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EAN : 978B0000DMNPO
Payot et Rivages (30/11/-1)
5/5   1 notes
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« Les Trois Bambous » est le premier roman de Robert Standish, pseudonyme littéraire de l'écrivain anglais Digby George Gerahty (1898-1981), principalement connu en France pour son roman « La Piste des Eléphants » (adapté en 1954 au cinéma, avec Elisabeth Taylor) et d'autres récits d'aventure exotiques plus mineurs.
Cependant, « Les Trois Bambous » est une oeuvre à part dans la bibliographie de Standish. D'abord, c'est son premier roman, finalisé peu de temps après l'attaque de Pearl Harbour, et publié en 1942. Ensuite, ce roman fut écrit au départ de manière très fragmentée, au fur et à mesure que Standish découvrait le Japon et y séjournait. Les principales parties de ce roman ont été rédigées en 1920, 1927, 1939 et 1941, mais Standish a magistralement restructuré et harmonisé ses manuscrits de manière à ce que son roman ne laisse rien voir de ce "collage" final.
« Les Trois Bambous » est un livre bien plus ambitieux que les romans postérieurs de Standish. L'auteur a voulu nous faire découvrir le Japon au travers de deux notions fondamentales de sa culture :
- D'abord la mentalité japonaise, disséquant la mécanique intellectuelle de l'âme japonaise, si différente de la nôtre, car doublement assujettie à un pragmatisme rationaliste et à un orgueil démesuré et totalement mystique.
- Ensuite, de la façon dont, en adaptant la tradition samouraï aux nouvelles méthodes libérales occidentales, le Japon est passé en quelques années d'une société féodale arriérée à la pointe du modernisme industriel.
Ce roman initiatique, démonstratif au sens premier du terme, est néanmoins exempt de tout racisme ou de toute pensée ouvertement coloniale. Bien que britannique, Robert Standish s'est pris de passion pour la culture traditionnelle japonaise, et a voulu nous la rendre accessible par une vision intérieure, préfigurant le « Shogun » de James Clavell.
Bien que le roman s'inspire d'une véritable dynastie d'industriels japonais née au XVIème siècle, les Mitsui, mais dont la réussite flamboyante a pris plusieurs siècles pour arriver à son faîte, Standish a préféré retranscrire leur destin sur une période qui va de 1833 à 1941.
L'histoire de la véritable famille Mitsui et de la famille imaginaire Fureno commence d'une façon assez similaire : une famille de samouraï déclassés, persécutée par le pouvoir en place, décide d'envoyer ses trois fils dans un long voyage de plusieurs années, depuis la Chine jusqu'à l'Angleterre, afin d'y apprendre les règles du commerce, de la stratégie de vente et du libéralisme, et qu'ils puissent à leur retour en doter le Japon et permettre aux Fureno de retrouver le rang qui fut celui de leurs ancêtres.
De ces trois fils, la première partie du roman s'attache d'abord à l'aîné, Tenjo, qui possède un ascendant total sur ses frères. Il est le plus déterminé à apprendre, à dominer et à parfaire les méthodes de gestion et de vente. Etudiant brillant, mais glacial, dénué de tout scrupule, et partant du principe que la nature divine du peuple japonais fait qu'il peut tout se permettre dans le monde occidental, Tenjo devient rapidement un calculateur odieux et un homme d'affaires sans pitié, qui comprend rapidement que pour investir davantage, il faut se risquer à des trafics jugés illégaux, comme l'exportation de l'opium ou les réseaux de prostitution. La méthode est payante, d'autant plus que pour éviter tout risque de scandale, Tenjo crée "La Société des Petites Fleurs", un réseau de tueurs à gages chargés de menacer ou de faire taire tous ceux qui tentent de freiner ou de mettre à mal la stupéfiante ascension sociale de la famille Fureno.
Au bout de vingt ans, la famille de samouraïs déclassée est devenue la plus puissante industrie du Japon, les Fureno ont même provoqué la chute de l'Empereur qui les avait chassé de leurs terres. Mais l'aîné des Fureno, le père qui vingt ans auparavant, avait envoyé ses fils en Occident, se heurte violemment à Tenjo, lui reprochant de s'être éloigné du code d'honneur des samouraïs suivi par leurs prestigieux ancêtres, de ne plus se battre courageusement avec le sabre, mais d'employer des stratégies lâches, mesquines et indignes d'un samouraï. Tenjo, furieux, lui rétorque que ces valeurs sont périmées, et que ce sont précisément ses méthodes à lui qui ont permis aux Fureno de devenir la première famille du Japon. le père et le fils ne peuvent plus se comprendre, et Fureno L'Aîné s'éteint en maudissant la chair de sa chair.
Humilié par ce manque de reconnaissance, et fondamentalement incapable de se remettre en question, Tenjo Fureno décide de pousser encore plus loin la domination du pays par sa famille, afin que nul ne doute plus de sa légitimité. Il commence par rejoindre au Tibet un vieil oncle mystique qui s'est exilé tout jeune dans une lamaserie, dont il est devenu le directeur spirituel. Prétextant traverser lui-même une crise mystique, Tenjo parvient à lui faire miroiter une résurgence universelle du Bouddhisme pour le pousser à lui laisser la direction de cette lamaserie. Aussitôt le temple entre ses mains, Tenjo écarte son oncle et fait des lamaseries tibétaines une plaque tournante et insoupçonnable du trafic d'opium.
Toujours obsédé par sa respectabilité, Tenjo s'offusque que l'un de ses frères, envoyé en Amérique, y ait épousé une barbare blonde. Ce mélange racial avec une famille de samouraïs lui semble insupportable, et il envoie aux Etats-Unis des membres de la Société des Petites Fleurs pour assassiner la blonde épouse en se faisant passer pour des immigrés chinois. Ne soupçonnant rien, le frère de Tenjo, inconsolable, revient au Japon et Tenjo a vite fait de le marier avec une Japonaise d'excellente famille.
Après une vie de forfaitures et de réussite sociale insolente, Tenjo Fureno s'éteint paisiblement, transmettant les rênes de son empire à son fils Tomo. Celui-ci est fort différent de son père, et se contentera toute sa vie d'une gestion relativement tranquille, sans nouvelles initiatives. Plus préoccupé que son père par l'héritage perdu du code des Samouraïs , il participe au renouveau du "Bushido", en accord avec le monde moderne. Son propre fils, baptisé lui aussi Tenjo en hommage à son grand-père, subit ainsi le double enseignement du pragmatisme affairiste et corrompu de son grand-père et du "Bushido" cher à son père.
Lorsque Tenjo II s'empare de l'empire Fureno au début des années 1910, il est rapidement fasciné par la Première Guerre Mondiale qui ravage l'Europe. Investissant dans une industrie nouvelle d'armes, de munitions et d'accessoires divers, il double presque la fortune de son empire durant quatre ans. Cela lui ouvre les portes d'une reconnaissance internationale qui achève de le convaincre que ces barbares occidentaux sont décidément des sots dont on peut tirer n'importe quoi. Tenjo Fureno II estime que le Japon doit s'emparer de toute l'Asie et de l'Europe, et que c'est son destin à lui de pousser au-delà des frontières du Japon l'empire industriel crée par son grand-père.
Les Fureno étant intimement liés avec l'Allemagne, du temps du premier Tenjo, ils suivent avec intérêt, durant les années qui suivent, la montée du National-Socialisme et se sentent très proche de la mentalité d'Adolf Hitler, avec lequel ils pactisent, persuadés là aussi qu'ils peuvent instrumentaliser l'Allemagne afin qu'elle domine l'Europe, qu'elle l'affaiblisse, et que le Japon ait la voie libre pour écraser l'Allemagne et s'emparer de l'Europe. Tenjo Fureno II consacre ses dernières années à contribuer au déclenchement de la Seconde Guerre Mondiale et demande pour lui et pour ses frères l'insigne honneur de finir leur vie dans un avion kamikaze qui lancera l'attaque sur Pearl Harbor. « Les Trois Bambous » s'achève sur cette sinistre rencontre de la conquête agressive de l'industrie japonaise mêlé au code d'honneur retrouvé et belliqueux de la tradition samouraï, et qui débouche sur le massacre historique de Pearl Harbor.
Si les Fureno n'ont jamais existé, le développement exceptionnel du Japon et ses accointances avec des prétentions mafieuses ou guerrières sont néanmoins réelles. Robert Standish a voulu prouver que la rencontre du code du samouraï et du libéralisme à l'occidentale a entraîné le Japon tout entier dans une voie tragique. Bien qu'il fut publié avant les cataclysmes d'Hiroshima et de Nagasaki, qui ont balayé de la plus cruelle des manières un siècle d'ambitions japonaises démesurées, « Les Trois Bambous » résume à travers celle d'une famille unique la destinée d'un pays qui vécut durant des siècles dans le plus total repli culturel, et s'enivra dangereusement de ses prétentions divines lors de sa contribution à l'économie mondiale. Ces "Trois Bambous" sont d'ailleurs l'emblème de la maison des Fureno : face à la tempête, les bambous plient mais ne rompent pas, alors que le chêne massif, de par son poids-même, est aisément déraciné par l'ouragan. Ainsi, les Fureno et le Japon se sont crus indestructibles, et ont pris chaque faveur qu'on leur accordait comme une marque de faiblesse où de condescendance de la part d'une population de barbares aisément manipulables. Selon Standish, de parce qu'il se croyait d'essence divine, le Japon ne pouvait qu'être amené à vouloir dominer le monde par le biais d'une méthodologie appliquée, inspirée par le "Bushido".
La valeur historique de ce roman est cependant discutable, même si la démonstration est bluffante et permet aussi de comprendre la nature réelle de ce qui, aujourd'hui encore, apparait mystérieux ou hypocrite dans l'âme japonaise aux yeux d'un Occident chrétien qui, de son côté, instrumentalise et abuse tout autant de l'empathie, dans une logique inverse. L'auteur sait particulièrement bien montrer comment un évènement ou un projet est perçu différemment par un membre de la famille des Fureno et par ses interlocuteurs britanniques ou allemands. Cela permet de comprendre pourquoi la froideur asiatique nous semble si effrayante, et pourquoi, au fond, elle ne nous effraie que parce qu'elle n'obéit pas à la morale chrétienne, qui par ailleurs, peut sembler tout autant incongrue ou perverse aux yeux d'un Japonais.
« Les Trois Bambous » est donc à prendre comme un récit quasiment ethnosociologique, né de la plume d'un citoyen britannique, au coeur déchiré entre sa patrie et ce Japon qu'il adore, et se désolant d'avoir compris que tôt ou tard, ils devront s'affronter. Il tente, par son livre, de dresser un pont qui permette la compréhension mutuelle basée sur un réalisme pur. Seuls les personnages féminins, systématiquement écartés du pouvoir, ont aux yeux de Standish les véritables clés de la sagesse. Les hommes, obsédés par leurs règles, leurs ancêtres, leur orgueil national, finissent tous dans la corruption, le racisme et l'erreur de jugement.
« Les Trois Bambous » est à la fois un roman exotique et palpitant, et un récit effroyable et malaisé. La compétence de Robert Standish pour disséquer ainsi sous nos yeux l'âme japonaise reste sujette à débat, même si on ne peut lui dénier un sentiment sincère de pacification, partant du principe que l'on s'estime mieux quand on comprend bien toutes nos différences. Il n'empêche que cet auteur, parlant cruellement d'un peuple qui n'est pas le sien, même si on ne doute pas qu'il connaissait son sujet sur le bout des doigts, se verrait aujourd'hui reproché une appropriation culturelle et une vision caricaturale, ce qui serait sans doute très exagéré, mais pas totalement faux.
Malgré sa richesse et son érudition, « Les Trois Bambous » n'est qu'un roman, et n'a pas valeur de documentaire. Robert Standish témoigne en tout cas d'une vision plus profonde, plus cultivée, de ce "péril jaune" qui fut l'une des paranoïas sociétales majeures du XXème siècle, tout en prônant ouvertement le respect et l'acceptation d'une culture ancestrale différente, contre laquelle il faut se prémunir - car elle peut être dangereuse -, mais envers laquelle on ne peut se permettre de manquer de respect et d'estime.
Nul doute que Robert Standish n'imaginait pas, en publiant son roman, que la riposte américaine serait aussi démesurée et aussi définitive, et que le Japon prendrait conscience de ses erreurs et renoncerait pour toujours à ses rêves de domination. Ce roman était fait pour s'inscrire dans la durée de l'évolution d'un peuple, et même si l'on peut juger à présent que le problème japonais ne se pose plus, « Les Trois Bambous » reste encore aujourd'hui une oeuvre fascinante, envoutante et vénéneuse, dont la lecture est toujours riche d'enseignements, même si le Japon dont il est question ici est désormais relégué pour toujours au rayon des souvenirs.
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