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EAN : 9782072950193
256 pages
Gallimard (09/06/2022)
3.57/5   229 notes
Résumé :
Décidée à vendre la maison du Finistère, où depuis l’enfance, elle passait ses vacances en famille, parce que restée seule, elle n’en a plus l’usage, et surtout parce que les souvenirs qu’elle garde de ce temps sont loin d’être heureux, Claire prend un congé d’une semaine de son bureau parisien pour régler l’affaire. Elle se rend sur place en voiture un dimanche d’octobre. Arrivée chez elle, une bien mauvaise surprise l’attend. Son projet va en être bouleversé. Cela... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (63) Voir plus Ajouter une critique
3,57

sur 229 notes
Ça fait très longtemps que je voulais lire un livre de Marie Sizun, on m'en avait dit le plus grand bien. Voilà qui est fait et j'ai vraiment adoré son dernier et treizième roman. Déjà le titre "La maison de Bretagne" m'attirai beaucoup car j'aime beaucoup cette région. Ensuite l'éditeur "Arlea" qui m'a donné de belles lectures à parcourir.
Claire, notre héroïne, est décidée à vendre la maison familiale qui a appartenu à sa grand-mère Berthe. Elle l'avait mis en location mais ces derniers trouvaient la maison vétuste et l'agent immobilier qui s'occupait de la location lui serinait de faire des travaux qu'elle n'avait pas envie de faire. Elle avait pris une semaine pour aller dans le Finistère, pris rendez vous avec l'agent immobilier et le lendemain rendez-vous avec le notaire. Pour elle l'affaire était pliée. Mais en arrivant à destination, pleins de souvenirs, bons et moins bons lui sont venus en tête. Son père, artiste peintre parti trop tôt, sa mère Anne-Marie, décédée depuis quelques années et sa soeur Armelle qui n'a plus donné vie depuis des lustres. Une fois dans la maison, une bien mauvaise surprise l'y attend...
Ce roman m'a énormément plu, la qualité d'écriture de l'autrice, très bien écrit et accessible à tous, les paysages bretons bien décrits, on se croirait là-bas. Et cette ambiance à la fois nostalgique, difficile à certains moments et heureux à d'autres.
C'est un livre que j'ai lu en deux jours tellement le récit m'a happé et un doux regret de l'avoir fini. J'en lirai d'autres de cette autrice, c'est sûr.
Un roman que je conseille bien évidemment.
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Claire part à l'île Tudy, un coin charmant du Finistère, un lieu chargé de souvenirs pour Claire.
Elle laisse son travail à Paris pour quelques jours afin de vendre la petite maison de famille ayant appartenu à ses grands-parents.
En arrivant, dans la chambre de sa grand-mère décédée il y a longtemps, gît , sans vie un jeune homme qui lui fait penser à son père parti jeune, en abandonnant sa famille.
Ne nous emballons pas vers un thriller.
Le séjour de Claire va être pour elle l'occasion de se souvenir de son enfance, de ses parents torturés, de sa
soeur, mal aimée.
Grâce à la maman du journaliste , amie et aidante ménagère de sa mère, Claire va accepter post mortem le personnage de sa mère.
C'est une retour sur son passé , retour bien nécessaire que notre personnage central va effectuer.
Marie Sizun a le don pour nous faire aimer ses romans où c'est plutôt l'ambiance qui prime .
Son écriture me charme à chaque nouveau livre depuis "La femme de l'Allemand", premier roman que j'ai lu de l'auteure.
Celui-ci avait une valeur de curiosité pour moi car j'ai séjourné quelques heures dans cet endroit charmant de l'île Tudy en septembre 2021. Mes souvenirs étaient encore frais et les descriptions de Marie correspondent parfaitement au lieu.
Un récit charmant et torturé par un passé pas calme du tout.
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Une lecture agréable… toutefois empreinte de trop de mélancolie, en ce dimanche aussi grisaillou !… Selon les mots de la narratrice, Claire, c'est une belle histoire, Une “triste et belle histoire” !...
J'aime toujours la fine prose de Marie Sizun et les couleurs de sa Bretagne... qui me sont aussi familières !

Une quarantenaire, Claire doit prendre une semaine de congé afin de repartir en Bretagne, près de Loctudy, pour vendre la maison familiale, maison de ses étés d'enfance.. ; elle entretient des sentiments ambivalents et contradictoires envers cette maison, comme avec son histoire familiale… Elle arrive dans cette maison pleine de souvenirs heureux mais aussi dramatiques (dont le départ brusque et définitif du père adoré, artiste peintre, qui ne donnera plus signe de vie ). Elle rentre dans « sa » maison et se retrouve face au cadavre d'un jeune homme, image lui évoquant son père, jeune. Les retrouvailles avec le passé débutent avec cette enquête policière, qui accaparera notre »héroïne » , sa semaine durant !

Cela sera, chemin faisant, le retour sur le passé, la rencontre inopinée avec Yvonne, la femme de ménage de sa mère, devenue les derniers temps, son amie et sa confidente… Il est beaucoup question d'une lignée de femmes seules, sans homme : veuve, séparée ou célibataire (comme Claire )

Ce roman a les belles couleurs des embruns bretons… joliment décrites par Claire, qui rêvait d'être « peintre » comme son père !

Mais que de gâchis familiaux, de non-dits, de silences destructeurs alimentant incompréhensions , malentendus, de solitudes féminines douloureuses au fil de ces trois générations de femmes : de la grand-mère, Berthe, seul personnage lumineux , bienveillant, Anne-Marie, sa fille, silencieuse et malheureuse, et Claire, la petite-fille, et en pointillé , L'absente Armelle, la petite soeur de Claire, ayant refusé sa part d'héritage, ayant coupé tous les ponts avec les siens !

Cette semaine sera le lent chemin de la réconciliation avec « La « Maison , avec l'histoire familiale, et avec cette mère distante, mal-aimante et mal aimée de ses filles !

“C'est ton regard, maman, que je revois à présent, ce regard distrait, absent, toujours en fuite. Ces yeux gris, où parfois, dans le soleil, un peu d'or se mêlait, mais sans gaieté, et qui semblaient à peine nous voir, ni les choses qu'ils avaient l'air de regarder. Tu étais une passante, maman, sur cette grève où je t'imagine allant de ton pas égal, léger, indifférent, les mains dans les poches, la tête dans les nuages, comme tu l'étais dans la vie. Et cette passante, il a fallu tout ce temps pour que je la rencontre et que je l'aime. (p. 219)”

Les embruns… s'estompent et une timide lumière apparaît enfin dans cette histoire fort mélancolique d'une “Mère , passante solitaire”…qui aura eu toutefois deux amies sur cette île bretonne où elle s'était retirée…Claire découvrira une figure maternelle dont elle connaissait si peu de choses. Je finirai par cette perspective d'espoir et de sérénité, enfin trouvée pour sa fille, Claire !

Comme si le Passé s'était pacifié !

« J'étais étonnée de la révolution qui s'était faite en moi à mon insu, ces derniers jours. La vie avait gagné, contre toute attente. Et la maison était là, maintenant, pour en témoigner, sauvée de justesse. » (p.246)
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Je retrouve avec plaisir l'univers intimiste, subtil, un brin mélancolique de Marie Sizun. J'ai aimé " La femme de l'Allemand", et eu un véritable coup de foudre pour " Un jour par la forêt".

Très attirant, le titre! le thème des maisons me passionne, et la Bretagne, ah, magnifique région! Effectivement, ce fut une belle balade marine, émouvante et révélatrice, entre tempête des souvenirs et apaisement du présent...

La narratrice, Claire, célibataire solitaire , quarante-huit ans, revient à Ile-Tudy ( superbe endroit) , dans l'intention de vendre la maison de vacances familiale, où personne ne se rend plus depuis quelques années, sa mère étant décédée et sa soeur Armelle ne donnant plus signe de vie. Quant à son père tant aimé , il est parti depuis longtemps.

Mais les choses ne se passent pas comme prévu, puisqu'à son arrivée, elle découvre le cadavre d'un jeune homme dans une pièce de la maison. le lecteur pourrait s'attendre à un aspect policier, mais il n'est que secondaire et permet surtout de raviver le passé, pour éclairer l'ici et maintenant.

Quête introspective salutaire, ce roman qui au départ semble fort sombre, douloureux, s'illumine d'espoir peu à peu, porté par une écriture visuelle ( la narratrice, comme l'auteure, peint) tout en nuances. Un moment de lecture intense !
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«C'était juste une triste et belle histoire»

Dans La maison de Bretagne où elle revient, Claire va être confrontée à un mort et à ses souvenirs. Dans son nouveau roman, Marie Sizun découvre une douloureuse histoire familiale.

Il aura suffi d'un coup de fil de l'agence immobilière rappelant qu'il faudrait faire des travaux dans la maison qu'elle loue aux vacanciers pour décider Claire, la narratrice à la mettre en vente. Et la voilà partie en direction de la Bretagne, sur cette route des vacances et des jolis souvenirs. Quand son père était au volant. Ce père artiste-peintre parti en 1980 en Argentine et qui n'en est jamais revenu, mort accidentellement sur une route perdue à quelque 35 ans, six ans après son départ. Ce père qui lui manque tant qu'elle l'imagine quelquefois présent. Comme lorsqu'elle pénètre dans le manoir et qu'elle voit une silhouette sur le lit. Mais le moment de stupéfaction passé, elle doit se rendre à l'évidence. C'est un cadavre qui gît là!
À l'arrivée de la police, elle comprend que son séjour va se prolonger. Pas parce qu'elle doit rester à la disposition des enquêteurs, mais parce que les scellés sur la porte du mort et plus encore, le reportage dans le Télégramme ne sont pas de nature à favoriser une vente. Et puis, il y a ce choc émotionnel, cet "ébranlement nerveux" qui a ravivé sa mémoire: «Il avait suffi que je revienne dans cette maison, et, surtout, qu'il y ait eu le choc dont parlait le jeune journaliste pour que la machine à souvenirs se remette en marche. Non, je n'avais jamais vraiment oublié. C'était là, en moi, profondément ancré.»
Reviennent alors les images des grands parents qui ont acheté la maison et dont le souvenir reste très vivace, notamment de Berthe qui avait choisi de s'installer là et posé les jalons de la «maison des veuves», comme les habitants de l'île ont appelé la maison. Car Albert et Anne-Marie, les parents, ont certes passé de nombreuses années de vacances ici, mais depuis ce jour d'août où Albert est parti avec prendre le bus puis le train jusqu'à Paris, Anne-Marie s'est retrouvée seule avec ses filles Armelle et Claire, si différentes l'une de l'autre. «Armelle, petite sauvage qui ne ressemblais, sombre de cheveux et de teint et d'âme, ni à ton père, si blond, si léger, ni à ta mère, cette rousse à la peau blanche, au verbe et à l'esprit froids. Armelle dont on pouvait se demander d'où elle venait...» et qui, outre l'indifférence de son père avant son départ deviendra la souffre-douleur de sa soeur. Comment s'étonner alors du délitement progressif de la famille.
Marie Sizun dit avec une écriture simple et limpide les tourments qui hantent Claire, déroule avec les souvenirs de ces étés boulevard de l'Océan les secrets de famille. Et s'interroge durant cette semaine en Bretagne sur la force des sentiments, la permanence des rancoeurs, la possible rédemption. C'est le coeur «atténué, adouci, relativisé» qu'elle reprendra la route.
«C'était juste une triste et belle histoire. C'était la nôtre.»


Lien : https://collectiondelivres.w..
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critiques presse (1)
LaCroix
30 mars 2021
Pour son treizième roman, Marie Sizun ancre son intrigue en Bretagne et pose une fois encore son regard sensible sur une femme qui revisite son enfance chagrine.
Lire la critique sur le site : LaCroix
Citations et extraits (46) Voir plus Ajouter une citation
Et je comprenais qu'une maison, ce n'était pas seulement des murs, un toit, des souvenirs de famille, doux et cruels, mais aussi le pays où elle a été plantée. La maison de Bretagne, c'était la Bretagne, sa lumière, ses couleurs, ses parfums ! Et ces gens, surtout ces gens, qui en sont l'âme vive, avec leur gentillesse, leur simplicité, leurs énergies. Sans eux, elle n'existerait pas, ma maison !
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INCIPIT
Ce qui m'a décidée, finalement, c’est le message de l'agent immobilier qui depuis la mort de maman, il y a six ans, s'occupe pour moi de louer la maison de Bretagne à des vacanciers. Il m'informait que des locataires s'étaient encore plaints de l'inconfort, qu’il y avait des réparations urgentes à faire, sinon des travaux de plus grande envergure, que ça ne pouvait plus attendre, même en baissant le loyer. «Vous comprenez, madame Werner, les gens qui viennent sur l'Île en vacances, vu la nouvelle cote de l'endroit, ils sont plus exigeants!» Je comprenais. Je savais. J'étais bien consciente du problème. Mais tout ça m'ennuie. Il est hors de question pour moi de me mettre à rénover cette maison. Pour toutes les raisons, matérielles, mais aussi affectives. Surtout affectives. Oui, on peut employer ce terme, je crois. Il faut la vendre, cette baraque! Elle en a trop vu. Sans plus attendre. Je l'ai dit à cet homme et lui ai annoncé que j’arrivais. Que je serais là le dimanche 5 octobre. Que je le verrais le 6. Et J'ai pris un rendez-vous chez le notaire pour le 7.
Qu'est-ce qui m'a soudain pris de vouloir en finir avec cette histoire, quelle brusque rage? La colère plus que la tristesse accumulée depuis des années. Avec la tristesse, on sursoit ; avec la colère non. Moi qui avais si longtemps attendu, par négligence, par lâcheté, cette fois, tout à coup, il fallait que ce soit fait.
J'ai pris huit jours au bureau. Dans un premier temps ça suffirait. Je partirais dimanche. Et je serais de retour le dimanche suivant. «Tu n'auras pas beau temps, m'ont dit, le sourire en coin, mes collègues d’AXA assurances, la météo annonce qu'il pleut en Bretagne!» Comme si j'allais faire du tourisme!
Tout de même, ça m'a fait drôle, ce dimanche après-midi, de reprendre l'autoroute à la porte d'Italie. Comme avant. À chaque début des vacances d'autrefois. De retrouver ce paysage de banlieue, les panneaux indicateurs, le moment où il ne faut pas se tromper de voie, la droite pour Chartres, la gauche pour le Mans. J'ai souri au rappel de mes errances coutumières. Ma maudite étourderie, Acte manqué, sans doute. Mais aujourd'hui j'étais de bonne humeur en mettant dans le coffre ma petite valise. Après tout je me souviens de certains départs presque heureux.
Il y avait longtemps que je n'avais pas pris la route. Quand il me faut aller loin, je préfère le train. La voiture, c'est pour Paris, en certaines circonstances — rares, je sors si peu! —, et pour la banlieue quand le bureau m'y envoie. Mais, cette fois, avec tous les petits trajets à prévoir entre l'Île, Quimper et Pont-L'Abbé, pour rencontrer notaires et agents immobiliers, il me fallait ma voiture. Avec elle je me sentirais moins seule, moins nue. Pourtant, retourner là-bas, quelle perspective!
De toute façon, me disais-je, tout en conduisant à ma manière précautionneuse — ma mère se moquait assez de ma lenteur au volant —, je ne verrai personne. Et personne ne me verra : quel inconnu s’intéresserait à cette blonde fanée, d’un âge incertain? Quarante ans? Quarante-cinq? Cinquante? Célibataire endurcie? Vieille fille? Et qui, parmi les familiers, me reconnaitrait, se rappellerait la jeune femme effacée qui venait pourtant sur l’Île été après été depuis si longtemps et qu’on avait connue enfant? « Mais si, la fille de la maison des veuves! Les veuves ?
Tu sais bien, les femmes de la petite maison du boulevard de l'Océan! Cette drôle de maison avant d'arriver à la Pointe?» Oui, c’est peut-être cela qu'ils diraient, ceux de l’Île. Cette maison bizarre, pas comme les autres. Pas soignée, Pas belle. Différente des villas voisines. S’ils l'appelaient la maison des veuves, c'était sans méchanceté. Ça voulait seulement dire que, dans cette maison-là, il n'y avait pas d'homme. Ou plutôt qu'il n'y en avait plus. La seule veuve véritable, en fait, c'était ma grand-mère.
Boulevard de l'Océan! Curieuse, cette dénomination de boulevard sur une si petite île, fût-ce une presqu'île! La municipalité en est tellement fière, de cette belle rue qui longe la mer, dominant la plage dont elle est séparée par un muret, coupé de quatre petits escaliers pour descendre sur le sable. C’est la promenade locale : le dimanche, les habitants y déambulent, et, tout l'été, les touristes. Courte - à peine deux cents mètres -, mais assez large pour que les voitures s’y garent en épi, côté océan. De l’autre se dressent, serrées les unes contre les autres, les habitations : des villas pour la plupart, des maisons bourgeoises, et tout au bout, avant la Pointe, de plus modestes demeures, placées un peu en retrait, comme des dents irrégulières. La nôtre en fait partie.
Sur la route, ce dimanche d’octobre, il n'y avait personne. J'arriverais en fin d’après-midi. J'avais bien fait de partir tôt.
Il s'est mis à pleuvoir et je ne pouvais m'empêcher d'évoquer des voyages plus gais, sous le soleil de juillet, avec maman et ma sœur. On était toujours heureuses de partir, même si arrivées là-bas, à la maison, au bout d’un jour ou deux, l'euphorie décroissait, les rancœurs renaissaient. La mélancolie, la tristesse reprenaient leurs droits.
Oui, je me souvenais de ces départs en vacances d'autrefois, avec ma mère et Armelle; et bien plus lointainement, quand mon père était encore là, de voyages à quatre, lui, ma mère, les deux filles. J'étais alors une enfant. Mais comme je me les rappelle, ces voyages-là. Ce bonheur-là. Celui d’être la préférée. La reine en somme. Avec moi, mon père se montrait toujours très gai, alors qu’il ignorait sa femme, qui, le visage tourné vers la vitre, semblait ne pas s’en apercevoir. J'étais assise derrière, juste dans le dos de mon père, souvent un bras passé autour de son cou. J'aimais lui parler à l'oreille, jouer avec ses courts cheveux blonds toujours en désordre.
Nous rions ensemble, lui et moi, sans nous soucier des autres. J'étais trop jeune pour sentir l’étrangeté de la situation. Quand il est parti, j'avais dix ans. Ma petite sœur, elle, n’en avait que cinq. Un bébé, en somme; pour lui une quantité négligeable. Il avait, je crois, quand elle est née, à peine remarqué son existence.
Ce qu'il était drôle, mon père! Sur la route des vacances, mais aussi à la maison, rue Lecourbe quand il venait faire un saut à l'appartement depuis l'atelier de la rue de Vaugirard. On ne savait jamais à quelle heure il serait là, interrompant la toile en cours pour venir attraper un déjeuner ou un dîner avec ou sans nous. J'espérais toujours le trouver en rentrant de l’école. Quand ça arrivait — mais c'était rare —, quel bonheur! Je repérais tout de suite son sac dans l'entrée: «Ah Papa! Où tu es?, je criais à l’aveugle avant même de l'avoir vu, tu restes, au moins?» Cette angoisse, toujours, qu’il s’en aille. Il accourait, me prenait dans ses bras, parlant de tout, de rien, de gens qu'il avait rencontrés, d'artistes dont l'atelier était voisin du sien, et il les imitait, mimant leur attitude, reproduisant leur langage. Je riais. Et comme il riait avec moi! Mais, de son travail, il ne disait rien. Avec les petits enfants, on ne parle pas de ces choses. Je savais juste qu'il était peintre. Que c'était un artiste. Le soir il rentrait tard ; quelquefois pas du tout. Pourtant, quand il était là, il n'oubliait jamais de venir m'embrasser, même si je dormais. Je pouvais avoir sept ans la première fois qu'il m'a emmené à son atelier. Il m’a montré ses tableaux, J'ai trouvé ça tellement beau que, dans l'enthousiasme, je lui ai déclaré que, moi aussi, plus tard, je ferais de la peinture! « Vraiment ?», a-t-il fait en riant, Mais pour mol c'était sérieux, Moment de rêve. Inoubliable.
Trois ans plus tard, il partait. Une exposition à Buenos Aires, une proposition inespérée, disait-il. Il devait rester là-bas une année. On ne l'a jamais revu. Jamais eu de nouvelles. Si, une fois, au début : il a envoyé de l'argent. Sans un mot pour accompagner le mandat. Puis rien pendant presque six ans, jusqu'à l’annonce officielle de sa mort accidentelle, sur une route perdue, là-bas, en Argentine. Il n'avait pas trente-cinq ans.
L'atelier de la rue de Vaugirard a été liquidé. À la maison, dès le départ de son mari, maman avait fait disparaître tout ce qu'il pouvait rester du souvenir de l'homme et du peintre. Mais, moi, je ne l'oubliais pas. Impossible de l'oublier. Bien plus tard, quand il s’est agi pour moi de faire des études, j'ai parlé de peinture. Ma mère, éludant, m'a conseillé le droit. « Pour que tu saches te défendre, disait-elle. Et puis ça te donnera un métier. Un vrai.» Tout maman, ces mots-là.
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C’est ton regard, maman, que je revois à présent, ce regard distrait, absent, toujours en fuite. Ces yeux gris, où parfois, dans le soleil, un peu d’or se mêlait, mais sans gaieté, et qui semblaient à peine nous voir, ni les choses qu’ils avaient l’air de regarder. Tu étais une passante, maman, sur cette grève où je t’imagine allant de ton pas égal, léger, indifférent, les mains dans les poches, la tête dans les nuages, comme tu l’étais dans la vie. Et cette passante, il a fallu tout ce temps pour que je la rencontre et que je l’aime.
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Je me suis levée, rapprochée de la fenêtre, et j’étais là, debout près de la vitre martelée de gouttes de pluie. Au-delà on n’apercevait de la mer et du ciel qu’une seule masse grise, informe, agitée de profonds remous.
J’aurais aimé peindre cela. Cette informité. Cette force aveugle. Ce chaos. J’imaginais des noirs, des blancs, des gris. Je sentais leur mouvement. Je dessinais l’invisible. Je donnais forme au mystère.
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Moi non plus je ne l’aimais pas cette petite sœur. Elle me dérangeait, sans que je puisse dire exactement pourquoi. Et j’ai vite compris qu’elle dérangeait aussi notre famille. Elle incarnait, aurait-on crû, ce qui n’allait pas chez nous. Il aurait fallu qu’elle s’en aille. Plus tard, j'ai été heureuse qu’elle s’y décide. Si cruel que cela ait pu sembler. J’ai toujours eu le sentiment, je l’ai encore aujourd’hui, que, sans elle, nous aurions pu être heureux.
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