Cette année, je me suis promis de lire plus de classiques et ayant adoré les adaptations cinématographiques de ce grand auteur américain qu'est Steinbeck et vénérant les illustrations de
Rébecca Dautremer, la rencontre des deux était pour moi une évidence.
Pour cela, l'éditeur français nous offre un objet de toute beauté, décrypté en plus par l'autrice qui nous le présente en fin de volume avec beaucoup d'humour. C'est dans un format étrange entre grand et petit format, avec un nombre de pages conséquent dû à une mise en page originale, que se présente cette édition illustrée du titre phare de l'auteur américain.
Pour qui a vu le film comme moi, il n'y a aucune surprise, l'éditeur ayant choisi de publier le texte intégral, nous retrouvons tout ce qui fait le sel de ce titre si âpre. C'est en effet une histoire poignante, un drame dans l'Amérique profonde traitant d'un bref instant de vie d'un groupe de saisonniers marginaux. Comme dans
le bruit et la fureur de
Faulkner, l'auteur met en scène un personnage handicapé, ayant un retard mental, Lennie, qui va de ville en ville, fuyant les problèmes qu'il sème sans le vouloir, avec son grand ami George qui s'occupe de lui et répare les pots cassés.
Là où l'histoire prend aux tripes, c'est qu'elle met en scène une Amérique profonde des années 30 totalement crédible, avec une ferme isolée où la femme du fils du proprio s'ennuie, où son mari est un petit roquet, où les saisonniers sont tour à tour des noirs qu'on laisse de côté, un jeune handicapé ou de pauvres bougres qui ne vivent que pour aller au bouge. Mais Lennie et George, eux, rêvent de sortir de leur condition et un jour d'acquérir une petite propriété pour élever tranquillement des lapins. Sauf qu'ils détonnent dans le paysage et que Lennie ne peut s'empêcher de faire du mal aux créatures autour de lui sans le vouloir.
C'est une histoire extrêmement triste car chacun vit dans la misère, a très peu de rêves et a une vie assez morose. L'arrivée du duo crée un peu d'animation, tout comme les tentatives de séduction de la femme du fils du proprio, mais on sent très vite qu'un drame s'annonce et nous suivons alors avec émotion le récit de leur quotidien en attendant juste le point de bascule, qui quand il arrivera saisira par sa soudaineté, sa brièveté et sa violence non contrôlée et involontaire. C'est assez brutal et terrifiant. On se sent totalement impuissant et terriblement triste et la fin bouleverse totalement même en la connaissant d'avance.
Mais je n'aurais probablement pas lu ce texte s'il n'avait pas été illustré par
Rébecca Dautremer, soyons honnête, vu que je connaissais déjà l'histoire. Certes la plume âpre et directe de l'auteur m'a toujours séduite mais c'est surtout tout le travail graphique que j'ai trouvé magistral. S'inspirant des classiques de l'art américain, l'autrice montre une palette d'une grande variété. Elle alterne un style classique américain à la Hooper qu'on a pu lui voir dans ses albums précédents, avec un ensemble de croquis à l'orange sanguine mélangés à des dessins avec un effet patchwork et carnet de croquis d'artistes, il y a aussi des détournements d'affiches de cinéma et de publicités américaines. C'est extrêmement pop !
Et à côté de ce côté très "culturel", il se dégage aussi énormément d'émotion du trait de l'autrice. On sent qu'elle y a mis ses tripes dans ce travail de longue haleine. C'est extrêmement poétique et engagé mais aussi intime. le choix d'une palette colorimétrique limitée ajoute en force d'impact. Et la mise en page qui donne l'impression de suivre le story-board d'un film ajoute à l'originalité de l'objet. Les dessins accompagnent et soulignent vraiment le texte qui virevolte tout autour. C'est magique !
Ainsi, l'objet livre des éditions Tishina est vraiment un superbe objet rendant parfaitement hommage au travail de Steinbeck, à la puissance de ses mots et de son histoire. J'ai vraiment adoré la synthèse et l'union des deux dans cette forme magique qui souligne l'âpreté et la douleur de cette histoire.
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