Une journée d'Ivan Denissovitch

C'est là, à l'appel du soir, quand ils rentrent par le portail du camp, que le détenus sont le plus battus par le vent, gelés, affamés de toute la journée; et pour eux, la louche de soupe aux légumes, brûlantes du soir, c'est comme la pluie dans le désert. Ils l'avalent d'une goulée. Pour eux, cette louche est plus précieuse que la liberté, plus précieuse que toute leur vie passée et que toute leur vie à venir.

Dites que c’est un flagorneur qui a exécuté une vile commande ! Les génies n’adaptent pas leur conception au goût des tyrans !

Les hommes d'escorte - ça grouillait - s'étaient déployés en demi-cercle face à la colonne de la centrale, mitraillettes braquées en plein dans nos gueules. Il y en avait d'autres, avec des chiens gris, même qu'une de ces bêtes montrait les dents, avec un air de se ficher des zeks. L'escorte était en demi-pelisses, sauf six en touloupes, ils se les repassent : c'est pour monter la garde sur les miradors.

Sommeil à part, l’homme des camps ne vit pour son compte que dix minutes, le matin, au premier déjeuner, cinq au déjeuner et cinq au dîner.

Ce que l 'Homme place le plus haut est une misère aux yeux du Seigneur . Il faut prier pour le salut de l 'âme: pour que Notre Seigneur arrache de notre cœur l 'écume du mal .

Et merci.mon Dieu;encore une journée de passée! Merci que je dorme pas au cachot :ici .quand même.on peut.

On aurait dû manger en y pensant .en pensant seulement à ce qu'on mangeait .comme il faisait . en détachant de tout petits morceaux avec ses dents .en se les promenant sous la langue. et en les suçant avec le dedans des joues.de sorte qu'on ne perde rien de ce bon pain noir humide et qui sentait si bon.Parce que Choukhov.de quoi il s'est nourri.pendant huit ans.que voilà même la neuvième année qui commence? Autant dire de rien.Et.pendant tout ce temps-là.qu'est-ce-qu'il n'a pas trimé!

Dans les camps et dans les prisons .Ivan Denissovitch s'était déshabitué de prévoir :pour aujourd'hui comme pour un an.et comme aussi pour faire vivre les seins .Les chefs s'en occupent à votre place ;autant de soucis en moins.

Choukhov . à présent . le voyait de prés. Entre toutes ces échines courbées de bagnards . c était la seule dressée droite . si droite que. regardé d 'en face . le vieux avait l 'air de s'être mis un coussin dessous les fesses . Pas une tondeuse n 'aurait pu rien plus mordre sur son crâne.à cause qu'à cette vie de château ses cheveux étaient partis tous . Et les yeux. au lieu de guigner ce qui se faisait au réfectoire.il gardait braqués par dessus la tête de Choukhov. sur Dieu sait quoi que lui seul voyait .Sa lavasse. il la mangeait lentement. avec une cuiller de bois ébréchée.sans piquer un plongeon dans l 'écuelle.comme tout le monde.mais en remontant la main jusqu'à la bouche .Des dents.il n'en avait ni en haut ni en bas .plus une .de sorte que c'est avec les gencives qu'il mâchait son pain .La figure avait fondu toute .mais point comme au ratatiné qui passera pas l 'hiver : le genre pierre taillée qui a noirci.A ses grosses pattes charbonnées de crevasses.on voyait bien que toutes ces années-là.il les avait guère passées dans les planques .Mais il faut croire que .dedans lui.c'était de l'accroché solide.car ses trois cents grammes.il les posait point.comme nous autres.à même les salissures de la table .mais sur un bout de chiffon de la lessive.

Quand on travaille pour des hommes, on en met un coup ; quand c'est pour des cons, on fait semblant.