Citations sur La débâcle (31)
Etonnant, se dit Hortense : les généraux français perdent une guerre, et le résultat est qu'ils se récompensent eux-mêmes en s'emparant des sièges du pouvoir !
Écoutez, c'est tordant ! En première page, le "fait de la semaine" : la desillusion d'Hitler. C'était le titre et plus loin : qu'on ne si trompe pas, si l'Allemagne est privée de l'apport du minerai suédois, ses fabrications de guerre sont compromises à un point tel qu'elles ne pourraient affronter la prolongation d'une lutte soutenue sur terre et sur mer. On le constate, en effet ! Plus loin encore : c'est un fait patent que l'armée allemande manque des cadres indispensables et des divisions dont le nombre a été artificiellement gonflé... Ces stupidités sont signées Louis Maurin, général du cadre de réserve, et ancien ministre de la Guerre.
Il est frappé, un court instant, par l'incongruité de la chose: ces types, qu'il ne connaît pas, avec qui il aurait pu échanger des propos aimables lors de sa traversée touristique de l'Allemagne, avancent, gavés de slogans nazis, pour le tuer ou le capturer, lui, Lucien Schraut. Et lui doit les tuer pour se défendre. Parce que c'est la guerre. Parce qu'on ne porte pas le même uniforme. Parce que tout ça devait péter un jour. Merde. Et, si on avait le même uniforme, on serait copains. Il y a peut-être en face un autre artiste, un photographe. Un écrivain qu'il aurait lu. Ou un jeune qui rêve à la poésie. Ou un cousin éloigné... La haine qu'il éprouvait tout à l'heure reflue.
L'on s'imagine que les heures graves d'une nation sont vécues par le public dans une atmosphère d'exception et de gravité. Il n'en est rien. Chacun, à tout moment, tend toujours à sa norme, de confort, de débauche, de plaisir ou de quiétude.
C’était pas beau à voir, mon petit. Beaucoup de gens se sont réfugiés sous les wagons ou les voitures quand les Stukas ont attaqué. Mais le mécanicien d’un des trains a voulu sortir son convoi de la gare, sans savoir qu’il y avait des personnes couchées dessous…
Le fait est que les deux cents, et la gouvernance de la Banque de France, n'ont pas goûté les occupations d'usines du printemps 36, avec tout ce que le mouvement a connu d'imprévisible... ça pouvait mener à une véritable révolution bolchévique ! Tu te rends compte : aujourd'hui le populo partait aux bains de mer ; demain, il exigerait peut être de s'installer dans le fautueil de la direction ! Et puis les industriels détestent toujours augmenter le salaire des ouvriers, ça diminue leurs profits, et les dividendes de leurs actionnaires... Voilà pourquoi on a regardé de plus en plus du côté d'Hitler qui, face à Staline, représente le dernier espoir pour l'Europe unie ! Notament dans la manière de traiter les rouges et les syndicalistes. Dès 1933, Schneider-Creusot fournissait au Reich des chars français du dernier modèle, les expédiant en catimini via la Hollande. Et, depuis le début de la guerre, la France a livré des quantités considérables de minerai de fer à l'Allemagne, et reçu du charbon en retour. Cette fois le transit s'effectuait par la Belgique... Ce que je te raconte là est des plus secrets, bien entendu.
L'homme de trente ans n'est pas qualifié autrement que ce qu'il est. La femme, elle, est classée et jugée par la société suivant son rapport à l'homme.
L'Arc de Triomphe, les Champs Elysées, un immense désert où l'on ne rencontre pas une seule voiture, pas plus qu'autour de l'Obélisque ou le long des Tuileries - cela ressemblait à une cité morte. Des vaches perdues erraient sur la place et le pont de la Concorde, devant l'Assemblée nationale protégée par ses murets de sacs de sable. Des effets abandonnés jonchaient les avenues, les boulevards, des feuilles de papier se dispersaient au gré du vent, entre les barrages et les réverbères sciés mis en place des semaines auparavant pour s'opposer à l'arrivée des parachutistes.
Comme à la parade défilent des chars légers de combat, et de curieux véhicules, semi-chenillés, sortes d’autobus découverts dans lesquels sont assis cinq par cinq, sur quatre rangs, des fantassins boches casqués se tenant bien droit leur armement entre les jambes ; en tête, des officiers dans des petites voitures plates décapotées, et, en serre-file, les motocyclistes avec des side-cars.
Il faut manœuvrer pour éviter, échouées au bord de la route, des épaves de voitures en panne ou carambolées, avec leurs conducteurs, ou conductrices apeurés, désespérés, sanglants, qui restent affalés près de leur engin inutilisable, et regardent, end épit des soubresauts et des attentes, le flot ininterrompu s'écouler devant eux, tel un monstre à l'agonie...