Avec
Tête de tambour de Sol Élias, j'arrive à ma onzième lecture de cette sélection des 68 premières Fois… Un premier roman terrible, difficile. Pour la première fois, j'étais à deux doigts de renoncer à publier une critique, mais je me refuse à ne pas jouer le jeu car c'est une posture qui ne me ressemble pas…
Il n'est pas facile de parler de la maladie mentale en littérature ; c'est un sujet pour un essai, un témoignage, moins évident pour un roman. Ici, il est question de schizophrénie, thème qui convient sans doute mieux aux thrillers ou aux romans policiers avec le malade dans le rôle de l'assassin psychopathe ou de la victime…
La maladie mentale n'est pas reconnue par l'opinion publique comme une vraie maladie, avec ses symptômes et son côté invalidant. Dans les familles, c'est une honte dont on parle peu, que l'on cache sous d'autres motifs, « le centre et le point zéro de leur monde » … Dans la société, c'est difficilement acceptable et plutôt mal pris en charge et considération : le schizophrène est marginalisé, « inidentifiable », n'a pas d'avenir, presque plus d'humanité.
J'ai d'abord été interpelée par l'épigraphe de
Marguerite Duras qui rappelle que « toute première oeuvre est l'histoire d'une vengeance prise sur sa famille », puis j'ai fait le rapprochement entre le personnage de Soledad et le prénom de l'auteure avant de me perdre dans l'écriture polyphonique et la temporalité du récit. Ce livre nous interroge sur le rapport entre psychose, famille, héritage et hérédité mais ne donne aucune clé de lecture ; l'auteure brouille les pistes et les points de vue, mélange les dates et les personnages, égare son lectorat, alterne des descriptions claires de la maladie et des épisodes de complet délire.
J'étais moi-même tellement perdue que j'ai effectué quelques recherches ; ainsi, je suis tombée sur un entretien que Sol Élias avait accordé sur France Culture pour l'émission « Par les temps qui courent » ; ainsi, j'ai mieux compris la complexité de l'échafaudage narratif et mieux « digéré » les passages les plus difficiles et, surtout, j'ai cessé de me demander pourquoi l'auteure infligeait cela à ses lecteurs(trices)… Elle s'est sentie investie d'une mission, celle de donner la parole à son oncle diagnostiqué schizophrène et de lui aménager un espace ou s'exprimer.
La formule consacrée qui dit qu'un livre ne laisse pas indemne prend ici tout son sens…
Tête de tambour ne peut pas plaire… Il provoque horreur et pitié, nous plonge dans le tragique au sens classique du terme dans un huis-clos familial où la folie est à la fois vécue, subie, déniée et transmissible… où il faut se l'approprier pour pouvoir aller de l'avant. J'éprouve un profond respect pour Sol Élias, pour le paiement de sa dette, ce tribut dont elle doit s'acquitter.
Je suis sortie de cette lecture complètement sonnée, percutée… C'était sans doute annoncé dans le titre. le cerveau humain se fait caisse de résonnance et support de mémoire.
Je ne mettrai pas d'étoile : dans mon système d'appréciation, ce livre est hors-classement…