le graveleux : non seulement il y plongeait la tête la première, mais il s'y vautrait avec délectation.
Déjà, le capitaine Pance est marié, qui plus est marié avec une jolie femme bien plus jeune que lui qu'il honore rarement. Celle-ci fait d'abord fait entrer dans ses draps le très beau lieutenant Dartin, mais elle ne s'arrête pas en si bon chemin, le jeune Foissotte en saura quelque chose, d'autant plus qu'il est lui aussi fiancé et qu'il déploie des trésors de stratégie pour s'échapper de la caserne afin de culbuter sa douce entre deux manoeuvres.
Cela, c'est pour la gaudriole, mais s'il n'y avait que ça ! Les ordures, les bouses de vache, les odeurs pestilentielles, les fromages bien avancés cachés dans la besace, et qui sentent tellement le caca que le capitaine incite tout une compagnie à aller se laver le derrière lors d'une célébration officielle, et enfin, le tour au bordel qui dégénère parce qu'on se trompe d'adresse, qu'on s'introduit chez le commissaire de police et qu'on commence à lutiner sa femme devant les enfants et les domestiques, en la traitant de cochonne qui joue les mijaurées…
Bref, l'alcoolisme chronique de Poilut et Foissotte a bon dos pour que Paul de Sémant leur fasse faire un peu n'importe quoi. Ce serait désespérant et sordide si Paul de Sémant n'écrivait les grasses mésaventures de ses personnages avec une très grande finesse qui a, de plus, le mérite d'instaurer une distance raisonnable entre les deux ignobles personnages, ivrognes, menteurs, voleurs, violeurs, escrocs, rebelles, gaffeurs et maladroits - et l'auteur et le lecteur, qui semblent regarder tout cela d'un point de vue très éloigné. Paul de Sémant, je l'ai dit plus haut, écrit magnifiquement, mais les dialogues des deux soldats sont rédigés dans un argot vulgaire, truffé de fautes de français ou de prononciation, et cette stratégie empêche le lecteur de ressentir une empathie trop familière avec ces personnages des bas-fonds. Mais inversement, ce parti pris dégage aussi quelque chose de terriblement condescendant, de hautain même, qui peut aujourd'hui donner la sensation un peu gênante d'un mépris souverain de l'écrivain pour le sous-prolétariat idiot et inculte auquel appartiennent Poilut et Foissotte.
D'ailleurs, Paul de Sémant va même aller plus loin, puisque il va faire mourir Foissotte, ce qui n'est pas peu surprenant dans ce genre de littérature. En effet, la dernière bévue chez le commissaire étant tout de même lourde de conséquences, Poilut et Foissotte sont durement sanctionnés en se retrouvant mutés dans une caserne en Algérie, en un lieu particulièrement aride et désertique. Privé de sa fiancée, mais aussi de sa consommation régulière d'alcool, Foissotte est constamment sur les nerfs et, au cours d'un déplacement dans le désert algérien, il se querelle avec son capitaine, l'injurie et le menace. Sans l'ombre d'un remords, le gradé sort son révolver et abat Foissotte d'une balle en pleine tête. le corps est hâtivement enterré à quelques profondeurs de sable, sans croix, ni tumulus.
Pour Poilut, c'est le monde qui s'effondre : son grand copain d'enfance, son copain de beuverie, qui aimait si peu la solitude, est enterré pour toujours dans le sable du désert, sans même qu'un repère permette à ses proches d'aller se recueillir devant sa tombe. le jeune soldat tombe dans une dépression chronique, et autant par égards pour lui que parce qu'il faut bien que quelqu'un informe la famille de Foissotte de ce qui s'est passé, on le renvoie à Blois où, au fil des mois et grâce à l'amitié fidèle de ses camarades qui ont pitié de sa tristesse, Poilut retrouve le sourire et la joie de vivre. Rendu à la vie active, il racontera volontiers ses belles années de service et les dangereuses aventures qu'il y a vécu...
Tout cela se conclut par un pamphlet très cocorico de Paul de Sémant, qui rappelle que le bon côté de l'Armée, c'est de faire de vous un homme, même si vous vous révélez un soldat absolument nul, et de vous apprendre à lutter contre les coups durs de la vie – bien que là, sans vouloir faire de persiflage, il me semble que les coups durs de la vie de ce pauvre Poilut sont quand même principalement dus à l'Armée elle-même.
Ce final patriote et exalté estomaque un peu le lecteur après ce qu'il vient de lire, mais il est très probable que Paul de Sémant, tout à fait conscient d'avoir donné du service militaire une image absolument calamiteuse, s'est prémuni contre la censure par quelques éloges bien placés, montrant qu'à aucun moment il n'a voulu se montrer subversif ou antimilitariste. Sage précaution, car Courteline, qui avait pourtant été beaucoup plus modéré dans ses satires de la vie militaire, a connu de multiples problèmes avec la censure et avec l'Armée.
Ceci étant dit, on ressort plutôt charmé et surtout dépaysé de « Ce Sacré Poilut ! » qui se révèle en tout cas moins nunuche et moins ringard que prévu, autant de par cette amoralité croustillante et insolente qui règne dans toutes les pages (sauf les deux dernières), que par le soin extrême de la rédaction qui donne à cette farce militaire un cachet académique et littéraire qui permet à ce plagiat à peine voilé de Courteline d'avoir son existence propre, son style à lui et son humour particulier, certes exagérément gras mais délicieusement cynique, grinçant et somme toute assez réaliste.
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