Je m'attache à lire au moins 10% des livres que je commence, afin de pouvoir m'autoriser à l'arrêter. Et d'habitude, ça se passe bien, je lis les 20 ou 30 premières pages, et même si ça ne me happe pas, il m'arrive de grapiller dans les sections suivantes, voire de lire la fin.
Mais là, dès le début, vraiment, ça ne m'a pas plu. Ce style ultra daté de l'homme qui rapporte son histoire dans la Grande Histoire me rebute totalement. Ras le bol de ces histoires d'hommes dont le destin ressort grandi par leur fréquentation d'autres hommes, où l'évocation des femmes est presque systématiquement rapporté aux émois charnels, ces hommes dont la misogynie transparaît entre les lignes mais également dans les mots imprimés.
L'auteur cite quelques mots de
Paludes et imagine une conversation qu'il aurait pu avoir avec un inconnu. Il précise alors qu'il a bien écrit inconnu au masculin, même si "ce genre, d'un point de vus sémiologique, peut englober les deux sexes du genre humain sans prêter à confusion. Si on dit "droits de l'homme", par exemple, on n'est pas en train d'en exclure les femmes, quoi qu'elles en disent. Certaines d'entre elles, en tout cas."
Je soupire fort. Je sais, il est de son époque - et j'ai donc le droit, depuis mon époque à moi, de ne pas avoir envie de trouver ce monsieur formidable.
Quelques lignes plus loin, il apparait très clairement que, sous couvert d'universalisme de façade, où les femmes auraient les mêmes droits que les hommes, droit à la considération, par exemple, au respect, il les place dans une catégorie bien séparée, dont on voit depuis le début qu'il s'agit de la case "accessoires fétichisés" (comprendre : sexuels). Si, en l'entendant réciter
Paludes, l'inconnu au masculin aurait entamé une conversation amusantes, il envisage plutôt que l'inconnue au féminin, "une belle inconnue, blonde, aux yeux clairs, lointaine, dédaigneuse de l'alentour, perdue dans le ravissement égotique de son propre charme, succombe imprévisiblement à l'idée farfelue, frénétique, d'une aventure, en m'entendant murmurer quelques mots de
Paludes. Rien de plus : Rien de moins."
Il n'attend rien de plus parce que les femmes sont navrantes, la preuve, elles méconnaissent
Gide, lui sont indifférentes.
Je ne connaissais pas
Jorge Semprun, maintenant je sais à quel genre il appartient : à celui
des hommes qui n'incluent les femmes dans leur genre que lorsqu'elles ont des faveurs physiques pour eux.
D'ailleurs, dès les premières lignes on a des indices de cette disposition de
Semprun pour la misogynie : le roman s'ouvre sur une scène où une religieuse inspecte son trousseau, en particulier un caleçon que, selon lui, elle scrute plus que nécessaire. Il se sent particulièrement offensé, pas parce qu'il s'agit d'une religieuse et qu'il est un républicain en fuite, mais parce qu'il est un garçon et qu'elle est une femme. Il a l'impression d'être fouillé au corps, forcé dans son intimité. Il en conclut que la religieuse le projette dans l'âge d'homme. Mais en se souvenant de vers d'
Antonio Machado, il retrouve son calme, son intégrité, son allant.
Je sais que j'ai un filtre de lecture un peu particulier, mon avis sur
le lion, de
Joseph Kessel, par exemple, avait soulevé des questions. Je me demande s'ils se connaissaient -
Kessel et
Semprun.
Bref, ce livre ne passe pas du tout la barre de la sélection pour le CDI, et je ne vais même pas le donner.