La proie du papillon

Marco… Ses mains entreprenantes sur mes hanches, l’impatience de ses doigts quand ils sillonnaient mes cuisses en quête de frissons. La tendresse exquise avec laquelle il me caressait le ventre. La chaleur de son ardeur qui se répandait en moi dans une prodigieuse onde de plaisir. Et surtout la fougue enivrante de ses baisers. L’harmonieuse étreinte de nos deux corps enlacés n’était en réalité rien d’autre qu’une chimère. Impossible, et pourtant… Si mes yeux ne pleuraient plus, mon âme était quant à elle à feu et à sang. Je voulais tellement me montrer lointaine, surmonter au plus vite cette abominable déception et retrouver mon indifférence naturelle à l’égard du reste de l’humanité. Rien à faire : je n’arrivais pas à sortir le Papillon de ma tête !

Nous vivons dans un pays libre, raisonna le Papillon en écartant les mains. Judith, je refuse d’être ton amant attitré. Tu es une mante religieuse, tu me dévorerais si je restais avec toi. Ta nature est ainsi faite. La séduction est peut-être ma malédiction mais la tienne est la cruauté. Je ne veux être lié à toi d’aucune manière, je tiens trop à mon libre arbitre pour prendre le risque qu’on m’enchaîne. Et puis surtout, il y a Annie désormais…

Marco ne m’aurait pas meurtrie davantage en me plongeant un poignard en plein cœur. Les larmes ruisselaient maintenant le long de mes joues sans que je prenne la peine de les essuyer. Je lâchai la veste du traître pour prendre du recul. Me donner en spectacle ne servait à rien, sinon à me ridiculiser à ses yeux. J’eus enfin la force de poser mes lunettes teintées sur mon nez. Une bien piètre manière de conserver un vestige de dignité. L’homme qui me défiait du regard allait regretter son affront !

Ce qui m’attire chez elle, c’est l’espoir et la gentillesse qu’elle place dans les gens qui l’entourent sans rien exiger en retour. C’est une battante qui a su demeurer tendre malgré les épreuves qu’elle a traversées. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un comme elle… En définitive, j’ai compris hier soir que je suis absolument incapable de lui faire le moindre mal. Tu es à l’origine de cette prise de conscience, si on y réfléchit bien.

Nous sommes pareils tous les deux, nous obéissons à des instincts primaires qui font de nous des prédateurs, par excellence. Nous éradiquons les créatures faibles qui se dressent sur nos routes. Annie n’est pas une partenaire appropriée pour un mec aussi dangereux que toi, mû par une soif d’absolu. Elle est beaucoup trop coincée et insipide. Ses valeurs sont assommantes ! Tu crèverais à petit feu en vivant auprès d’elle au quotidien. Tu nages en plein délire en espérant le contraire, mon pauvre Marco !

Nous sommes des êtres dépourvus de morale dont les chemins se sont croisés par inadvertance. Nous nous entre-dévorerions si nous continuions à nous voir. Coucher ensemble n’est pas une fin en soi. C’est vrai qu’on s’est bien amusés, mais ce n’était qu’un passe-temps temporaire. Je croyais que tu avais compris les règles du jeu.

J’ai appris à connaître Annie, à voir en elle une bonté que je pensais étrangère à ce monde. Pour un homme comme moi qui a toujours vécu dans la violence et le mensonge, cette femme représente un don du ciel. Je n’ai pas le droit de lui infliger le moindre mal. Elle a suffisamment souffert dans la vie.

Il faudrait être aveugle pour ne pas remarquer l’admiration que tu éprouves quand tu la regardes. Mais si tu la considères comme un simple jouet, Annie est carrément tombée amoureuse de toi. J’avoue même être un peu déçue que cette bécasse divorcée ne t’ait pas donné plus de fil à retordre avant de tomber dans tes bras. Tu ne penses pas que la séduire est un défi qui manque d’envergure pour un professionnel de ta trempe ?

Tout le monde a quelque chose à cacher.

Je livrais une guerre implacable pour accroître ma société et écraser mes ennemis depuis tant d’années que j’en avais oublié combien pouvait être agréable, pour ne pas dire réconfortante, la chaleur d’un partenaire.

Surtout, je ne m’étais jamais sentie aussi désirable dans le regard d’un amant.

Désormais, le Papillon était un prisonnier à ma merci. Je m’accordai quelques secondes pour me repaître du spectacle fascinant offert par ce corps masculin et haletant que j’avais conquis, avant que mes chairs n’accueillent son pénis érigé avec audace. Je me cambrai, le souffle court alors que mes muscles et mes entrailles se contractaient. Puis, reprenant en main la cadence de ma respiration, je décidai de rendre la pareille à Marco en ondulant lascivement sur lui, comme il l’avait fait plus tôt avec moi. Je voulais lui faire perdre la raison, l’entendre m’encourager et m’implorer tour à tour. Je ralentissais le rythme de mes hanches lorsque je sentais mon otage sur le point de jouir. J’avais la ferme intention de prolonger notre plaisir mutuel aussi longtemps que possible en jouant avec les flux et reflux de nos corps.