Si le monde des religions fait surgir des apparitions, comme celle de la Vierge Marie, le monde de la littérature sait aussi nous saisir par des éclosions miraculeuses.
My absolute Darling, en est une, cette époustouflante saga romanesque écrite par
Gabriel Tallent est en dehors de toute norme.
Dans ce paysage sauvage aux espaces démesurés, il est plus facile de se perdre que de trouver la foi. C'est une jeune fille de 14 ans Turtle qui nous fait chavirer, angoisser, pendant plus de 400 pages, et parfois même, parvient-elle à nous terroriser.
Cette môme est une véritable apparition, ce qu'elle a vu est indescriptible, ce qu'elle a subi est totalement improbable, ce qu'elle a surmonté est inviolable, ce qu'elle raconte chaque auteur rêve de le raconter, chaque lecteur espère un jour le lire.
Ce roman déroule la double facette d'une vie passée à l'ombre d'un bois reculé de la Californie vers Mendocino, car il y a le père Martin et sa fille. Elle est tantôt appelée Julia tantôt Turtle, ou par un tendre Croquette, tantôt ma fille, autant de nuances qui révèlent autant d'attitudes contradictoires ou incompatibles.
Ce père a aussi un père, le papy, et l'on sent qu'entre les deux hommes une colère rentrée et prête à jaillir à chaque instant et qu'elle est inépuisable.
Inépuisable, c'est peut-être le mot qui conviendrait aux sentiments qui s'expriment, chaque sentiment est inépuisable, la haine comme l'amour, la colère comme le pardon, le pardon comme la vengeance.
Comment une fille de 14 ans a-t-elle pu se tenir en vie avec un tel bonhomme, où les jeux habituels des enfants ont une traduction belliqueuse, chaque pistolet, chaque fusil permet de s'amuser, de s'entraîner jusqu'au bout de sa propre folie. Un vrai musée de la chasse, le nombre de modèles est inépuisable, leur entretient la clé de la survie.
À l'aube de sa maturité Turtle, vacille, sa carapace se fissure, ses certitudes l'agitent en tous sens.
Pour ceux qui ont lu "la fille du roi des marais", nous y sommes bien proche, en moins sauvage, avec des personnages bien plus ambigus et des personnalités encore plus complexes passant en quelques instants du rire aux larmes mais surtout, du suçon au tison.
450 pages de frissons oui 450 pages pour savoir comment Turtle va dépasser toutes ses angoisses pour se choisir enfin au bout de sa route, sa proie. Est-ce la rencontre de deux jeunes garçons Brett et Jacob, ou est-ce l'arrivée d'une petite fille bien étrange appelée Cayenne, est-ce l'interdiction formelle de faire appel à l'hôpital, ou est-ce l'énorme pharmacie détenue par le père qui fera vaciller Croquette ?
Et s'il le fallait, je pourrais y ajouter d'autres sur piquages, de crispations ou d'ambiances nauséeuses qui envahissent certaines pages, comme la répétition de salope, putain ou connasse, reflétant quelques uns des mots, parmi un florilège d'injures, qui émaillent le récit.
La virtuosité de
Gabriel Tallent est de faire cohabiter dans son texte, en alternance, des passages crus, grossiers, violents avec d'autres passages autrement plus chatoyants.
Comme dans les grands romans c'est à travers la lisibilité de l'écriture que l'on perçoit les variations que le romancier utilise pour donner à ce récit une puissance et une majesté rare.
Ainsi j'adore ce passage page 141, où "les longues tiges humides des fétuques rouges s'inclinent au-dessus d'elle. Tout près du fusil elle sent l'odeur de graisse et de poudre". L'auteur continu, "il n'y a pas le moindre nuage dans le ciel à l'exception d'un unique et lointain lenticulaire que la brise ballotte et déchire en lambeaux". J'aime aussi ce genre de description, page 116, "c'est impossible de retenir cette gamine, je l'ai déjà vu parcourir 50 km en un jour, elle est à moitié chat sauvage, elle est infatigable, elle semble presque sortie tout droit d'un mythe.
My absolute Darling se goute, en 450 pages de frissons, et en survol d'un nombre incroyable de pages qui décrivent ce bord de mer qui parfois se déchaîne, c'est une escapade qui nous est offert dans cette Californie du Nord, là où commença la ruée vers l'or