e livre raconte la vie des Blancs et des Noirs à Jackson Mississippi au début des années 60, leurs espoirs, leurs rêves et leurs combats à travers trois personnages principaux, deux noires et une blanche. Ces trois femmes vont entreprendre ensemble la rédaction d'un livre qui rassemble les différents témoignages de bonnes et leurs expériences chez les patrons blancs.
Il y a beaucoup de clichés. le plus évident est évidemment le personnage de Miss Hilly, cliché de la jeune femme de bonne famille raciste. Cependant, c'est le milieu qui a conditionné Hilly Holbrook à penser comme elle le fait (ce qui nous permet de faire un parallèle avec
Zola et sa fameuse influence du milieu sur les caractères) donc nous avons presque envie de lui pardonner.
Minny est quant a elle le cliché de la bonne courageuse mais grande gueule qui ne tourne pas assez la langue dans sa bouche avant de parler, ce qu'elle peut regretter : son renvoi lui enlève son salaire et donc comment élever ses enfants dans ses conditions ?
Aibileen est quant à elle plus douce et timorée, elle ne veut surtout pas perdre sa place, dut-elle pour cela s'abaisser à remercier les Blancs toute la journée et être traitée en esclave.
Elizabeth Leefolt se fait marcher sur les pieds, elle n'aime pas ses enfants. de ce coté-ci, elle fait penser à
Daisy Buchanan dans Gatsby le Magnifique qui laisse le soin à la gouvernante de s'occuper de sa petite fille. Certainement qu'Elizabeth elle-même a été élevée comme cela. Comment s'étonner alors qu'elle ne puisse prouver son amour (si elle aime véritablement sa fille ce dont nous doutons) à Mae Mobley ?
Miss Skeeter est une féministe qui croit en l'avenir des femmes. Au début du roman, elle revient de faire ses études. L'élément déclencheur de sa résolution à rédiger ce livre est le départ mystérieux de sa bonne Constantine, qui l'a élevée depuis son plus jeune âge. Malgré les questions qu'elle pose, elle n'obtient pas de réponse quant au renvoi précipité de celle-ci. Elle décide alors de mener son enquête mais elle se heurte à un mur lorsqu'elle essaie de parler avec Aibileen, une bonne noire qui la connaissait bien. Elle comprend alors que ce silence cache la peur d'avoir des problèmes avec les Blancs. Altruiste, elle veut aussi améliorer sa relation avec les bonnes et l'atmosphère qui règne dans les maisons entre domestiques et employeurs. En parallèle, elle veut publier dans les journaux. Poussée par Mrs Stein d'Harper and Row à New York, elle va peu à peu s'émanciper et affirmer de plus en plus ses idées : égalité entre blancs et noirs et parité. Forte de sa conviction de l'égalité entre « les races » pourrait exister, elle entreprend la rédaction d'un livre qui sera publié anonymement et fera grand bruit à Jackson Mississippi. D'abord méfiantes, les bonnes vont peu à peu apprendre à lui faire confiance. Ce qui change la donne est aussi l'arrestation de Yule May (voir plus loin) qui va les inciter à prendre la parole et raconter leur vie. On découvre alors que certaines d'entre elles travaillent depuis leurs 14 ans chez des Blancs, déscolarisées à cause du manque d'argent de leurs parents et ipso facto forcées de gagner leur pain à la sueur de leurs fronts. Certaines histoires sont tellement affreuses qu'il faut les relire plusieurs fois pour se persuader de leur véracité.
L'émancipation et la rébellion de Skeeter entraîne son détachement de la communauté blanche. Rejetée par Hilly qui manipule les autres femmes du quartier, elle n'a plus la possibilité d'évoluer dans le même cercle. D'abord blessée, elle s'en remettra à la fin et prendra un nouveau départ.
Le côté dérisoire des querelles des Blancs est bien souligné avec de ridicules histoires de non-publication dans la gazette, jalousies amoureuses, etc.
Pendant ce temps, des Noirs se font tirer dessus par le KKK, se font renvoyer pour une bagatelle. Minny doit encaisser les coups de son mari tous les soirs lorsqu'il revient ivre.
Et les Blancs organisent des tombolas et des collectes de fond pour les enfants en Afrique, alors que la pauvreté se trouve juste en face de leur porche ou presque, dans un autre quartier de leur propre ville. le paradoxe est poussé à son paroxysme avec Hilly qui refuse à sa bonne Yule May de lui avancer de l'argent pour qu'elle puisse envoyer ses deux fils à l'université (notons au passage que la somme demandée constitue une très grosse somme pour Yule May mais qu'elle est complètement dérisoire au vu des revenus du mari de Miss Holbrook).
Résultat, Yule May vole un bijou apparte
nant à sa patronne (qui en possède des milliers d'autres) et est envoyée en prison pour vol sur l'accusation de Miss Hilly.
Ce roman a un caractère choquant car il se déroule en 1962. le lecteur ressent donc cette proximité dans le temps qui devient particulièrement dérangeante au fil de la lecture, à mesure que les Blancs multiplient leurs horreurs : meurtre, etc.
Pour nous lectrices du XXIème siècle, ces réactions sont arriérées (XIXème siècle plus que milieu XXème).
Les confrontations de points de vue sont particulièrement intéressantes.
L'histoire se déroule dans le Mississippi, un des Etats les plus racistes des Etats-Unis. Là-bas, les gens sont des Sudistes, ils ont pris part à la guerre de sécession en faveur de l'esclavage. La vie est quasiment rythmée par les arrestations, les violences et les meurtres de noirs perpétrés par la communauté blanche. En 1962, la tension est à son paroxysme :
Martin Luther King et ses partisans multiplient les discours, allocutions et marches pacifistes,
Rosa Parks a montré la voie en 1955 avec son refus de laisser sa place à un blanc dans un bus à Montgomery en Alabama. On assiste à une véritable remise en cause de l'attitude des Blancs dont certains prennent parti pour l'égalité entre blancs et noirs et l'abolition des lois Jim Crowe.
L'endoctrinement des enfants a lieu dès leur plus jeune âge : leurs parents leur répètent à longueur de journée que les Noirs ne sont pas leur égaux, qu'ils transmettent des maladies, qu'ils sont sales…
Ce qui a un coté paradoxal : il faut absolument construire des toilettes séparées pour sa bonne noire pour ne pas risquer d'attraper je ne sais quelle maladie mais cette même bonne s'occupe du matin au soir des enfants de des patrons blancs, de manière intime, elle change les couches, les porte dans ses bras.
Les préjugés se renforcent en grandissant avec les vecteurs culturels comme la radio, la télévision et la lecture mais aussi avec la fréquentation d'autres jeunes eux-mêmes subissant un véritable lavage de cerveaux de la part de leurs parents.
Ce qui explique pourquoi Aibileen comme elle l'explique à Miss Skeeter quitte la famille dans laquelle elle travaille quand les enfants dont elle a la charge se mettent à réaliser qu'ils sont soi-disant supérieurs aux Noirs.
L'histoire d'amour Stuart-Skeeter apporte un peu de piment à l'histoire. le fait que ces deux-là ne peuvent pas finir ensemble donne un côté réaliste. Cependant nous nous interrogeons sur le côté même réaliste de la relation amoureuse entre ce fils de sénateur et cette fille de propriétaire de plantation. Est-ce vraiment plausible ? Pourquoi Stuart apprécie Eugenia alors qu'elle a des idées révolutionnaires et des vues arrêtées dès le départ ? Pourquoi l'auteur amène le lecteur à se rendre à l'évidence seulement lorsque Sketter Phelan avoue à son petit ami qu'elle écrit un livre sur les conditions de vie des bonnes noires à Jackson ? Leur vie amoureuse est vouée à l'échec dès le premier instant.
Le père de Stuart, le sénateur semble être tiraillé par la peur de perdre sa place s'il prend parti pour les Noirs et le désir de justice sociale qui semble l'animer tout de même.
Ce roman est un roman sur le racisme, certes mais aussi sur les femmes. Les personnages féminins abondent, blanches comme noires alors que les protagonistes masculins sont effacés, quasi absents. L'auteur les laisse s'exprimer à travers les voix de Minnie et Aibellen (bonnes noires au service de blancs) mais aussi Eugenia Phelan (alias Skeeter) jeune femme blanche. le combat de Skeeter est particulièrement prenant et expose la difficulté des femmes à trouver un travail intelligent dans les années 60 : au début du livre, si Skeeter veut écrire, elle doit le faire dans le journal de Jackson et doit s'occuper des chroniques ménagères. Rappelons que lire le journal était considéré comme une mauvaise attitude : les femmes n'étaient pas censées se mêler de politique et d'économie.
La mère de Skeeter, Mrs Phelan fait penser aux vieilles tantes dans les romans de
Jane Austen : indolente, elle reste chez elle toute la journée. Son seul centre d'intérêt étant trouver un bon parti pour sa fille. On constate qu'on est encore dans ces mariages arrangées : mis à part Celia Foote, aucune de ces femmes n'est heureuse avec son mari.
L'atmosphère très bien reconstituée : les hommes ne sont là que le soir, occupés à on ne sait quel travail important dans les grandes villes pendant que les femmes se tirent les cheveux au club de bridge et aux diners de charité. On peut sentir la cigarette et le parfum, entendre la musique émanant des vieux postes radios, écouter le pasteur
Green prêcher ses sermons ; s'imaginer rouler sur les routes en Cadillac rutilante comme celle de Skeeter, ressentir la peur éprouvée en rentrant tard le soir dans son quartier et la chaleur bienvenue du groupe paroissial et des réunions d'écriture chez Aibileen.
Seul bémol : l'écriture, à la limite du correct mais cela paraît logique étant donné que ce sont des bonnes qui parlent et qu'elles n'ont pas un niveau d'éducation très élevé. Cependant, c'est assez étonnant chez Skeeter de trouver un langage assez pauvre. Mais l'utilisation du présent était nécessaire pour nous plonger complètement dans le récit.
Le passage avec la fille de Constantine est intéressant. C'est un bon sujet, une femme noire qui accouche d'un enfant blanc que
Toni Morrison reprend d'ailleurs dans son dernier roman
Délivrances. Cependant, elle a certainement plus aggravé les choses par son emportement et son envie de tenir tête à ces Blanches : les Noirs étaient déjà considérés comme des sauvages, alors cracher sur des blanches ne fait que renforcer cette idée dans leur tête.
Ce roman est rempli de petites joies : Aibeleen adore s'occuper de Mae Mobley, qui le lui rend bien en la considérant comme sa mère. La reconnaissance des autres paroissiens du courage d'Aibileen et Minny est grandiose et magnifique.
Ce Livre aborde aussi la question du choix : Skeeter préfère être indépendante que de devoir se plier aux désirs de Stuart, Aibileen prend sur elle la responsabilité de parler de sa vie difficile dans Les Bonnes au risque de se faire renvoyer ce qui va arriver à la fin du roman.
Le sentiment de culpabilité qu'éprouve Skeeter nous amène à réfléchir : est-ce le Ku Klux Klan le seul responsable de toutes ces horreurs ? Ou les responsables sont-ils à chercher partout, chez ceux qui ne font rien pour stopper ses actions ?
On sent le vécu de l'auteur, qui explique à la fin du roman que sa famille employait une bonne.
L'auteur laisse la place à l'espoir : le monde n'est pas si mauvais, preuve en est la relation amicale entre Minny et Celia Foote. de plus, Skeeter réussit à partir à New-York pour bosser dans l'édition le journalisme.
Le principal point fort du livre est que l'on ne tombe à aucun moment dans un atermoiement que l'on retrouve parfois dans ce genre de romans . Tout est traité avec beaucoup de délicatesse. L'auteur raconte des tranches de vie émouvantes. Ce roman a eu un énorme succès outre-Atlantique mais aussi en Europe, ce qui explique son adaptation cinématographique un an après sa sortie.