Je préfère vous prévenir : je vais être très méchante. Mais on ne m'assène pas près de 600 pages (sur 700) sans que je réagisse. Mon sang de lectrice me monte à la tête et je me mets à aboyer comme le plus ignoble clébard. Eh oui!
Suspense : maigre. On dira que ce n'est pas le souci de l'auteur. Mais si justement. Ce n'est pas un traité philosophique que je sache. On nous annonce dès le début la mort de l'un des protagonistes. Après tout pourquoi pas. On nous mène donc vers les causes, les faits, les conséquences de cette mort. Dans ce cas, n'aurait-il pas mieux valu faire court au lieu de taper à coups de gourdins répétitifs sur la tête du lecteur?
Nous trouvons en exergue une "Considération Inactuelle" de
Nietzsche : 1) Un jeune homme ne peut pas savoir ce que sont les Grecs ou les Romains 2) Il ignore s'il va les connaître (nous savons où nous allons. Direction la Grèce ancienne et les romains). Deuxième citation :
Platon, La République, Livre II : Viens donc, passons une heure de loisir à nous dire des contes et notre récit sera l'éducation de nos héros (Comptez plutôt 10.) Tout cela est clair comme de l'eau de roche. Ce roman de 700 pages sera donc dévolu aux grecs, encore les grecs et toujours les grecs. de simples formules en fait. Bonjour, vous allez bien? Moi-même je me sens capable d'écrire une page à l'aide de wifi. Sans compter la phrase que tout le monde connait.
Le narrateur, Richard Papen, américain type, sain de corps et d'esprit, débarque de Californie, affectivement orphelin. Il se retrouve projeté sur une scène devant
six personnages en quête d'auteur. Et c'est bien l'impression que nous donne ce roman : la mise en scène laborieuse et compassée d'un meurtre annoncé. La comparaison avec le génial
Pirandello s'arrête là. On aurait pu espérer trouver quelque chose ayant trait à l"'imitation de la réalité" Point. D'emblée le narrateur nous parle d'une "fêlure fatale, cette faille sombre et révélatrice qui traverse le milieu d'une vie" et se demande si elle "existe hors de la littérature...Je croyais que non. Maintenant je pense que oui". Lourd incipit. Craignez le pire.
Le premier paragraphe du prologue nous dit tout : mort de Bunny, immense chasse à l'homme (n'exagérons rien), la police fédérale, le FBI (ce n'est pas pareil?), à en croire l'auteur, tout s'est arrêté dans le Vermont.. Caméras, uniformes, foules noires grouillant comme des fourmis sur un bol de sucre... Hum. Et, pour ceux qui ne comprendraient pas à quel point c'est grave, un coup de cymbale : "Qu'est-ce que vous faites ici?" a dit Bunny quand il nous a trouvé tous les cinq en train de l'attendre".
On nous l'a promis, on parle grec et latin, on ne parle que de ça, au cours de "Julian" ce mystérieux professeur si courtois. Je ne peux pas vous dire si le mystère est levé, n'ayant pas lu les 135 dernières pages. C'est toujours un peu désagréable de ne pas finir un roman, mais c'était inévitable.
En gros, donc, on a l'annonce de la mort de Bun, qui s'avère une tête à claques, et entame un début de chantage. Et on attend, on attend qu'il passe de vie à trépas. On finit par arriver au corpus delicti (c'est contagieux :), mais ça reste très bon chic bon genre, pas d'affreux détails. Seuls ceux qui continueront leur lecture y auront droit.
Dans ce roman, on boit beaucoup, Dionysos ,
le Maître des Illusions oblige. Grâce à l'alcool, on voit "le monde tel qu'il n'est pas" (exergue livre II "Les Grecs et l'Irrationnel.) on y tue des porcelets pour purifier le sang par le sang, on a le visage qui devient tout blanc, genre 50 fois, et on s'écrie "Bun, oh Bun, je regrette"! Trop tard... Tout cela est grand guignolesque, compassé et ennuyeux. Comme il reste encore 300 pages, on espère que quelque chose viendra, qui les fera héros...Rien, si ce n'est un enterrement (100 pages), tous livides. Bun, oh Bun!"
Dès le début, alors que j'avais un peu de mal à accrocher (mauvais signe), je pensais à "La Corde", ce film extraordinaire de
Hitchcock dans lequel deux étudiants en supprime un troisième avant de recevoir les parents de la victime et leur professeur. le corps de leur camarade est dans une malle qui sert de table. le Maître du suspense (et de l'Illusion cinématographique) n'a besoin ni de 700 pages ni de Dionysos, pour nous distraire sur une "scène".
Et puis n'y-a-t-il pas de la prétention à écrire un roman aussi volumineux..? L'auteure entend-t-elle rivaliser avec de grands auteurs tels que
Thomas Mann,
Dostoïevski, Tolstoï et bien d'autres? Si je devais emmener sur une île déserte ce laborieux pavé j'aurais le moral au plus bas.
Entendons-nous bien, je ne suis pas bégueule. Je lis soit pour me distraire, soit pour m'élever l'esprit, les deux n'étant pas incompatibles. Ici, rien de tel. Une fausse culture de bric et de broc, une farce qui s'ignore.
Je suis un peu dure néanmoins car ce roman a eu un mérite : il m'a musclé avantageusement les bras..