Se souvenir des jours de fête

– Et qu’est-ce que nous pouvons espérer, après avoir vécu une pareille épreuve ? J’ai eu tellement peur !
Il la serra contre lui et, souriant, chuchota contre son oreille en regardant le fleuve lumineux :
– Que chaque jour soit une fête !

Les cartes d’alimentation ne permettaient pas toujours d’obtenir les denrées auxquelles elles étaient censées donner droit. On manquait de tout et il était difficile de trouver du pain, certains jours, et plus encore de la viande. Les Allemands réquisitionnaient les denrées les plus essentielles à leur profit, et la colère augmentait chez les habitants des villes qui souffraient plus de la pénurie qu’à la campagne où les paysans produisaient ce dont ils avaient besoin : légumes, œufs, beurre et viande.

Il faut se souvenir des jours de fête où nous avons été heureux et tout faire, toi et moi, chacun de notre côté, pour les revivre un jour. Rappelle-toi : notre mariage, l’été 1936, quand nous dansions au son de l’accordéon, les plages de l’océan, à Capbreton, sous les étoiles, et tout ce que nous avons vécu de plus beau, tous les deux.

Ils ne songeaient qu’à une seule chose : ils allaient se quitter et ils ne pouvaient pas lutter contre cette échéance dont ils souffraient comme d’une plaie à vif.

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Dans un ultime effort qui la fit se cambrer de la nuque à ses orteils, elle parvint à s'en délivrer et comprit seulement qu'elle avait réussi en entendant une petite voix inconnue gémir et pleurer.

Elle faillit tomber en comprenant que c'était elle que la Gestapo recherchait.

-Cinq ans, Etienne, cinq ans sans toi ! J'ai cru que ça ne finirait jamais !
-Moi aussi, dit-il, et pourtant, tu vois, nous sommes là, aujourd'hui, tous les deux.
-J'ai l'impression d'un long tunnel sans lumière.
-C'est vrai, mais le plus beau reste à venir, assura-t-il
- Est-ce-que nous pourrons oublier ?
-Mais oui bien sûr.
-Et qu'est(ce que nous pouvons espérer, après avoir vécu une pareille épreuve ? J'ai eu tellement peur !
Il la serra contre lui et, souriant, chuchota contre son oreille en regardant le fleuve lumineux :
-Que chaque jour soit une fête !

Quand enfin il leva la tête vers elle, ce qu’elle aperçut dans le regard de son fils, ce fut celui d’Étienne qui allait revenir, elle en était sûre, à présent, puisque tout était redevenu possible et que le monde, de nouveau, était plein de soleil et de lumière

Il faut se souvenir des jours de fête où nous avons été heureux et tout faire, toi et moi, chacun de notre côté, pour les revivre un jour.

Il observait les gens autour de lui avec une sorte de stupeur, ayant tout oublié de cette vie paisible, des gestes quotidiens en liberté, de cette insouciance dans laquelle se mouvaient ceux qui n’avaient pas souffert autant que lui de la guerre. Il se rendait compte aussi que les voyageurs jetaient sur lui un regard à la fois compatissant et plein de gêne. La guerre était finie depuis trois mois : on ne voulait plus en entendre parler ni garder sous les yeux le moindre de ses stigmates.