Intriguée par la couverture et par les nombreux avis que je voyais passer, j'ai lu
le Mal-épris de
Bénédicte Soymier.
C'est l'histoire de Paul, un homme d'âge moyen, décrit comme laid, sans aucun goût vestimentaire. Terne à pleurer. Dès les premières lignes, c'est le portrait d'un antihéros qui est brossé, ancré dans la réalité dans ce qu'elle a de plus banal. Et de plus vrai.
Paul travaille à la Poste, reluque sa belle voisine, arrive brièvement à la séduire pour finalement, rejeté par elle, se consoler Angélique, une collègue de travail naïve de tant vouloir être aimée.
Paul et Angélique, ce sont deux êtres naufragés, cherchant dans leur dérive un point d'ancrage. Leur désespoir est touchant, et un peu effrayant aussi. Ils s'arriment l'un à l'autre, persuadés de s'aimer, alors que ce qu'ils veulent réellement, c'est trouver dans le regard qu'on pose sur eux une raison de s'estimer soi-même.
Les deux expriment le rejet des apparences. Les apparences, c'est une sensualité omniprésente pour Angélique, qui conditionne immédiatement le regard des hommes et qui va susciter la jalousie de Paul. Peut-elle être autre chose que chair voluptueuse ? Avec Paul, elle croit que oui, et c'est sans doute la raison pour laquelle elle s'accroche à lui.
Paul, de son côté, enrage d'être exclu du cercle des beaux, qu'il déteste à défaut de pouvoir le rejoindre.
Chacun court après la soif éperdue d'être vu, réellement vu et regardé. Cette illusion deviendra leur ciment autant qu'elle causera leur perte. Mais d'une certaine manière, ils en sortiront grandis et dans la fin malheureuse réside, pour qui sait le voir, un message d'espoir.
Le style est précis et il s'enroule autour du lecteur pour l'emmener, avec les personnages, au coeur d'un tourbillon d'amour maladroit et de violence mal contenue. Les expressions sont travaillées, intelligentes, surprenantes de justesse dans leur originalité.
Bénédicte Soymier explique minutieusement les rouages de la violence conjugale, en montre les racines, expose la puissance d'une pulsion qui fait souffrir, la victime d‘abord mais aussi celui-là même qui s'en rend coupable. Comprendre est essentiel, et ici on explique sans juger. Sans excuser non plus.
Les personnage, complexes, sont à la fois courageux et lâches, attachants et détestables. Si profondément humains. Pour avoir montré les mécanismes des tragédies individuelles dont naissent les drames qui traversent la société,
le Mal-épris, premier roman sensible et délicat, est une véritable réussite.