Zoya entra sur la pointe des pieds dans la chambre où Marie dormait et elle resta un long moment à la regarder. Cela l'ennuyait de la réveiller, mais elle ne pouvait pas partir sans dire au revoir. Ell ne pouvait pas supporter l'idée de la quitter, pourtant il n'y avait pas moyen de faire autrement à présent. Sa grand-mère attendait au rez-de-chaussée et Nicolas avait tout prévu pour elles. Elles devaient suivre le long itinéraire scandinave, par la Finlande et la Suède, jusqu'au Danemark. Il avait donné à Evgenia le nom d'amis de sa tante danoise, et Fiodor les accompagnait pour les protéger. Tout avait été décidé. Il ne restait plus qu'à dire à son amie un dernier adieu. Elle la regarda s'agiter fiévreusement sous son drap, puis Marie ouvrit les yeux et sourit au visage familier, cependant que Zoya s'efforçait vaillamment de retenir ses larmes.
On avait voulu les faire disparaître de la surface de la terre, sans laisser une seule trace. Mais c'est impossible d'annihiler la beauté, la dignité et la grâce, l'amabilité et la compassion, de supprimer des gens qui étaient si foncièrement bons et affectueux. En fait, on n'avait pas réussi à détruire ce qu'ils représentaient. Leurs corps avaient disparu, mais leur esprit vivrait à jamais.
L'empereur Alexandre, partit à la guerre qui sévit en Europe, ne se rend pas compte de la situation catastrophique qui règne dans la Grande Russie. Sa petite cousine, Zoya, est forcée de fuir, avec sa grand-mère, très âgée, la révolution qui commence à se soulever. Elles arrivent dans un Paris miné par 14-18. Elle doit leur survie par sa participation aux ballets russes de Diaghilev mais aussi à un peu d'entraide de la communauté russe, les russes blancs. Puis son mariage avec un officier américain, après le décès de sa grand-mère chérie, l'emmène aux Etats-Unis où la grande crise de 1929 et la mort de Clayton, l'obligent à retourner danser pour nourrir ses deux enfants...
Une destinée, certes romancée, mais avec un côté historique dont la lecture se fait avec plaisir.
- Qu'est-ce que vous faites ici ?
Elle s'avança lentement vers lui, attirée par une force magnétique qu'elle n'avait jamais ressentie auparavant. C'était comme si, indépendamment de sa volonté, elle était irrésistiblement entraînée vers lui. Il laissa tomber à terre la serviette et la serra contre lui, couvrant de baisers son visage, ses yeux, ses lèvres, goûtant la douceur de sa peau à en avoir le vertige.
- Descendez, Zoya.
Sa voix était enrouée. Il voulait l'écarter de lui, mais il était incapable de la faire.
- Je vous en prie...
Elle le regarda d'un air triste, presque peiné, mais pas effrayé.
- Je n'en ai pas envie...
- Zoya, s'il vous plaît...
Mais il ne fit que l'embrasser éperdument, sentant le coeur de Zoya battre follement contre sa poitrine.
- Clayton, je vous aime...
- Je vous aime aussi.
Et il se détacha finalement d'elle, péniblement.
- Vous n'auriez pas dû monter ici, petite folle.
Mon frère aurait déclaré que vous êtes fou. Comme cuisinière, je suis exécrable, je déteste coudre. Je ne sais faire ni de l'aquarelle ni du tricot. Je ne suis pas sûre d'être capable de tenir une maison, non que cela ait de l'importance maintenant...
Et Saint-Pétersbourg était tombée. C'était le mercredi 14 mars et en une nuit un monde entier avait changé.
C'est alors qu'il les aperçut soudain...Zoya le dos bien droit dans le tailleur Chanel et sa propre fille, ses cheveux noirs volant au vent tandis qu'elle parlait avec animation de quelque chose. L'ancien et le nouveau. Le passé et l'avenir, rentrant à la maison la main dans la main.
Elle attendit la suite, le coeur battant, sûre qu'il y
aurait une fin heureuse. Après tout ce temps, impossible qu'il en soit autrement. Voyons, la vie ne pouvait pas
être assez cruelle pour laisser les bolcheviks tuer les
gens qu'elle aimait tant...