Citations sur Adieu, vive clarté.. (28)
« Plus je me remémore, plus le vécu d'autrefois s'enrichit et se diversifie, comme si la mémoire ne s'épuisait pas. »
de Jorge Semprun
J'ai essayé d'imaginer ma vie sans l'engagement, corps et âme, dans l'aventure du communisme.
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Sans lui, elle aurait été plus confortable, certainement. Mais peut-être avait-il fallu toute cette folie, cette perte de soi, cette exaltation, ce goût amer d'un lien transcendant, cette illusion de l'avenir, ce rêve obstiné, cette rationalité somptueuse mais contraire à toute raison raisonnante et raisonnable, toute cette haine, tout cet amour, cette tendresse pour les compagnons inconnus de la longue marche interminable, ces bribes de chants, de poèmes, de mots d'ordre lancés à la face du monde comme un appel d'espoir ou de détresse, cette souffrance sous la torture et l'orgueil d'y avoir résisté : peut-être avait-il fallu tout cela pour donner à ma vie une sombre et rutilante cohérence. p143
Ce n'est pas par goût de la tranquillité que j'essayais d'oublier ce passé, d'en oblitérer du moins ses effets les plus pernicieux dans mon travail d'écriture. Je n'ai jamais eu de goût particulier pour la tranquillité.
C'était plutôt par goût de la liberté.
Je n'aimais pas l'idée d'être confiné dans le rôle de survivant, du témoin digne de foi, d'estime et de compassion. L'angoisse me prenait d'avoir à jouer ce rôle avec la dignité, la mesure et la componction d'un rescapé présentable : humainement et politiquement correct.
Mais j'anticipe quelque peu: on aura déjà constaté cette habitude et on me l'aura déjà pardonnée. J'accepterais même qu'on la qualifiât de manie. Ou de tic. En revanche, si on parlait de cette procédure comme d'un truc rhétorique, je ne serais pas d'accord. Parce que cette façon d'écrire dans le va-et-vient temporel, entre anticipations et retours en arrière, m'est naturelle, dans la mesure même où elle reflète - ou révèle, qui sait? - la façon dont je m'inscris, corporellement, mentalement, dans la durée. (p.217)
L'orgueil de la solitude, de la différence, vous joue des tours, souvent. (p.181)
- La dialectique, c'est l'art et la manière que vous avez de toujours retomber sur vos pieds!
"vous", c'est nous: les dirigeants. Mais moi je pensais "eux", quand il m'arrivait d'y penser. (p.93)
C'est bon pour la vraie vie, les longues et douloureuses maladies. Et les romans ne sont pas la vraie vie: ils sont bien plus que cela. Les personnages de roman n'ont pas à succomber à la banalité de la vie. (p.53)
Cette irruption de la réalité que nous incarnions était dérangeante. Dégoutante peut-être. À cette époque, il me semble que les Français auraient donné n’importe quoi pour éviter la guerre. Ils ont d’ailleurs donné n’importe quoi, mais ils ont eu la guerre en prime. (...) Voici le garçon de seize ans que j’aurai été, métaphysiquement indécis, sûr pourtant de son intelligence, mais sans ostentation, dans la nonchalante certitude d’une supériorité qu’il serait malséant de prouver á chaque instant, convaincu qu’il faut posséder quelque forte conviction pour ordonner le désordre des croyances, sachant déjá que la vie n’a pas de sens, mais qu’il serait insensé de ne pas lui en prêter un, provisoire, sans doute, mais contraignant á chaque moment de décision.