Cette histoire, c'est d'abord le récit de Louise, tel que l'a recueilli l'écrivain qui publie le livre. Pas de chapitres, juste quelques pauses parfois, dans un témoignage qui nous happe dès les premières pages.
Louise est une féline, une "obscure", comme disent avec mépris les ligues extrémistes de Savigny. Et pourtant son récit est un hymne à la tolérance, à la solidarité et aux plus belles valeurs de l'humanité.
Parmi les premières à subir la fameuse mutation, qui se manifeste chez les adolescentes par la pousse de poils sur tout le corps et par l'exacerbation des sens, Louise a découvert, horrifiée, la nouvelle apparence d'Alexia et vu comment les moqueries cruelles l'ont poussée au suicide. Elle a vu les vidéos de jeunes filles se faire lyncher, puis ça a été son tour. Et elle a refusé de plier, s'est mise à nu au lycée et est devenue un symbole de la revendication des
félines à la dignité et à la liberté. Adolescente brisée, elle s'est découvert des forces insoupçonnées dans cette transformation et a décidé à se battre aux côtés de ses soeurs, mais aussi des quelques humains qui n'ont cessé de voir en elles des jeunes filles, face à la dictature engendrée par la peur et les superstitions.
J'ai découvert avec stupeur que ce livre était paru avant la pandémie de Covid et ai été ébahie d'y découvrir chez
Stéphane Servant une telle prescience des dérives d'une société qui renonce si vite à des libertés essentielles quand elle est envahie par la peur. Mais ce livre va bien au delà. Il est si riche qu'il m'est difficile de résumer ce que j'en pense. C'est d'abord un magnifique hommage aux femmes et une dénonciation des diktats qui leurs sont faits, tant au niveau de leurs comportements que de leur apparence. Ce n'est évidemment pas un hasard si cette mutation intervient à l'adolescence, au moment où l'enfant se transforme en femme, au moment où apparaît effectivement une pilosité que la mode enjoint de faire disparaître. Des poils qui sexualisent mais rapprochent du règne animal, une bestialité que rejettent radicalement les mouvements religieux extrémistes. En se couvrant de poils, les
félines retrouvent ainsi la part d'animalité que nous avons cherché à gommer et vivent à l'unisson de la nature, cette nature que l'humanité détruit, autre thème du roman. C'est aussi un hommage à l'art et à la littérature, qui permettent aux âmes en souffrance de s'exprimer et de trouver une raison de (sur)vivre, Louise, Tom, bien sûr, mais aussi Alexia et La Rouquine. C'est aussi un hymne à l'amour, à toutes les formes d'amour, et à la tolérance. Un livre terrible, qui montre que les barbaries du XXe siècle peuvent facilement ressurgir, mais qui se veut aussi porteur d'espoir d'un renouveau d'une humanité unie autour de ce qui nous rapproche et non déchirée en raison de ce qui nous sépare.