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sur 334 notes
Poésie en prose. Vision de la nature par un poète peintre. Plus que des descriptions ce ne sont que sensations imperceptibles. Instants d'immobilité, temps suspendu de l'instant vécu. Poésie zen
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Oreiller d'herbe ou le Voyage poétique, de l'écrivain japonais Sôseki (1867-1916) est un livre rare qui doit absolument être connu des amateurs de beauté et de poésie, un texte qui distille une impression de douceur et de légèreté, plonge le lecteur dans une atmosphère de rêve éveillé terriblement lointain. Un voyage dans l'espace, le temps et la beauté.

Un jeune artiste entreprend, au début du vingtième siècle, un voyage à pied loin de la ville et de ses distractions, dans la campagne japonaise immuable qui va plonger dans la modernité.

A prendre part plus que de raison aux rumeurs du monde, l'odeur nauséabonde d'ici-bas s'infiltre à travers les pores de la peau et le corps tout entier s'alourdit de crasse.

Vous l'aurez compris, notre trentenaire veut s'alléger, s'élever et réussir à peindre le tableau dont il rêve dans ce monde sans tentations. Il rencontre d'abord un cavalier, puis une vieille dame dans une auberge abandonnée, une vieille femme qui regarde passer les hommes et les chevaux :

A peine a-t-elle murmuré que déjà ils ont disparu. Un printemps puis un autre sur le chemin tranquille et solitaire, passé et présent, dans ce hameau jonché de pétales de fleurs de cerisiers au point que le pied ne peut se poser sans les fouler, depuis combien d'années cette vieille femme compte-t-elle les chevaux qui passent, combien d'années ont passé sur ses cheveux devenus blancs ?

Chanson du cocher

Passent les printemps

Sur les cheveux toujours plus blancs

Voici un haïku, puis un autre, le texte et la poésie coulent de source pour notre peintre qui transporte son matériel. La vieille femme lui apprendra la légende de cette belle jeune fille morte noyée, telle Ophélie, elle lui parlera aussi d'une autre jeune fille au destin difficile : les chevaux qui transportent les jeunes filles vouées au malheur passent devant sa porte, et les légendes, et les paysans… Notre jeune homme continue son voyage et s'installe dans une auberge dont il est le seul client. Il décrit scrupuleusement les splendeurs de la nature, les repas tels un tableau, si beaux qu'on hésite à les manger, les jardins, les desserts à la beauté charnelle… Et la jeune femme de la maison, Nami la belle jeune femme mal mariée, écho de l'autre jeune fille descendue de la montagne. Mais cette Ophélie bouscule le jeune homme, se moque de lui, joue de son trouble, obsédante et mystérieuse.

l'ombre de la femme s'effaça, mélancolique et solitaire, alors que la couche de nuages, ne pouvant la retenir plus longtemps, laissait tout doucement tomber les fils de pluie au bout de l'attente.

La musique lointaine de la chanteuse triste, celle des bambous sous la lune, les fleurs qui tombent, le temple et ses moines, mais aussi le coiffeur à l'haleine épouvantable : tout se transforme en poésie. Même le trivial, même le ridicule. Nous sommes prisonniers du regard du narrateur, prisonniers de ces impressions vibrantes, de ces ombres qui semblent un rêve, de ces rêves qui semblent la vie, de ces brumes qui cachent les êtres puis les révèlent, de cette vie restituée en dix-sept syllabes, prisonniers de ce que Sôseki a appelé un « roman haïku ».

Le jeune homme veut peindre, mais il n'utilisera pas son matériel : l'acuité du regard ne suffit pas, il faut autre chose, mais quoi ? Qu'est-ce que peindre ? Qu'est-ce qu'écrire et pourquoi ? C'est un Voyage poétique, une plongée dans les origines de la création pour un écrivain japonais de l'ère Meiji, ce qui n'est pas du tout la même chose que pour un artiste occidental. le jeune homme fait sans cesse des parallèles entre des éléments de la vie occidentale (nourriture, pâtisserie, peinture de nus) et de la vie japonaise. Bien sûr les Occidentaux apparaissent frustres et balourds, difficile de démêler part de vérité et part d'humour, tant Sôseki manie celui-ci jusque dans sa poésie :

On verse des larmes. On métamorphose ces larmes en dix-sept syllabes. On en ressent un bonheur immédiat. Une fois réduites en dix-sept syllabes, les larmes de douleur vous ont déjà quitté et l'on se réjouit de savoir qu'on a été capable de pleurer.

Ou encore :

Une chose effrayante, si on la regarde telle qu'elle est, devient un poème. Un événement terrible devient une peinture, à condition que je l'éloigne de moi pour le considérer tel qu'il est. C'est ainsi qu'un chagrin d'amour devient une oeuvre d'art. Oublier la souffrance de l'amour déçu pour laisser place à l'observation objective des sentiments, s'attendrir à distance, en poussant un peu plus loin, examiner l'origine de la douleur sentimentale, voilà qui constitue la matière même de la littérature et de l'art. Il y a de par le monde des gens qui s'inventent des chagrins d'amour qui n'existent pas, qui se forcent à souffrir et y prennent plaisir. le commun des mortels les juge stupides, ou fous. Tracer soi-même les contours de son malheur pour y vivre heureux, se réjouir d'habiter un monde où se trouvent peints avec minutie des oiseaux qui n'existent pas (…) Ainsi est-il possible de définir l'artiste comme celui qui vit dans un monde à trois angles, car il en a radié le quatrième, qui se nomme le bon sens.

Peintre ou poète ? Regard de peintre et mots de poète. Théorie ou expression somptueuse de la réalité ? Dans la nature vibrante et les jardins comme des tableaux, dans cette beauté envahissante, la contemplation se transforme en poésie, toujours.

Mais les herbes aquatiques qui stagnent au fond de l'eau, attendrait-on cent ans, restent immobiles. Elles se tiennent pourtant en alerte, prêtes à bouger, appelant du matin au soir le moment où elles seront touchées, elles vivent dans cette attente, par cette attente, concentrant dans leurs tiges le désir de générations innombrables, sans pouvoir s'animer jusqu'à ce jour, elles vivent, incapables de mourir.

Où se trouve la réalité du monde moderne ? À peine une évocation de la guerre sino-japonaise, des soldats qui partent en Mandchourie et prennent le train, et c'est tout.

Et ce tableau, peut-il enfin le peindre ? un élément rend possible la peinture, un élément ténu et bouleversant que je vous laisse découvrir.

¤££¤25Philippe Picquier 3¤££¤a pris le nom de plume de Sôseki, mais nous sommes très loin des pseudonymes européens destinés à mettre en valeur leur auteur.

Choisir un nom de plume, pour un poète ou un écrivain japonais, c'est offrir une clé de son âme et de son art à ses lecteurs. Sôseki signifie « obstiné », et lorsque vous aurez lu Oreiller d'herbe vous comprendrez pourquoi.

Lorsque Kinosuke Natsume est né, en février 1867, le Japon entrait dans l'ère Meiji, cette période qui vit le pays passer sans transition du moyen-âge à la modernité. Sôseki fut un des plus grands écrivains de l'ère Meiji, et le livre dont je vous parle représente parfaitement ce saut dans la modernité ; cérémonie du thé, moines et soldats partant mourir en Mandchourie. Sôseki a écrit plus de 2 500 haïkus, et vous vous coulerez dans son art sans même vous en rendre compte lorsque vous lirez Oreiller d'herbe, cette immersion dans la poésie japonaise ressemblera à ce bain dans les sources chaudes du jeune peintre poète du livre.

Oreiller d'herbes a paru au Japon en 1906, la traduction présente – et superbe – a rafraîchi le texte qui avait paru aux éditions Rivage poche. le titre si poétique vient de la poésie japonaise classique : l'oreiller rempli de certaines herbes servait à protéger contre les mauvais esprits dans une auberge. Or le jeune artiste qui entreprend un voyage au début du printemps dans la montagne pour trouver l'inspiration va séjourner dans une auberge déserte.

Le livre que nous livrent les éditions Philippe Picquier vient d'une édition japonaise de 1926 particulièrement exceptionnelle : en écho à nos moines copistes du Moyen-âge, le texte de Sôseki était calligraphié sur trois rouleaux qui contenaient des peintures illustrant des moments du texte. Superbes peintures intégralement reproduites dans cette édition.

Ne manquez pas ce bel ouvrage, plongez-vous dans ce bain de poésie lointaine, dans les brumes d'un moment rêvé qui vous laissera en état de grâce. Que Elizabeth Suetsugu soit remerciée pour nous avoir transmis toute la légèreté de ce texte magnifique !
Lien : http://nicole-giroud.fr/orei..
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je ne puis dire mieux qu'Hebephrenie ...
livre profond mais difficile d'abord
je dépose quelques citations pour vous "apâter ..."
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Beau, simple, inspirant, bien écrit/traduit, spirituel, même attendrissant... je me suis étonné d'apprécié cette écriture poétique, de m'être passionné pour les petits secrets que renferme le lieu de pèlerinage du narrateur. Etonnante lecture, dépaysante, qui m'a permis de connaître un grand auteur.
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Je lis peu, voir très peu de littérature japonaise ; son côté un peu étrange, irrationnel n'y est sans doute pas pour rien. Si l'on ajoute son côté poétique étant l'ultime raison de mon faible penchant….
Ce livre, je devrais dire ouvrage pour relever ses qualités artistiques, me confirme qu'il y a bien des aspects de cette littérature que je ne pourrai sans doute jamais vraiment appréhender, sans pour autant douter un instant de sa qualité.
Un jeune artiste s'installe quelques temps dans la montagne pour y puiser un peu d'inspiration pour peindre le tableau de ses rêves. Faute de peintures, il produira durant son séjour un certain nombre de poèmes, qui ne n'ont pas beaucoup chatouillé ma corde sensible.
L'ensemble est fort bien écrit, mais beaucoup trop intériorisé pour moi. En revanche j'ai pris plaisir avec les peintures qui agrémentent ce recueil.
Je suis donc restée très en dehors de cette histoire ; je suis restée insensible à cette prose inaccessible pour moi, et à cette histoire mettant en avant la réflexion de l'artiste dans le monde qui l'entoure, et les mystères de la création.
Mais comme le livre est court et aéré, la lecture est relativement facile !

Lien : https://leblogdemimipinson.b..
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Si je n'avais pas eu la chance de trouver ce livre abandonné sur un siège d'avion, je n'aurais probablement jamais lu Soseki. J'ai dégusté ce petit livre si poétique, reflet de l'âme d'artiste japonaise et été subjugué par sa poésie.
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C'était inattendu. Je m'attendais à l'histoire d'un peintre, je découvre un poète. le héros ne peint plus, il écrit ses toiles. Les mots sont autant de touches de peinture, la poésie telle un pinceau qui façonne son oeuvre.

Un livre d'une beauté surprenante. C'est délicat, parfois drôle, toujours sincère.

C'est un voyage parsemé de haïkus. À lire pour le plaisir, pour prendre son temps, pour goûter à l'art et à la vie ❤❤❤
Lien : https://www.instagram.com/p/..
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Que voilà un livre qui m'a intriguée ! Les premières pages m'ont rebutée. Je l'ai laissé de côté et je l'ai repris à ma manière : j'ai butiné... et alors... alors p. 146 je suis tombée sur la description par l'auteur de ma façon de lire son livre :
"J'ouvre le livre au hasard comme je tirerais au sort et je lis la page qui me tombe sous les yeux et c'est là ce qui est intéressant."
Du coup, j'ai tout lu. Certes en zig zag mais l'essentiel c'est d'en avoir tiré satisfaction, n'est-il pas ? :-)
Et finalement, j'ai été récompensé puisque j'ai apprécié ma lecture même si ce fut par intermittence
Mais une chose est certaine, ce qui m'a plu ce n'est pas l'histoire en elle-même, mais les réflexions personnelles.
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Rècit d'un voyageur qui ne voit que peintures et poèmes dans les paysages qu'il rencontre. Très jolie écriture.

Mais il faut aussi souligner la qualité de l'édition Picquier avec les magnifiques reproductions des peintures illustrant l'ouvrage. Un vrai plaisir !
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Ce court roman du grand écrivain japonais Soseki Natsume, écrit en 1906,est poétique et original.
Il permet à l'auteur d'exprimer ses idées sur l'art et la nature.
Ce livre, vite parcouru, n'est pas la meilleure oeuvre du romancier, mais, est, cependant, agréable à lire.
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