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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Eustra vous l'a bien dit : c'est du noir de chez noir. Et cet "Inspecteur Cadavre" est aussi, à mon sens, le plus "balzacien" de tous les Maigret que j'ai pu lire jusqu'ici. Pour autant, je ne saurais faire montre d'une grande précision en tentant de vous expliquer mon impression : c'est à la fois tangible et fugace, comme une bouffée de parfum qui apparaît de temps en temps, quand vous visitez une maison par exemple ou quand vous videz un vieux tiroir, et qui vous rappelle ... quoi donc, déjà ? Et puis, la fragrance que vous croyiez envolée vous enveloppe à nouveau, venue de nulle part, et le souvenir fulgure. Elle s'évanouit encore, tel un fantôme et vous vous interrogez à nouveau : qu'est-ce que ça vous rappelle donc ?

Certes, ce n'est pas la première fois que Simenon s'attarde sur une petite ville provinciale dont les membres s'acharnent à cacher tout ce qui les concerne mais veulent savoir à tout prix quels squelettes abritent les placards de leurs voisins. Dans de telles conditions, tout le monde sait à peu près tout sur autrui et, ce qu'il ignore, il le déduit et parfois l'invente au hasard, allant "à la pêche" en conscience et finissant par retirer de ses filets quelque scandale bien monstrueux dont personne, là, ne se doutait et qui émerveille d'autant plus les badauds rassemblés. A moins qu'il ne les écoeure. Au vrai, quand il quitte Saint-Aubin, Maigret s'en va écoeuré jusqu'à l'os. Et le lecteur n'est pas tout-à-fait sûr que son rival, l'ancien inspecteur Justin Cavre (surnommé "l'inspecteur Cadavre" au temps où il n'était pas encore détective privé), qui prend le même train pour rentrer lui aussi à Paris, ne partage pas sans l'avouer le même sentiment.

Alors, Balzac, pourquoi ? Eh ! bien, peut-être parce que le microscope déjà très puissant auquel Simenon soumet en général ses personnages, surtout en province, semble ici jouir d'une vision encore plus précise, encore plus détaillée que d'habitude. La confortable maison de la famille Naud, les repas de gourmet qu'on y sert à Maigret tout en veillant soigneusement - du moins le croit-on - à lui masquer les sentiments réels qu'inspire sa venue, l'atmosphère feutrée et de bon ton qui règne de la cave au grenier, cet "ami de la famille" pratiquement à demeure, qu'on croise à chaque repas ou presque, et qui répond au nom un peu trop ronflant d'Alban Groult-Cotelle (il faut bien un trait d'union quand on ne peut, comme la famille d'Alban, s'offrir une particule authentique ), cette solidarité bourgeoise qui ne demande qu'à s'effondrer au premier coup dur, et le trait final au dernier paragraphe du roman - où "tout s'arrange" effectivement, ainsi que Maigret l'avait prévu pour l'édification de Cavre - mais qui, en effet, a de quoi laisser pantois, mal à l'aise et même incrédule si l'on songe au destin futur des protagonistes de l'affaire, tout cela rappelle, en plus moderne évidemment et en bien moins furieusement romantique, époque oblige, la bourgeoisie de province que, si souvent, nous a représentée, avec quel bouleversant mélange de fascination et de mépris ! notre irremplaçable Honoré de Balzac.

Difficile de vous en dire plus sans déflorer l'histoire. Disons que le sympathique juge Bréjon, qui exerce à Paris dans l'entourage du Quai des Orfèvres, demande à Maigret de se rendre chez son beau-frère, au petit village de Saint-Aubin, non loin de Fontenay-le-Comte, afin d'aider celui-ci à résoudre un problème de lettres anonymes l'accusant, lui, Etienne Naud, "le Grand Naud", l'une des plus belles fortunes et l'un des plus beaux noms du pays, d'avoir assassiné un jeune comptable nommé Albert Retailleau. (Bréjon, il est bon de le préciser d'emblée même si cela donne un indice au lecteur, est un homme intègre.) Il ne soupçonne pas que Maigret, fort bien accueilli en apparence, va tenir pratiquement jusqu'à la fin le rôle de l'invité importun. Au reste, dès le premier soir, le commissaire, qui n'est là qu'à titre officieux et pour rendre service, n'est pas loin de songer à repartir dès le lendemain. Seulement ...

Seulement Maigret est têtu. Et puis, il y a Cadavre, cet ancien policier, renvoyé pour malversations diverses, cet aigri naturel qui, tout en admirant plus ou moins l'esprit de limier du commissaire, lui envie aussi tout ce qu'il représente. Pour Maigret, pas question de laisser Cadavre, arrivé à Saint-Aubin par le même train que lui, s'en sortir avec les honneurs. Qui, d'ailleurs, a fait appel à lui ? Et pour quelles raisons ? Pour démasquer ou plutôt pour masquer ? Mais quoi ? Mais qui ? Mais pourquoi ? Retailleau est-il mort tout bonnement d'un accident ? (Ivre, il serait passé sous un train et bien sûr, il n'y a pas eu d'autopsie.) Ou bien l'a-t-on assassiné ? Quels étaient ses rapports avec Geneviève, la fille d'Etienne Naud ? Etaient-ils authentiques ou ne s'agit-il que de simples cancans haineux et égrillards, répandus par quelques mauvaises langues qui s'ennuyaient un peu trop ?

Et puis il y a aussi Louis, l'ami le plus proche du défunt, qu'on surnomme "le Grêlé" en raison de ses cicatrices d'acné. Un jeune rouquin, aussi têtu pour le moins que Maigret, et qui, avec la flamboyance et l'indignation de son âge, trouve honteux qu'aucune plainte n'ayant été déposée - la mère du disparu elle-même ne semble pas s'en soucier - les circonstances dans lesquelles est mort exactement Retailleau donnent l'impression fâcheuse d'avoir été inhumées à toutes forces avec le cadavre démembré ... Peu à peu, Maigret s'attache à Louis et c'est un peu pour lui qu'il reste à Saint-Aubin, pour que le jeune homme ne s'imagine pas, comme il le dit avec une désarmante naïveté quand il parle des notables du lieu, "qu'eux aussi, ils vous ont eu."

Non, les notables n'auront pas Maigret. Mais celui-ci fermera pourtant les yeux, conseillera l'exil pour certains et, pour d'autres ... Ah ! pour un autre surtout, il parle carrément de guillotine - et l'on sait pourtant que le commissaire n'est pas très sanguinaire. Hélas ! celui-là, l'un des êtres les plus veules qu'ait jamais imaginés Simenon (ou, comme le dit Eustra, dans une formule particulièrement heureuse : "l'un des plus mémorables salopards simenoniens"), celui-là est intouchable. Lâche, il n'agit jamais par lui-même : il se dissimule derrière les autres. Comme le note Maigret avec raison, ce n'est pas seulement Retailleau que cet être-là, pourtant bel et bien absent lors du meurtre, a tué : c'est tout un lot de personnes dont il se prétendait cependant l'ami le plus sincère.

"L'Inspecteur Cadavre" : un plus grand Simenon qu'il n'en a l'air. Lisez-le sans attendre. ;o)
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Ecrit en Vendée en 1943 Vendée et publié l'année suivante, L'inspecteur cadavre (titre un peu racoleur, ce qui est rare chez Simenon) est une merveille ! Dans une petite ville fermée, méfiante, Maigret enquête à titre officieux (petits arrangements entre amis de la bonne société) sur la mort, accidentelle ou criminelle, d'un jeune homme, et doit faire face une fois de plus à la bourgeoisie de province, une société craintive, en fait veule et médiocre, où l'argent règle bien des problèmes et achète le silence.

Simenon excelle à décrire l'ambiance de la petite province française (références obligées, Balzac avant lui, Jouhandeau après, Chabrol pour le cinéma) : lâcheté et bassesse, atmosphère étouffante (renforcée par le brouillard enveloppant le marais poitevin), une partie de la ville sous l'emprise de la bonne société, des personnages méprisables, quelques ratés de la vie, dont un ancien inspecteur de police lui aussi sur l'affaire…

Bien sûr, Maigret élucide l'affaire (Simenon a fait comprendre au lecteur une partie de la vérité dès le début) mais, devant le manque de preuves tangibles, ne peut arrêter le coupable qu'il convainc indirectement d'aller se faire pendre (s'installer en fait !) ailleurs. L'inspecteur cadavre est un très grand roman de Simenon, plus que noir, avec un Maigret dans l'impossibilité de mener l'enquête à sa conclusion logique et en proie au plus profond dégoût devant un monde qu'il vomit : lâche et médiocre, protégé par sa soi-disant respectabilité, mais dans lequel, finalement, tout finit par s'arranger.
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L'atmosphère est lourde et pesante dans cette petite ville vendéenne où le commissaire Maigret doit investiguer officieusement sur la mort suspecte d'un jeune homme. L'accueil n'est guère chaleureux et la présence sur les lieux d'un ancien inspecteur de la police judiciaire, Justin Cavre, ne facilitera pas la tâche du commissaire. En effet, reconverti en détective privé depuis plusieurs années déjà, l'inspecteur Cadavre, n'aura de cesse d'agacer le commissaire en marchant sans arrêt sur ses « plates-bandes ».

Avec le souci du détail qui caractérise tous ses écrits, Georges Simenon nous entraîne dans un univers glauque où la tension est palpable à chaque étape du récit. Dans cet opus, il n'y a pas vraiment de suspense puisque l'identité du coupable est suggérée dès les premières pages, faisant passer la résolution de l'enquête au second plan ; l'auteur s'attache plutôt à dénoncer les comportements déviants des personnages principaux dont la bêtise et l'inconséquence vont conduire à un meurtre. La psychologie humaine et l'étude de moeurs tiennent une grande place dans chacun des romans de l'écrivain et celui-ci ne fait pas exception à la règle.
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