J’ai peur. Mais il ne faut pas montrer sa peur aux hommes. La peur les excite, je le sais. La peur leur donne le goût du sang.
Parce que je voulais qu’il sache que les choses n’ont pas toujours été comme elles sont. Que le monde était beau. Que l’homme n’a pas toujours été un animal.
Avril fit quelques pas dans la neige. Elle inspira profondément. C'était si agréable. Si agréable d'être vivant. Juste pour ça : entendre la neige craquer sous ses pas, se remplir du froid sec, lever la tête vers le ciel infini, regarder un enfant et un cochon ouvrir la bouche pour recueillir quelques flocons sur leur langue.
Il n'y avait rien d'autre à faire que se délecter du temps qui passe et de la chanson de la source.
Autrefois, Avril n'aurait pas prêté attention à tous ces détails. Elle ne se serait jamais émue d'un coucher de soleil, de la chanson d'une averse, de l'ombre élancée d'un pin. Aujourd'hui, elle se surprenait à passer de longues minutes à contempler ces prodiges, bouche bée. Le monde ne lui avait jamais paru aussi beau que depuis qu'elle avait compris qu'il était en train de disparaître.
Je t'ai dit que les histoires étaient comme un bon bout de pain. Qu'elles pouvaient nous nourrir. Mais il arrive aussi que les mots s'entassent au fond de nous comme des pierres dans un sac. Ils nous entraînent alors vers le fond. Parfois, ça fait du bien de se délivrer de ce poids.
- Moi, en attendant d'être mort, j'espère qu'on sera vivants. Tous les deux. Très longtemps.
- Tu sais d'où vient la tristesse, Avril ? Elle vient des silences. Pas des mots.
Le Conteur lui avait dit : " Il arrive que les mots s'entassent au fond de nous comme des pierres dans un sac. Ils nous entraînent alors vers le fond. Parfois, ça fait du bien de se délivrer de ce poids. " Elle chercha en elle les mots qu'elle devait prononcer pour se défaire de cette pesanteur.
On faisait encore mine de croire qu’il y avait un hasard. Que la chance pouvait tourner. Que l’on pouvait encore gagner, remporter la manche contre le monde.