AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,76

sur 1330 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Superbe roman autobiographique de l'écrivaine hongroise, qui relate avec pudeur et émotion l'étrange relation, faite d'attraction et de répulsion, qui s'est créée entre elle et sa femme de ménage, l'énigmatique Emerence.

Tout repose sur la personnalité de cette femme très particulière, au passé complexe, dont elle ne livre que des bribes , différents en fonction de son interlocuteur, de telle sorte que chacun n'a qu'une compréhension partielle de sa vie , et de ce qu'elle est.

Elle ne passe pas inaperçue Emerence, et ne laisse personne indifférent. Elle sait construire un mystère autour d'elle, par les lacunes de son passé, mais aussi avec cette porte , close à tous sans exception, et dont les critères d'ouverture posthume sont très restrictifs.

Autant dire que la vie quotidienne n'est pas simplifiée par la présence de l'employée fantasque. L'écrivaine est loin de contrôler les événements. Pire, ses tentatives pour apprivoiser la vieille femme sont autant de camouflets en retour. D'autant que ce couple conflictuel est complété par un intrus à quatre pattes.

Regrets, remords, culpabilité, liés à la trahison nécessaire, colère, exaspération face à la pugnacité d'Emergence, admiration aussi, impossible à exprimer , toute une gamme de sentiments contradictoires que peut inspirer une telle personnalité sont déclinés avec justesse. Un kaléidoscope : c'est vraiment l'image que m'évoque Emerence, variable au fil du temps, et c'est cette image mouvante qui force l'admiration.

Ce qui frappe dans cette histoire qui semble relatée avec sincérité, c'est la qualité de l'écriture (une grosse frayeur cependant dans la première page, où trône une faute de syntaxe conséquente qui fait craindre pour la suite, mais qui se révèle heureusement isolée, et est vraisemblablement liée à la traduction). Belles constructions de phrases, lexique riche, allusions discrètes à, la situation politique de la Hongrie du début du vingtième siècle, tout concourt à une impression globale d'authenticité.
Lien : http://kittylamouette.blogsp..
Commenter  J’apprécie          1414
La narratrice et son mari sont écrivains, ils vivent dans un immeuble à appartements, à Budapest. La narratrice cherchant une femme de ménage, quelqu'un lui conseille Emerence, une concierge. Celle-ci, plus âgée, réserve sa réponse et, au bout d'une semaine accepte la place tout en posant ses conditions. Emerence a le don de souffler le chaud et le froid dans les relations qu'elle entretient avec les autres et, particulièrement, avec la narratrice. Emerence restera au service de la narratrice pendant plus de vingt ans. Emerence est très secrète, personne n'entre chez elle sauf, un jour, anticipant sa mort, elle ouvrira sa porte à la narratrice.
D'une très belle écriture, Magda Szabo offre au lecteur un roman intimiste et psychologique de qualité.
Commenter  J’apprécie          1063
Dans ce récit autobiographique, Magda Szabo nous raconte comment elle a rencontré Emerence, qu'elle a embauchée sur les conseils d'une amie pour faire le ménage, la cuisine chez elle. La première rencontre donne déjà le ton : Emerence a une stature imposante : elle a soigné son entrée solennelle, vêtue d'une robe grise, à manches longues, tout aussi austère que sa personnalité, les cheveux dissimulés sous un foulard qui ne la quitte jamais.

En fait, c'est elle qui va décider si elle accepte ou non l'emploi et dicter ses propres conditions, ses horaires qui seront on ne peut plus fantaisistes…

Une drôle de relation s'installe entre les deux femmes : Emerence méprise le travail d'écrivain de sa patronne, car pour elle, seul compte le travail manuel, physique. Elle dit régulièrement qu'il y a d'un côté les hommes qui balaient et les autres.

C'est elle qui finalement va régenter la maison, avec une austérité, et un caractère bien trempé, même le chien du couple dont elle a choisi le nom Viola, va la reconnaître comme maîtresse…

On comprend très vite que son côté « brut de décoffrage » est liée à une vie extrêmement difficile : un drame est survenu dans son enfance qui va provoquer des dégâts importants. Son père, charpentier, (comme le Christ) mais aussi ébéniste, meurt jeune. Son grand frère va être confié au grand-père, et elle sera finalement « vendue » comme femme à tout faire, à l'âge de treize ans…

Emerence a traversé l'Histoire : la Seconde Guerre Mondiale, la persécution des juifs, puis le régime communiste, mais elle livre très peu de choses sur sa vie, elle ferme son passé à double tour comme la porte de sa maison, dans laquelle personne n'est autorisé à entrer.

Elle a son groupe d'amies sur lequel elle règne aussi, abat un travail considérable, malgré son âge, passe ses hivers à déblayer la neige devant toutes les portes, de la rue, quand elle en a terminé avec la dernière, il faut recommencer, soulève des meubles aussi grands qu'elle.

Bien-sûr cette relation entre les deux femmes, paraît toxique de prime abord, car Emerence est souvent dans la maltraitance, vis-à-vis de sa patronne, comme du chien qui pourtant lui voue une véritable adoration, et seul l'époux qu'elle appelle « le Maître » mérite sa considération. En fait, le lien qui se tisse entre les deux femmes est beaucoup plus complexe…. en outre, on sait dès le départ qu'elle va se terminer de manière tragique.

J'ai beaucoup aimé ce roman, les personnages, le style de narration, les références à l'Histoire de la Hongrie, les révoltes sous la férule de l'Empereur d'Autriche, les dictateurs qui se sont succédés, le régime communiste… Je connais un peu l'Histoire de ce pays, et l'auteure, qui a fait, entre autres, des études d'Histoire m'a donné envie d'approfondir…

J'ai trouvé le style de narration original : le premier et le dernier chapitre s'appellent la porte et se répondent… l'écriture est belle…

Ce roman m'a énormément plu, c'est presque un coup de coeur et m'a donné envie de connaître davantage cette auteure : « Abigaël » et « La ballade d'Isa » notamment.
Lien : https://leslivresdeve.wordpr..
Commenter  J’apprécie          7120
A l'instant où je m'apprêtais à rédiger ce commentaire de lecture je jetai un dernier coup d'oeil à ma boite à courriels. Voyelles.. consommes, puis de touches en suspension, de syllabes en attente, à traiter, à classer, suppression, ….le livre reposait à ma gauche.
Et puis soudain ce poème de René Char. Venu des méandres d'une mémoire, d'une lecture.
Je dus le relire trois fois. Trois fois pour faire le lien avec le roman de Magda Sazabo , « la porte ».
Un texte c'est toujours une porte. Un poème est un texte. Porter son regard sur les mots c'est toujours donner passage. Donner passage c'est le rendre, c'est engager un témoignage de parole.
C'est se diriger au-delà. du lieu, des autres, et de soi.
Lecteurs, nous sommes des survivants. Nous sommes ce qui reste au présent, après que la dernière des pages ait été tournée.
Un livre c'est une vie. Même fugace, même courte, étrange, différente, ou même identique, un livre c'est une vie. Une vie de village, de labeur, une vie de chien, une vie de quartier, une vie de gamelles, de fichus, de trottoirs , d'escalier, de regards, de soupirs, et de bouts de ficelle.
De tous ces livres dans lesquels nous entrons et ressortons, nous en sommes les sur-vivants. . Est ce là notre commune présence dont parlait René Char ?

« tu es pressé d'écrire
comme si tu étais en retard sur la vie
s'il en est ainsi fais cortège à tes sources
hâte-toi
hâte-toi de transmettre ta part de merveilleux de rébellion de bienfaisance
effectivement tu es en retard sur la vie
la vie inexprimable
la seule en fin de compte à laquelle tu acceptes de t'unir
celle qui t'es refusée chaque jour par les êtres et par les choses
dont tu obtiens péniblement de-ci de-là quelques fragments décharnés
au bout de combats sans merci
hors d'elle tout n'est qu'agonie soumise fin grossière
si tu rencontres la mort durant ton labeur
reçois-là comme la nuque en sueur trouve bon le mouchoir aride
en t'inclinant
si tu veux rire
offre ta soumission
jamais tes armes
tu as été créé pour des moments peu communs
modifie-toi disparais sans regret
au gré de la rigueur suave
quartier suivant quartier la liquidation du monde se poursuit
sans interruption
sans égarement
 
essaime la poussière
nul ne décèlera votre union. ».
extrait de Commune présence, in Le Marteau sans maître (1934-1935)éditions Corti José

Je découvre une toute petite part de l'univers de Magda Szabo, un entre filet, un rai de lumière.
Et déjà cela suffit pour que s'imprime en moi l'image de cette femme Emerence, l'image de cet immeuble, de cette rue de Budapest, de ces habitants. C'est un talent que de rendre une histoire traversière, à travers temps, à travers porte, à travers chair, ...c'est un talent que Magda Szabo possède.
« La porte » c'est une histoire d'amour, d'amitié entre deux femmes, entre deux mondes.
Une histoire d'honneur, de fierté, de bonté, de paroles rudes et fortes.
C'est l'histoire d'un manque, d'une empreinte, celle de ce que le tumulte du monde pousse devant notre porte.
Ce que l'orage emporte, ce que l'hiver vous offre , ce qu'une âme vous donne.
C'est un roman comme un velours. Un velours auquel on tient.
Un velours au parfum qui vous entraîne doucement, tout au fond de votre coeur, là juste en face de chez vous. Un morceau de velours dans lequel est enveloppé tout ce qui vous tiendra pour le reste de votre route éveillé  : un jour, un matin, l'odeur d'un plat, un mot, un prénom, une pensée.
Juste en face , à dire vrai, ce n'est pas loin, c'est juste la porte à côté.
Mais encore faut-il prendre le temps, y songer, y penser, ouvrir votre porte et traverser.
J'ai infiniment aimé ce roman.
Ce livre a son secret. Je peux en témoigner .
Alors... ouvrez « la porte », et vous comprendrez.

Traduction du hongrois par Chantal Philippe.
Astrid Shriqui Garain


Commenter  J’apprécie          615
En décidant de lire ce livre,je ne m'attendais pas à un tel enthousiasme de ma part,et pourtant,c'est vraiment un très bel ouvrage.
Bien sûr,on sait des le début qu'Emerence est morte,mais tuée par la narratrice,voilà qui est etrange.Et nous voilà partis pour un long portrait,realise à travers ses actions,de cette vieille dame qui,au service de la narratrice,va se montrer etrange,dévouée, pittoresque,colerique,insupportable parfois,attachante toujours.Les deux personnages vont se jauger,se heurter,s'admirer,se détester,s'adorer....L'ambiguïté de leur relation courra tout au long du roman,alimentée par la présence non dénuée d'intérêt de Viola,le chien.
Il faudra du temps,beaucoup de temps à la narratrice pour pousser "La Porte"
Et puis il y a aussi les personnages secondaires,les gens du quartier,notamment dont le rôle n'est pas à mesestimer.Ajoutons quelques legeres touches sur la vie à Budapest à cette époque et,surtout,une bien belle reflexion sur la vieillesse,la fin de vie et la solidarité,la culpabilité de ceux qui restent.
L'auteure est une artiste,en témoigne ce portrait de cette vieille dame,un portrait dont chaque touche fait mouche.Ce livre est un bonheur,un hymne à la vie,à l'amour,à l'inévitable passage du temps et c'est très émouvant.
Le style fait que les phrases et l'histoire glissent avec grâce entre nos doigts.
Pour moi,un gros coup de coeur.



Commenter  J’apprécie          601
J'ai découvert cette auteure hongroise, Magda Szabó, assez récemment, à la faveur d'un séjour de quelques jours à Budapest en début septembre 2018. J'ai attendu presque un an avant de lire quelque chose d'elle, sans doute le livre qui l'a rendue célèbre aux yeux du monde : La Porte.
L'histoire, un récit fortement autobiographique sans nulle doute, est toute simple, repose sur bien peu de choses en définitive, mais il est d'une profondeur émouvante.
La narratrice nous invite à une confession, sa rencontre avec une femme qui s'appelle Emerence. Lorsque le récit débute, nous apprenons que cette femme très âgée vient de mourir et c'est une étonnante confession qui nous appelle, nous happe d'entrée : « C'est moi qui ai tué Emerence. Je voulais la sauver, non la détruire, mais cela n'y change rien. » Les pages qui vont suivre retracent plus de vingt années où les deux femmes se sont côtoyées, l'une au service de l'autre, l'autre tentant d'en sonder le coeur....
Nous sommes dans la Hongrie qui suit la seconde guerre mondiale, en plein régime communiste. C'est la toile de fond qui sous-tend le texte. La narratrice Magda et son mari emménagent à Budapest, prennent à leur service en tant que femme de ménage une certaine Emerence Szeredás qui leur a été recommandée, concierge, femme déjà âgée, d'un caractère bien trempé.
Caractère bien trempé, c'est peu dire, ne transigeant sur rien, c'est elle qui pose dès le début les conditions de son embauche et de ses services.
Dès lors, c'est un lien fort, singulier, atypique, fait d'attirance et de répulsion qui se tisse entre les deux femmes. Tout les oppose. Elles vont tenter de s'apprivoiser ou plutôt c'est Magda qui va tenter d'apprivoiser Emerence... Mais parfois avancer de deux pas, c'est aussi reculer de trois autres pas...
L'existence d'Emerence devient très vite une composante de la vie de la narratrice.
Et puis il y a la Porte, cette fameuse porte cochère qu'on devine sombre, lourde, épaisse, celle derrière laquelle Emerence se réfugie chez elle le soir, s'enferme à double-tour. Nul ne peut la franchir, pas même Magda. C'est comme si elle recélait derrière son épais mystère une sorte de Cité interdite...
Mais qui y-a-t-il derrière La porte d'Emerence, cette porte qui sépare le dedans du dehors, demeure irrémédiablement close sur le monde d'Emerence ? Quel secret s'y cache-t-il ? Tout le magnifique roman de Magda Szabó tourne autour de cette question et de l'étonnant personnage aussi muré que cette porte, Emerence, celle qui ne daigne plus l'ouvrir lorsqu'elle se réfugie chez elle.
Pourtant cette porte s'est parfois entrouverte, laissant passer des chats, des chiens... des hommes aussi. Derrière cette porte, des fugitifs se sont cachés fuyant une traque, la répression, fuyant vers la clandestinité, un ailleurs éphémère loin des balles et de la fureur du monde.
Cette porte qui en a vu tant d'autres, tant de drames, parmi les affres de l'histoire !
Tout tient dans ce récit à ce personnage insaisissable d'Emerence qui avance là où on ne l'attend pas, ne cédant jamais rien.
Intraitable avec les autres comme avec elle-même, avec la morale, l'ordre, la religion, elle possède sa propre foi.
Elle parle le langage des chiens et des chats.
Peut-on dire d'elle qu'elle est misanthrope ?
Non elle aime son prochain mais à sa manière. Elle est tout entière dévouée aux autres
Emerence a un grand coeur, mais elle le ferme comme sa porte.
Parfois Magda saura entrouvrir cette porte, non pas la vraie porte cochère, mais celle du coeur de sa propriétaire, entrevoir un passé plongeant dans le début du vingtième siècle, là où frémit l'âme effarouchée d'une enfant qui a grandi trop vite. Mais ce ne sera que le temps d'un bref instant, une confidence vite balayée d'un revers de main...
Il y a quelque chose qui relève de la tragédie antique dans ce personnage façonné par le bruit de sa vie, des bruits tumultueux que perçoit parfois Magda en tendant la main, les yeux, mais il y a tant d'incompréhension, tant de maladresse, tant de chemins qui les éloignent. La paix est venue peut-être trop tard dans le coeur de cette femme.
J'ai aimé l'humilité de Magda dans cette confession, elle nous confie de temps en temps son impuissance, ses erreurs, ses lâchetés ; oui sans doute qu'elle s'y prend mal parfois, effraie plus Emerence, ne sachant peut-être pas lui apporter la confiance qu'il faudrait pour avancer pas à pas...
J'ai aimé aussi dans ce récit venir à la rencontre d'une symbolique des portes. Elles forcent l'imaginaire.
Elles nous résistent.
Un trou de serrure qui s'allume dans un rai de lumière et c'est une île qui surgit du néant.
Et pour peu que la clef soit absente...
Les clés sont peut-être de simples illusions, nos rêves d'enfance, nos pas qui s'égarent sur le chemin du retour.
En voyage j'aime les photographier. Elles disent beaucoup de choses dans le dédale des rues qu'elles affrontent.
Bien sûr les portes sont avant tout des points de passage, des lieux à franchir et lorsqu'elles restent closes, la Cité interdite s'échafaude alors comme une chimère, une citadelle imprenable.
Ici c'est pour moi un incontestable chef d'oeuvre. Que reste-t-il de cette lecture, une fois La porte de ce livre refermée ? Un récit plus profond, plus touchant qu'il n'y paraît au premier abord, car je dois avouer que le livre m'a un peu résisté aux premières pages, une porte peut-être pas facile à ouvrir... Une envie désormais de retrouver l'univers de Magda Szabó, une envie de cheminer dans les rues de Budapest que j'ai tant aimé parcourir à pied, entre la vie haute et la ville basse...
Commenter  J’apprécie          5816
Emerence, c'est l'anti Félicité d'un Coeur Simple. Emerence est pendant vingt ans la "femme de ménage" de Magda, la narratrice, et son coeur est tellement complexe qu'elle devient pratiquement l'unique préoccupation de son employeuse.
Emerence n'a pas de perroquet, elle a neuf chats. En plus, le chien de Magda la considère comme sa véritable maîtresse et n'obéit qu'à elle. Emerence aime plus les animaux que les humains. Ils ne trahissent pas, ne mentent pas (mouais, mes chats me mentent régulièrement en me faisant croire qu'ils n'ont pas mangé alors même qu'un de leurs autres humains domestiques vient des les sustenter, mais passons...)
Emerence n'a pas d'horaire fixe. Elle vient quand ça lui chante, même à trois heures du matin.
Cependant Emerence, comme Félicité, vient de la campagne, elle est forte comme un cheval et travaille sans relâche. Mais, à la différence de Félicité, elle le fait ostensiblement et sans aucune modestie.
Comme Félicité, Emerence à un passé familial assez triste. Enfin, carrément tragique, il faut le dire.
A la différence de Félicité, Emerence ne respecte personne. Elle trouve que le travail intellectuel de ses employeurs est vain et futile. Et elle le fait sentir.
Comme Félicité dans sa simplicité biblique, Emerence est un mystère opaque. Elle se cache derrière la porte de sa loge de concierge, et nul n'a le droit d'y entrer. Absolument personne. Emerence est blindée, enfermée, cadenacée, mais aussi ultra charismatique et étrangement rayonnante.
Emerence est complètement cinglée, Magda aussi...Entre elles se noue un lien profond et mystérieux, qui échappe à l'analyse.
J'ignore complètement si cette histoire est autobiographique ou non (ce que l'on peut imaginer à partir du prénom de la narratrice, identique à celui de l'auteure. Mais vu l'ambiance étrange là dedans, je me méfie...) Emerence est peut-être une métaphore du mystère, de la Hongrie close sur elle-même par la dictature, que l'on aime et qui fait souffrir, qui rejette et appelle en même temps. Métaphore de l'écriture. de je ne sais quoi encore. Ou bien Emerence est elle-même, un bloc de granit sans concession qui ne veut plus aimer mais le fait quand même si maladroitement que Magda ne sait comment s'y prendre pour l'aimer à son tour, et ne fait elle aussi que la blesser ...Faut-il passer la porte ? Un roman profond et que j'ai, personnellement, trouvé magnifique. Sans parler du chien.
Commenter  J’apprécie          543
Toutes celles ou tous ceux qui cherchent à découvrir ce qui se cache derrière une porte fermée n'en ressortent pas indemnes... La narratrice qui accompagne le lecteur tout au long de ce roman va en faire la triste expérience !
Mais l'essentiel n'est pas là.
Ni dans l'histoire en elle-même : celle d'une femme Emerence Szeredas qui entre comme domestique chez la narratrice, auteure très occupée, et son mari un intellectuel un peu replié sur lui-même.
Ni dans le caractère très inattendu de l'intrigue. Il ne se passe au fond que très peu de choses dans ce roman et savoir ce qui se cache derrière la porte relève surtout du symbolique.
L'essentiel est ailleurs : dans le personnage d'Emerence qui occupe le devant de la scène de la première à la dernière page, qu'elle soit présente ou qu'elle hante le cerveau de la narratrice comme cela se produit à la fin du roman...
Quel personnage !
Domestique certes mais, qui inversant le rapport "maître/servante", va en quelque sorte s'engager elle-même au service de la narratrice et de son mari comme le fait remarquer avec ironie cette dernière : "... ce soir-là, elle n'entra pas à notre service, cela n'eût été ni digne , ni convenable : Emerence s'enrôla."
Emerence la mutique qui ne va révéler que par bribes, à qui elle veut et quand elle veut, les drames qui ont jalonné son existence.
Emerence, la rebelle, dont la devise pourrait être celle des anarchistes : "nI dieu ni maître." tant elle abhorre la religion établie et se moque de sa maîtresse à chaque fois qu'elle se rend au temple.
Emerence traverse la vie au gré de ses contradictions qui sont nombreuses sans douter un instant d'elle-même comme elle le fait sentir à la narratrice lorsqu'elle lui assène des leçons de morale bien senties dans des passages où l'humour au second degré l'emporte sur la binarité d'Emerence, pour le plus grand plaisir du lecteur : "Je ne sais pas ce qui vous a rendue célèbre, parce que vous n'avez pas grand chose dans la tête, vous ne savez rien des autres. de Polett non plus, vous le voyez bien et pourtant combien de fois avez-vous pris le café avec elle ? Moi, je connais les gens."
Mais à l'autre bout de sa personnalité, il y a aussi une Emerence, mère Thérésa laïque ou pionnière de l'humanitaire, qui n'hésite pas à se porter au secours de tous les cabossés de la vie sans regarder de quel bord ils sont.
Ce qui ne l'empêche nullement de se montrer parfois violente ou cruelle à souhait comme lorsqu'elle fouette pour le punir Viola, le chien de la famille et qui est en fait beaucoup plus le sien.
Mais ce personnage complexe ne serait sans doute pas aussi vivant aux yeux du lecteur sans la plume de Magda Szabo. Si l'ronie ou l'humour sont parfois très présents dans certains passages, elle sait aussi décrire avec un réalisme cru et noir certaines scènes très dramatiques, comme celle de la mort des jumeaux (frère et soeur d'Emerence), qui prennent alors une dimension apocalyptique.
Mais heureusement pour nous, elle sait aussi parfaitement jouer avec le burlesque comme dans cette scène où le lecteur découvre, à travers le regard ahuri de la narratrice que le fameux invité pour lequel Emerence a dressé une table fastueuse et préparé un festin, n'est autre que le chien Viola qui trône en face de notre héroïne, en dévorant avec beaucoup de savoir-vivre un repas qui bien sûr n'était pas prévu initialement pour lui !
Et l'on ne sait pas non plus si l'on doit rire ou pleurer, lorsque Emerence, tout en écossant les petits pois, confie sans coup férir à la narratrice qu'elle a aidé une voisine dans l'organisation de son suicide et comment elle a perdu son fiancé, boulanger, victime de la vindicte populaire et lynché par la foule !
Ce ne sont là que quelques exemples des scènes fortes qui jalonnent le roman.
Je finirai par le talent avec lequel l'auteure va peindre le drame final auquel va être confrontée la narratrice. Elle va, au fil de phrases nerveuses, où chaque mot "enfonce le clou par rapport au précédent", faire partager au lecteur les différents états émotionnels qui vont traverser cette femme, tels une tempête la poursuivant jusque dans ses rêves comme nous le laisse penser la construction en boucle du roman.
J'ai quitté à regret ce livre et Emerence restera un beau souvenir de personnage littéraire, aux côtés de Grenouille dans le Parfum ou Lennie dans Des Souris et des hommes, entre autres...
Ce livre m'a aussi réconcilié avec la littérature hongroise que je ne connaissais qu'à travers Kaddish pour un enfant à naître d'Imre Kirste et qui m'était tombé des mains tant j'avais trouvé cet ouvrage autobiographique nombriliste et mortifère.

Commenter  J’apprécie          5418
C'est Gide qui affirmait qu'un grand livre était celui qui parlait différemment et secrètement à chacun de ses lecteurs. Avec « La Porte », nous pouvons tous lire à l'aune de nos obsessions. Un livre d'histoire qui raconte la Hongrie du siècle dernier, la spoliation des Juifs et la sortie du communisme. Un livre politique qui analyse les rapports compliqués du peuple et des intellectuels qui s'efforcent de lui inculquer une conscience de classe alors qu'il les méprise. Un roman social sur les maîtres et les serviteurs, sur ce que signifie payer quelqu'un pour qu'il accomplisse ce que l'on pourrait faire, sans qu'il prenne une place qui n'est pas la sienne.
Chacune de ces analyses est détaillée d'une plume incisive et insolente qui ne laisse rien passer.
On peut aussi lire « La Porte » comme un roman policier, le mystère d'une chambre close qui distille petit à petit ses indices avant de dévoiler un dernier cadavre qui soudain se décompose.
Mais pour moi il s'agit d'abord d'un grand livre d'amour, d'une histoire née d'un coup de foudre meurtrier, et d'une femme bafouée qui tient tout sentiment à distance de peur de souffrir. Il y a ceux qu'on aime et qui meurent, ceux qu'on aime et qui ne vous aiment pas, et surtout ceux qui prétendent vous aimer et qui ne savent que vous trahir. Emerence n'explique jamais à la narratrice ce qu'elle attend d'elle et constate à chaque fois qu'il n'est pas de coeur transparent ni de langage d'évidence, que ceux que vous aimez ne vous comprennent pas. Alors, au moins, ne dépendre de personne, ne rien attendre, faire de l'autre un obligé puisqu'aucun autre n'est capable d'aimer comme Emerence pense qu'il faut aimer.
En face de cet absolu, le plus beau personnage est selon moi la narratrice, qui se donne mais toujours à demi, qui fait un peu, à moitié, qui voudrait être quitte grâce à des transactions raisonnables, qui trouve qu'elle en fait beaucoup tout en sachant qu'elle n'en fait pas assez et qui finira désespérée dans la peau de Judas quand elle espérait devenir héroïne nationale. Humaine, trop humaine, elle est ce que nous sommes et nous la regardons, épouvantés, accomplir son crime qui est aussi le nôtre, celui de chercher des accommodements avec le moindre mal, ce qui n'est jamais qu'une façon d'estimer le mal nécessaire.
Et puis une langue sublime qui sait d'une même phrase mettre à jour nos petitesses et nous consoler en nous installant au coeur des mythes. « Qu'elles viennent donc de temps en temps, ces Érinyes aux bottes sanitaires transformées en cothurnes, au masque tragique sous le bonnet d'infirmier, qu'elles montent la garde autour de mon lit, brandissant les épées à double tranchant que sont mes rêves. »
Bref: chef d'oeuvre.
Commenter  J’apprécie          5117
Magda Szabo est une auteure hongroise, son roman dont elle est la narratrice et l'un des personnages principaux, a reçu le prix Fémina en 2003. Deux femmes sont en relation dans ce récit, l'une est une intellectuelle, écrivaine (l'auteure) et l'autre son employée de maison. La psychologie des deux personnages est bien décrite et malgré les positions de l'une et de l'autre, les comportements et les rôles sont parfois ambivalents voire inversés. Il est question tantôt d'amitié, tantôt de rapports plus conventionnels, des limites jusqu'où l'une peut accéder dans l'univers de l'autre. le titre « la Porte » a de multiples sens assez contradictoires tels que l'ouverture mais aussi l'enfermement, le « paraitre » et le « caché », la liberté mais également l'emprise et les attentes.Cette emprise de l'une sur l'autre, va jusqu'à faire naitre la culpabilité, le reproche. La vie de ces deux dames aura pris un tout autre sens depuis leur rencontre révélatrice de vérités quant à la tolérance, le respect, le « qu'en dira-t-on ».
Ce roman, d'une richesse inouïe est porteur de messages forts que l'on trouvera entre les lignes et qui sont venus à moi quelques temps après avoir refermé ce beau livre.
Commenter  J’apprécie          4714




Lecteurs (2714) Voir plus



Quiz Voir plus

Ils ont écrit sur des écrivains....

Ronsard a écrit trois volumes de vers pour trois femmes différentes. La première et la dernière, Cassandre et Hélène, ne l’approchèrent point ; l’une parce qu’elle était trop belle et l’autre parce qu’elle était hideuse. C’est du moins ce qu’en disent ceux qui les ont connues ; mais Ronsard, ne voulait rien d’elles que leurs noms à mettre en sonnets, fit Cassandre plus belle encore que Cassandre, et daigna donner à Hélène tout ce que Dieu lui avait refusé. Aussi nous les voyons toutes deux incomparables.

Emile Zola
Jules Barbey d’Aurevilly
Pierre Louÿs
Charles Baudelaire
Victor Hugo

10 questions
54 lecteurs ont répondu
Créer un quiz sur ce livre

{* *}