À la mesure de l'univers

Certains moments de l´existence vivent éternellement en nous, ce sont des cailloux luisants que nous ressortons quand les ténèbres nous cernent.

Les morts sont égoïstes, ils s'en vont dormir et nous laissent tout ranger derrière eux, ils nous laissent sur les bras tout leur fatras, que va-t-on faire de ce canapé et de ces fauteuils, des couverts, des chaussettes, de la nourriture dans le frigo. Il faut s'occuper des factures, il faut porter les défunts sur notre dos jusqu'au cimetière. Quel fardeau la mort est pour la vie.

Combien de jours vivons-nous sur cette planète, qui, au fil d’une vie, comptent réellement, des jours où des choses sont susceptibles d’advenir, qui rendent notre existence plus lumineuse et plus pleine le soir qu’elle l’était le matin — combien de jours ?

Tu as composé trois recueils, puis tu as renoncé, pourquoi? Tu ne sais donc pas que c'est un devoir de se servir des dons qu'on a reçus. Celui qui a une voix doit chanter. Celui qui a un cerveau conçu pour calculer doit résoudre des équations complexes. Celui qui comprend l'âme humaine doit devenir psychologue ou pasteur et consoler les autres. Personne ne t'a donc jamais dit que celui qui ne se sert pas de ses dons trahit la vie, qu'il se trahit lui-même et se condamne à mourir malheureux ?

Mon Dieu, comme elle l'a aimé intensément. Et longtemps. Longtemps, elle a cru qu'elle ne se lasserait jamais de lui, elle était insatiable. Mais il est peut-être plus difficile d'aimer que nous n'en avons conscience et ce n'est qu'au début que l'énergie générée par l'amour est assez importante et continue pour que tous les obstacles s'évanouissent, réduits à néant. Ensuite, les choses ralentissent. Mais la chaleur peut subsister, dans les profondeurs, et elle suffit à chauffer des planètes entières; pour peu que nous soyons assez déterminés à l'entretenir. Et disposés à nous sacrifier de temps à autre sans perdre notre indépendance. Car l'amour est à la fois sacrifice et art de l'équilibre.

et les voici maintenant tous les deux dans cette nuit d'automne sous ce ciel sombre, sans doute alourdi par le sommeil du Seigneur, et parsemé d'étoiles qui, lumineuses ou pâles, constituent ses rêves. Or ce devrait être une consolation, une manière de soulagement, de savoir que les rêves de Dieu émettent de la lumière, il y a donc de l'espoir, malgré tout.

Les nuits, aussi. Je tiens à le préciser particulièrement parce que ce n'est pas la meme chose, parce que les jours et les nuits aucune parenté, ce sont deux mondes particuliers qui n'ont presque rien en commun. Les jours, par exemple, diffèrent les uns des autres. Certains se résument au soleil, au ciel et aux chants d'oiseaux, d'autres sont gris de pluie et de nuages pesants que l'air peine à porter, alors, il fait froid dans les deux ailes de la grande bâtisse, aussi bien au rez- de-chaussée qu'à l'étage. Parfois, on nous donne de bonnes choses a manger, parfois, on nous donne des gâteaux secs, parfois, les repas sont mauvais et il faut une éternité pour unir son assiette. Parfois, la joie règne en maître et les jeux sont tellement amusants que les enfants oublient presque la mort, la maladie, l'alcool, la lourdeur des poings, la dureté des paumes, ils se contentent d'exister, la lumière monte de terre jusqu'au ciel, les femmes qui veillent sur eux ont des bras accueillants, elles sentent bon. Puis vient la nuit.

Le père et le fils se regardent. Pas très long temps, entendons par là que c'est plutôt bref à l'échelle du temps qui permet de mesurer les événements qui se produisent à la surface de cette terre, entre les étoiles, à l'échelle du temps mesuré par la pendule, mais pour eux, ce bref instant équivaut à plusieurs minutes d'une lourdeur de plomb, c'est un bloc de pierre que le temps peine à trainer derrière lui.

Ce n'est vraiment pas le rêve que de vivre au-dessus de l'amour, on devrait même considérer ça comme un défaut caché du logement. Ça devrait être interdit, répète le vieux en frappant à nouveau le sol, nous ne savons toutefois pas exactement ce qu'il entend par là, s'il faut interdire l'amour lui-même ou le fait qu'il s'installe comme ça, n'importe où, et surtout dans un immeuble, impossible d'imposer àl'amour les règles de la copropriété, les règles élémentaires de la politesse

... celui qui ne connaît pas son passé, ou qui refuse de l'assumer, se perd immanquablement dans le futur. Celui qui veut avancer doit parfois d'abord consentit à retourner en arrière.