Citations sur Le père de la petite (32)
Un soir, au téléphone, ce n'est pas lui qui répond. Elle apprend que son père vient de mourir. Alors elle comprend qu'il est trop tard. Qu'ils ne se parleront jamais.
La petite voit bien qu'elle n'est plus l'objet de l'adoration de sa mère. Que l'aimé, maintenant, c'est le père. Lui qu'on appelle "chéri", plus elle. Lui qu'on regarde comme on la regardait elle , avant, de ce regard tendre et un peu inquiet, plus elle. Lui qu'on admire. Plus elle.
Des jours passent dans cette attente bizarre. Rien ne se produit, mais on sent que tout va changer, bientôt, très vite.
Le soir où, pour la première fois, le père n'est pas rentré, la petite l'a beaucoup attendu. Elle l'a attendu comme une amoureuse. Follement. Elle l'a attendu après le dîner. Et même longtemps après qu'on l'a mise au lit. Il n'est pas venu.
La petite comprend tout, et ce tout lui est, croit-elle, indifférent.
C'est ainsi qu'un jour on cesse d'être la petite, et qu'on finit par s'appeler France, comme tout le monde.
Ces séparations portent, paraient-il, un nom : divorce. La petite apprend ce mot. Ses dérivés. Le père et la mère ont divorcé. La mère est divorcée. Et moi, est-ce que je suis divorcée ? demande la petite. Non ! lui dit-on, quelle idée ! Cette enfant est décidément idiote, dit la grand-mère. Pourtant, la petite se trouve, elle, tout à fait divorcée.
La guerre, c'étaient, enfin, ces drôles de lettres sur papier glacé, pliées en forme d'enveloppes, couvertes de cachets dentelés, verts, rouges, noirs, que recevait la mère du camp des prisonniers. Avant. Les lettres de son mari. Il n'en arrive plus depuis longtemps.
Quand elle s'est réveillée, le lendemain matin, elle l'avait un peu oublié. Elle a voulu allez voir sa mère comme elle fait d'habitude et, quand elle a ouvert la porte de sa chambre, elle s'est rappelée les choses : dans le grand lit, encore profondément endormies, il y avait deux personnes, sa mère, et quelqu'un d'autre. Son père.
La petite a refermé la porte.
Voilà. Il était là. Elle avait un père.
Elle ne comprend pas ce qui se passe. Ne saisit pas ce qu'on veut qu'elle fasse. Ce que veut son père. Elle comprend seulement qu'elle n'est pas comme il faudrait qu'elle soit. Qu'elle dérange. Qu'elle déplaît. Oui, qu'elle déplaît. Et c'est bien la chose la plus difficile à admettre pour celle que sa mère appelait "sa bien aimée".
Son père lui donne la main, mais il ne parle pas. On dirait qu'il est triste, pense la petite, qui de temps en temps se penche de côté pour voir son visage, s'informer de son humeur. Elle est toujours inquiète, la petite, des dispositions de son père.