La pluie tombait toujours, si légère que les gouttelettes semblaient se poser délicatement les unes sur les autres pour former sur le pavé une sorte de laque sombre.
— Je n’imaginais pas que vous meniez vos enquêtes sous tant d’angles différents.
Nous avons été plus loin. Nous nous sommes assurés qu’elles ne fréquentaient pas la même église, par exemple, ou le même boucher, qu’elles n’avaient pas le même médecin ou le même dentiste, n’allaient pas, à jour plus ou moins fixe, dans le même cinéma ou dans la même salle de danse. Quand je vous parlais de milliers d’heures…
le bureau de Maigret qui ressemblait à un champ de bataille. Des verres traînaient, des bouts de cigarettes, des cendres, des papiers déchirés, et l’air sentait le tabac déjà refroidi.
La robe en coton imprimé de Maguy se plaquait à son corps et il y avait de grands cernes sous ses bras, on voyait, sous le tissu, le dessin du soutien-gorge et du slip.
— Jeune ?
— Ni jeune ni vieux. Passé la trentaine, autant qu’on en puisse juger.
[...] ... - "Puis-je vous demander, entre nous, commissaire, ce qui vous a le plus frappé ?"
C'était presque une colle et Maigret, à qui cela arrivait rarement, se sentit rougir.
- "Le type des victimes," répondit-il cependant sans hésiter. "Vous m'avez demandé la caractéristique principale, n'est-ce pas ? Je ne vous ai pas parlé des autres, qui sont assez nombreuses.
"Lorsqu'il arrive, comme c'est le cas, que des crimes soient commis en série, notre premier soin, Quai des Orfèvres, est de chercher les points communs entre eux."
Son verre d'armagnac à la main, Tissot approuvait du chef et le le dîner avait fortement coloré son visage.
- "L'heure, par exemple ?" dit-il.
On sentait son désir de montrer qu'il connaissait l'affaire, que lui aussi, à travers les journaux, l'avait étudiée sous tous les angles, y compris l'angle purement policier.
Ce fut le tour de Maigret de sourire, car c'était assez touchant.
- "L'heure, en effet. Le premier attentat a eu lieu à huit heures du soir et c'était en février. Il faisait donc nuit. Le crime du 3 mars s'est commis un quart-d'heure plus tard et ainsi de suite pour finir, en juillet, quelques minutes avant dix heures. Il est évident que le meurtrier attend que l'obscurité soit tombée.
- Les dates ?
- Je les ai étudiées vingt fois, au point qu'elles finissent par s'embrouiller dans ma tête. Vous pourriez voir, sur mon bureau, un calendrier couvert de notes noires, bleues et rouges. Comme pour le déchiffrage d'un langage secret, j'ai essayé tous les systèmes, toutes les clefs. On a d'abord parlé de la pleine lune ...
- Les gens attachent beaucoup d'importance à la lune quand il s'agit d'actes qu'ils ne peuvent expliquer.
- Vous y croyez ?
- En tant que médecin, non.
- En tant qu'homme ?
- Je ne sais pas. ..." [...]