Une très belle histoire d'amour, un peu triste bien sûr, entre une femme Jeanne, qui a plus quatre-vingts ans au moment où elle raconte l'histoire et Suzor, l'homme de sa vie ; un récit très original, la recherche d'un homme par une femme qui n'a jamais oublié...
C'est l'enfant de voisins, Fourmi, qui a nommé les écrits de Jeanne - le carnet marron qu'elle remplit depuis quarante ans - les "écrivements", quand elle était petite ; devenue jeune fille et toujours peu aimée de ses parents, elle réapparaît dans la vie de Jeanne au moment où celle-ci a besoin de repartir dans le passé pour comprendre le présent. Les dialogues entre ces deux femmes l'une très jeune et l'autre assez vieille est une belle réussite, des moments jubilatoires...
L'octogénaire, qui ne voulait plus entendre parler de son ancien compagnon, parti il y a quarante ans, va se rendre compte qu'en fait, il était toujours là avec elle ou plutôt qu'elle vivait toujours avec sa présence. Dans son entourage, personne n'ose lui dire que Suzor est atteint de maladie d'Alzheimer et que ses souvenirs disparaissent ; quand elle l'apprend, elle se met en route Jeanne, en quête de son amour malade, pour ne pas être la seule à se souvenir de leur bonheur.
C'est un beau roman sur le souvenir et l'oubli, la mémoire et ses "déraillements", la permanence des sentiments et ce qui peut éloigner deux êtres qui s'aiment ; il y a eu, quand ils étaient jeunes, ce séjour en Russie organisé par le gouvernement canadien pour resserrer les liens entre les deux pays mais qui a viré au cauchemar intégrale (affaire du col Dyatlov) ; est-ce ce qui a détruit leur vie commune ?
Une histoire très prenante qu'on ne lâche pas une fois la lecture commencée : Que s'est-il passé en Russie ? Jeanne retrouvera-t-elle Suzor ? La reconnaîtra-t-il ?
Et puis il y a le froid et la neige, vrais personnages de l'histoire, et surtout Jeanne, qui a "toujours fait semblant d'être forte pour cacher (sa) faiblesse", une femme assez rebelle qui parle cash et ne s'encombre pas de politesse inutile.
Roman tendre et chaleureux, malicieux et poétique, un plaisir !
Premières phrases : " Il aurait fallu oublier. Effacer ces quelques mois comme on fait disparaître un coeur dessiné sur la vitre enneigée d'une voiture, nous n'avons pas su. le 1à mai 1959, comme si c'était hier. La piste d'atterrissage de l'aéroport de Saint-Hubert me semble glisser jusqu'à l'horizon. derrière nous les hélices de l'avion militaire dont nous venons de descendre se sont immobilisées. Suzor ne m'a pas regardée depuis notre départ, n'a pas dit un mot pendant le vol, comme s'il avait oublié que j'existais, que nous existions. Debout au milieu de la piste, nous contemplons le paysage sans relief en espérant que ce sera suffisant pour nous faire oublier les montagnes de l'URSS au coeur desquelles nous venons d'ensevelir une partie de nos vies."
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