Le maître des illusions /
Donna Tartt
le narrateur se souvient de l'histoire d'une de ses folies dont le début remonte à neuf ans plus tôt alors qu'il n'aspirait qu'à fuir sa famille, avec un père méchant, une maison laide et une mère inattentive. Il avait commencé des études de grec ancien qui le passionnaient, puis la médecine et pour finir la littérature anglaise. Richard nous raconte ensuite toute cette histoire incroyable…
Fuyant sa Californie natale, bourse d'études en poche, Richard Papen à cette époque dut son entrée à l'université de Hampden dans le Vermont, à son opportunisme bien plus qu'à son talent. Il avait alors dix neuf ans. Prêt à tout pour arriver haut et vite, il parvint a s'introduire dans la classe du professeur Julian, vouée à l'étude des Anciens, grecs et latins. Bastion de savoir et de snobisme, la petite communauté de six élèves plus le professeur Julian vivait en vase clos avec deux mots d'ordre : discipline et secret. Une communauté avec Charles et Camilla Mac Caulay , les deux jumeaux orphelins élevés par leurs grand-mères et grand-tantes dans une maison de Virginie, une enfance dorée avec chevaux et rivières, deux êtres qui fascinent Richard, avec Charles un garçon toujours aimable et légèrement éthéré, et Camilla la mystérieuse indéchiffrable. Francis Abernathy , l'homme au pince-nez frauduleux, né d'une mère de dix sept ans qui a fuit avec un artiste, et d'un père très riche, fut élevé aussi par sa grand-mère dans une parfaite aisance. Bunny Corcoran fils de banquier reçut une éducation haut de gamme. Et Henry Winter toujours en costume noir et parapluie.
Richard eut bien du mal a intégrer le cours du professeur Julian Morrow qui ne voulait pas plus de cinq élèves dans sa classe. Mais le talent principal de Richard fut de tout temps de savoir mentir, un véritable don qui l'aida à séduire Julian.
Julian Morrow était un causeur merveilleux, magique, à l'intellect supérieur parlant de
Platon, de
Xénophon,
Euripide ,
Homère et de Parmenide avec un talent et une érudition hors du commun. Bercé par les vers de
Sophocle et les récits de
Thucydide tout autant que par les turpitudes des Erynies et des Ménades, Julian explique aux six élus ce que fut un peuple civilisé comme le furent les Grecs : « un peuple est civilisé par la répression volontaire du soi archaïque, animal, pour connaître le devoir, la piété, la loyauté et le sacrifice. Et Julian d'ajouter de façon surprenante : « Toute personne intelligente est tentée d'assassiner le soi primitif, émotif, appétissant. Mais c'est une erreur !!! » Stupéfiant !
Et Richard s'étonne encore maintenant d'avoir été si souvent avec ses cinq amis et Julian et d'en avoir su si peu sur ce qui se passait réellement en cette fin de premier trimestre au collège de Hampden. Des indices auraient dû lui mettre la puce à l'oreille reconnaît-il mais il ne voulait pas chercher à comprendre, baignant dans un certain bonheur avec ses amis avec qui il partageait dîners et sorties bien arrosés tout au long de l'automne. Il voulait maintenir l'illusion qu'ils étaient d'une parfaite franchise avec lui et qu'ils étaient de vrais amis sans secrets entre eux. Et pourtant…il sentait le mensonge parfaitement solidaire et orchestré… un parfum de mystère partagé par les cinq quand Richard voyait les séquelles d'accidents sur leurs visages et leurs membres, une accumulation de bleus et d'écorchures, ainsi qu'une ivresse quasi permanente de certains vouant un culte obsessionnel à Dionysos et son thyrse.
Au cours du deuxième trimestre, Richard peu à peu découvre la véritable nature de Bunny qui devient alors le personnage principal, un être totalement instable, désargenté et pique assiette, incapable de penser avant d'agir, capricieux et désinvolte, convaincu que sa course ne rencontrerait jamais aucun obstacle qu'il ne puisse renverser. Un fait nouveau et de taille auquel Bunny n'a pas participé s'est produit. Quand il découvre secrètement la vérité qu'on lui a cachée, il se sert de cette arme pour se rendre odieux vis à vis des autres qui le craignent pour la bonne raison que cet événement est inavouable. Henry dévient un bouc émissaire, puis Camilla et Charles, puis Richard et Francis, Bunny se montrant grossier, cruel, insultant, querelleur et humiliant allant jusqu'à suggérer que Camilla couche avec son frère ! Même les affronts d'ordre religieux ont cours avec chantages et insultes.
Peu à peu pour le groupe, il s'avère que Bunny représente un danger : il semble bien mijoter une vengeance de type dénonciation peut-être, pour des faits restés cachés. Richard avoue que les centaines de petites humiliations de Bunny répétées au fil des jours et restées impunies commencent à le ronger. La limite semble atteinte et la tension, une tension omineuse, au sein du groupe est à son paroxysme, l'alcool et la dogue exacerbant cette incompréhension dans le secret , la trahison et la manipulation, cependant que l'amitié liant les cinq semble infrangible.
Ce fascinant roman, très original, de 700 pages, qui au départ fait songer au « Cercle des poètes disparus », n'en est en fait qu'une séquelle très sombre mettant en scène une jeunesse élitiste dépravée s'adonnant à l'alcool et la drogue sans restriction, des jeunes épris de culture classique évoluant dans une ambiance pour le moins délétère.
Un bon roman en somme, mais avec trop de longueurs avec des scènes répétitives et puis une fin que l'on attendait tout autre et qui surprend, ce qui en définitive n'est pas plus mal ! Très différent du « Chardonneret » que je préfère.