Citations sur Ingrédients pour une vie de passions formidables (17)
Je crois définitivement que je suis chilien au milieu des miens, avec les trente-trois mineurs du désert d'Atacama qui n'ont pas perdu leur humour, enterrés sous des tonnes de roches, à plus de sept cents mètres de profondeur et pendant soixante-dix jours. Je suis chilien, à Isla Negra, au crépuscule devant la maison de Pablo Neruda. Je suis chilien quand je navigue sur les canaux australs et que les pêcheurs m'invitent à partager leur vin râpeux. Je suis chilien en Patagonie en déployant le drapeau qui réclame une Patagonie sans barrage. Je suis chilien dans les forums sociaux, au milieu des jeunes qui croient fermement qu'un autre Chili est possible. Je suis définitivement chilien au milieu des miens, les survivants, qui avons été aux côtés d'Allende et, malgré le prix payé, serions prêts à recommencer.
L'amour des enfants se manifeste de différentes manière, [...].
(dans "Les grillades, c'est l'affaire du vieux")
Un jour, quand ma fille est devenue adulte, je lui ai raconté qu'au milieu de la fusillade certains embrassaient une image pieuse mais moi j'embrassais une photo en noir et blanc où elle souriait dans mes bras et je me jurais alors que, si j'en sortais vivant, nous récupérerions tout le temps que je lui avais volé.
L'irrémédiable est la pire des certitudes.
Je sais que mes enfants ont souffert de mon absence à la sortie de l'école, quand il pleuvait et que les parents de leurs camarades les attendaient, le parapluie ouvert, la voiture bien chaude, un gâteau à la main.
(dans "Les grillades, c'est l'affaire du vieux")
Je me demande souvent si j'ai été un bon père, la réponse est : je ne sais pas. Mon vieux a dû se poser la même question, je suppose, mais moi je sais qu'il l'a été, à sa manière, même si c'était le pire pour beaucoup dans la famille.
(dans "Les grillades, c'est l'affaire du vieux")
[...] la famille, enfants, belles-filles et gendres [...]. Ils sont venus de loin, certains de Suède, d'autres d'Allemagne, ma fille d'Equateur, et cela me touche. Leurs questions culinaires en suédois et espagnol, en allemand et espagnol, m'amusent et le fumet de la graisse tombant sur les braises a pour moi l'odeur du meilleur cosmopolitisme, de la meilleure manière d'être.
(dans "Les grillades, c'est l'affaire du vieux")
Ensuite, nous nous sommes dirigés vers le mausolée de la mémoire où reposent les corps des hommes et des femmes assassinés par la dictature que nous avons réussi à retrouver et à identifier malgré le mensonge et les tentatives pour les faire oublier. L'année dernière, nous y avons transporté les dépouilles de trois camarades du GAP. Le plus important de ces restes était un fragment de bassin et ne pesait pas plus de vingt grammes, les autres, à peine des éclats d'os, mais ils contenaient l'identité génétique qui a permis de savoir qu'il s'agissait bien d'eux et maintenant ils reposent pour toujours auprès des centaines de victimes des forces armées chiliennes. Parmi eux se trouve Oscar Lagos, le jeune socialiste cher à mon cœur qui m'a remplacé dans l'escorte du camarade président ; capturé à la Moneda le 11 septembre, il est mort sous la torture. Il avait vingt et un ans.
Dans un coin de Bergen-Belsen, près des fours crématoires, quelqu'un, je ne sais qui ni quand, a écrit des mots qui sont la pierre angulaire de mon moi d'écrivain, l'origine de tout ce que j'écris. Ces mots disaient, disent et diront tant qu'existeront ceux qui s'obstinent à bafouer la mémoire : « J'étais ici et personne ne racontera mon histoire. »
Je me suis agenouillé devant ces mots et j'ai juré à celui ou celle qui les avait écrits que je raconterais son histoire, que je lui donnerais ma voix pour que son silence ne soit plus une lourde pierre tombale, celle du plus infâme des oublis. Voilà pourquoi j'écris.