Il me regardait. Il regardait son fils. Passait dans ses yeux la même lueur que lorsqu'il poussait la porte en revenant de la pêche et qu'il apercevait Albine. Il faudrait faire d'avantage attention au regard de son père tant qu'il est là, près de soi. Mais qui prend le temps de soupeser cette reconnaissance, ces remerciements muets de seulement exister? p.50
Ce n'est pas la grandeur du monde qui importe, mais l'écho qu'il éveille en nous.
Nous étions 3 enfants libres et sauvages, heureux comme on l'est à cet âge, dans l'aube sans fin de nos vies.Moi, Bastien, j'étais l'aîné, puis venait Baptiste, de deux ans mon cadet, et Paule, plus jeune que lui d'une année. Notre père était pêcheur, Il tenait une concession depuis deux kilomètres en amont des îles, jusqu'en aval des falaises qui dressaient leur muraille grise au-dessus des eaux vertes.Il s' appelait Charles, avait des mains puissantes, nouées, qui ne lâchaient jamais ce qu'elles avaient saisi.C'etait un homme fort et placide, qui sentait l'eau, la mousse, les poissons et le sable.
J'étais seul, la-haut, dans mon lit, une brique chaude de chaque côté de mon corps, à écouter les bruits familiers de la maison, à respirer l'odeur de bois qui montait du poêle situé en bas de l'escalier. Je ne m'étais jamais senti aussi protégé, aussi heureux, malgré la fièvre. Dehors, la vie avait suspendu son cours.
Car il est vrai que les enfants espèrent toujours le meilleur au contraire des adultes auxquels la vie a enseigné à se méfier - du moins les enfants qui vivent dans la beauté du monde sans avoir jamais connu la brûlure du malheur.
Il faudrait faire davantage attention au regard de son père tant qu'il est là, près de soi. Mais qui prend le temps de soupeser cette reconnaissance, ces remerciements muets de seulement exister ? Enfant, on ne sait rien de tout cela, et quand on l'a appris, il est bien tard, car le regard du père est tourné vers la mort et non plus vers la vie.
J'ai toujours beaucoup de mal à admettre qu'il faille perdre ce que nous avons de plus précieux. Parce que c'est notre nature et que nous allons quoique nous fassions vers la disparition.
Il faudrait faire davantage attention au regard de son père tant qu'il est là, près de soi.Mais qui prend le temps de soupeser cette reconnaissance, ces remerciements muets de seulement exister ? Enfant, on ne sait rien de tout cela, et quand on l'a appris, il est bien tard, car le regard du père est tourné vers la mort et non plus vers la vie.
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Il m'a simplement dit qu'à la limite du Cercle Polaire, entre le Groenland et le Spitzberg, il y a des nuits où la lumière est plus vive que le jour. Et il a ajouté, d'une voix qui m'a bouleversé :
-C'est là que je vous vois le mieux.
Je n'ai pas insisté car j'ai compris qu'il vivait avec nous dans une lumière plus belle que celle des simples souvenirs.
La vraie vie et en nous.
Là, tous ceux qui n'oublient pas se retrouvent.