AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur Meshugah (3)

C'était déjà arrivé plus d'une fois : quelqu'un que je croyais mort dans les camps hitlériens surgissait devant moi, vivant et en bonne santé. J'essayais de dissimuler ma surprise. Pourquoi monter tout un mélodrame ou signifier à cette personne que je m'étais résigné à sa disparition ? Mais ce jour de printemps 1952, quand la porte de mon bureau, à la rédaction du quotidien yiddish de New-York, s'ouvrit brusquement et que Max Aberdam apparut, je dus sursauter et pâlir car je l'entendis s'exclamer: " N'aie pas peur ! je ne suis pas rentré de l'Au-delà pour venir t'étrangler ! "
Commenter  J’apprécie          100
Je laissai la valeur de deux semaines de texte de mon roman-feuilleton au journal, et remis le tout à mon rédacteur en chef. J'enverrais la suite par avion d'Israël. J'enregistrai plusieurs émissions pour mes auditeurs. Les conseils que je leur donnais étaient toujours les mêmes. Au candidat au suicide, au staliniste déçu, au mari trompé, à la femme malade du cancer, à l'auteur méconnu, à l'inventeur spolié de son invention, je répétais : ce monde n'est pas à nous, nous ne l'avons pas créé, nous n'avons pas le pouvoir de le changer. Les puissances les plus hautes ne nous ont offert qu'un seul don : la possibilité de choisir entre un mal et un autre. À mon avis, il ne fallait donc rien faire, "rien ne vaut autant que rien". D'ailleurs les Dix Commandements commencent presque tous par : "Tu ne..." Je citais la Guemarah : "il est préférable de rester assis à ne rien faire." Je conseillais à mes auditeurs d'échanger une passion contre une autre, une cause de tension pour une autre. Si vous n'avez pas de chance en amour, leur disais-je, concentrez votre énergie sur votre travail, ou un passe-temps, ou quelque chose d'amusant. Pourquoi se suicider puisque, de toute façon, nous devons mourir ? La mort ne pouvait pas faire disparaître l'esprit de l'homme. L'âme, la matière, l'énergie, c'est du pareil au même. La mort n'est qu'une transition d'un état à l'autre. Si l'univers est vivant, il ne peut y avoir de mort à l'intérieur de son organisation. Comment ce qui est infini pourrait-il avoir une fin ? La mort, cette chose qui emplit de terreur les vivants, pouvait aussi devenir une source de bonheur sans bornes.

Tout en parlant si librement à la radio, je me rendais compte qu'il m'arrivait souvent de me contredire. mais à qui cela ferait-il du mal ? Il devait sûrement exister quelque part une puissance qui mélangeait toutes les contradictions pour n'en faire qu'une seule et unique vérité. Je citais Spinoza disant qu'il n'y a rien dans la divinité qu'on puisse appeler mensonge. Nos mensonges étaient des miettes de vérité, des tables de la loi brisées, où le "Tu ne..." restait gravé sur un morceau de pierre seulement. Tout ce que nous pouvions faire, c'était dans la mesure du possible, éviter de nous blesser les uns aux autres. Je suggérais à mes auditeurs d'entreprendre un voyage, de lire un bon livre, de se choisir un passe-temps, de ne jamais essayer de changer le système, pas plus d'ailleurs que le gouvernement actuel. Les problèmes du monde nous dépassent complètement. Nous ne pouvions utiliser notre libre arbitre que pour des choses sans importance, qui nous touchaient personnellement. J'agrémentais mes "sermons" de citations de Goethe, d'Emerson, de la Bible, de traités de la Guemarah et du Midrash. Je me sentis beaucoup mieux moi-même après avoir fini.

Les journalistes yiddish écrivaient souvent toutes sortes de choses désobligeantes sur les gens qui jouent aux cartes, mais je n'étais pas d'accord avec eux. Si les cartes parvenaient à injecter un peu de plaisir dans la vie de quelqu'un, alors elles lui faisaient du bien, pas du mal. On pouvait dire la même chose du théâtre, des films, des livres, des journaux. Ce qui permettait de tuer le temps était bénéfique - le temps, ce vide qu'il fallait bien combler d'une manière ou d'une autre.

Je ne promettais pas de paix durable, pas de cure souveraine pour les névroses et les complexes de l'humanité. Au contraire, j'avertissais mes auditeurs que dès qu'on se libérait d'une névrose, une autre prenait sa place. Elles faisaient la queue pour cela. La vie n'était qu'une crise prolongée, une lutte à n'en plus finir. Et quand la crise cessait, venait alors l'ennui - la pire angoisse de toutes...
Commenter  J’apprécie          30
- Ne le couvre surtout pas de louanges ! interrompit Max. Il va enfler , enfler au point d'éclater. Un écrivain, c'est comme un cheval, si on lui donne un sac d'avoine, il le dévore. Si on lui en donne deux, il les engloutit. À la ferme de mon père, c'est arrivé plus d'une fois qu'un cheval se bourre d'herbe mouillée et en meure peu après.

- Oh, tu dis de ces choses ! s'exclama Miriam d'un ton plein de reproche.

- C'est la vérité ! Aaron pense peut-être que j'essaye de le priver des compliments qui lui sont dus, alors que je lui souhaite mille fois tous les succès. Au fil des années, j'ai voulu faire des quantités de choses, mais devenir écrivain, jamais. Gribouiller ne m'a jamais tenté.

- Vous vouliez faire quoi ? demandai-je.

- Écoute-moi bien, si tu continues à me dire cérémonieusement "vous", je t'attrape par la peau du cou et je te jette dans l'escalier ! Arrête d'être aussi poli ! Dis-moi "tu", à haute et intelligible voix, ou alors, va au diable ! Si notre petite écolière que voici peut se passer de cérémonies avec moi, tu le peux aussi ! Je vais te le déclarer bien en face : vous êtes tous les deux aussi proches de moi qu'un frère et une... Bon, je ferais mieux de ne pas dire de bêtises. Il me semble que tu m'as posé une question, mais je ne sais plus ce que c'était.

- Je vous ai demandé, enfin, je t'ai demandé ce que tu aurais voulu être.

- Qui j'aurais voulu être ? Voyons, tout le monde, Rockefeller, Casanova, Einstein, ou alors simplement un pacha avec un harem plein de belles filles. Mais rester assis une plume à la main et gratter du papier, ce n'est pas pour moi. Lire, oui. Un bon livre est aussi important à mes yeux qu'un bon cigare.

- Je n'avais pas idée que tu rêvais de posséder un harem, dit Miriam.

- J'en rêvais il y a trente ans, avant que toi, Miriam, ne sortes en gigotant du ventre de ta mère. Mais maintenant que je t'ai, je ne veux plus personne d'autre. C'est l'amère vérité.

- Pourquoi "amère" ?

- Parce que ça veut dire que j'ai trente ans de plus, pas trente ans de moins.

- Pauvre Max. Nous rajeunissons tous, sauf lui qui est le seul à vieillir. Tu voudrais petit à petit retourner en arrière jusqu'à redevenir un bébé ? demanda Miriam.

- Non, mais j'aurais voulu avoir toujours trente ans.

- Ah, rêveur ! " dit-elle en polonais.

Le soir tombait. Des ombres emplissaient la pièce, mais personne ne se levait pour allumer une lampe. De temps à autre, Max tirait sur son cigare, et une lueur rouge éclairait son visage. Soudain, ses yeux se mirent à briller et il déclara : " Quand je suis avec vous deux, j'ai l'impression d'être jeune à nouveau."
Commenter  J’apprécie          30




    Lecteurs (78) Voir plus



    Quiz Voir plus

    Dead or Alive ?

    Harlan Coben

    Alive (vivant)
    Dead (mort)

    20 questions
    1821 lecteurs ont répondu
    Thèmes : auteur américain , littérature américaine , états-unisCréer un quiz sur ce livre

    {* *}