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Critique de cedratier


Baroque sarabande (Christiane Taubira, 136 pages, Points)
Christiane Taubira faisant l'éloge convenu de Flamby Hollande n'est certes pas à mes yeux le côté le plus attachant du personnage. Mais elle a osé porter le projet de loi sur le mariage pour tous, tenté (avec un succès limité) de desserrer à peine l'étau d'un appareil judiciaire qui ne semble connaitre que la répression. Et elle nous a offert quelques beaux moments d'anthologie à l'Assemblée Nationale. Face à des députés réactionnaires bavant leur vocabulaire restreint en guise d'attaques aussi petites que sournoises, elle répondait parfois avec révolte ou rage, toujours avec force et conviction, souvent avec un humour décapant, et des références littéraires flamboyantes à ces élus de la droite la plus bête du monde et dont le niveau n'atteignait pas la cheville de la ministre, leur clouant le bec et les ridiculisant en citant au débotté des poèmes d'Aimé Césaire.
Quel rapport avec « Baroque Sarabande », ou pourquoi cette diatribe en introduction de cette note de lecture ? Parce qu'en ce qui me concerne, ouvrant ce livre, je ne pouvais faire abstraction du personnage politique, des traces qu'elle a laissées, qu'on les apprécie ou pas, à chacun de faire ses comptes.
Dans ce beau livre CT évoque par touches successives les articulations qu'elle voit entre écriture et mouvements sociaux, en particulier dans l'histoire du colonialisme et des racismes. Elle s'interroge, et nous interroge sur le pouvoir et ses dérives, s'ancrant délibérément du côté des opprimés, sans pourtant aucun angélisme à leur égard. de l'antiquité au monde contemporain, elle convoque la littérature, la musique, la peinture, la photographie, la philosophie, la sociologie... Ses références sont foisonnantes, sans doute même trop, ce qui m'a au début de la lecture plutôt embarrassé, ou même un peu saoulé ; que faire de quinze ou vingt noms d'artistes sur une page, dont dix me sont inconnus ? Au point que je me suis demandé un moment si ça ne relevait pas de l'étalage gratuit et pompeux. D'autant que le texte est fleuri de quelques citations en anglais, non traduites, ce qui me semble ici un double non-sens… Puis j'ai fait avec, tant le contenu se révèle riche.
C'est un livre sur la lecture, ce qu'elle peut ouvrir comme ouvertures vers le large monde, et donc comme possibilités d'émancipation. C'est aussi un livre sur la littérature, mais plus encore sur la langue, les langues et leurs usages sociaux et politiques ; comment elles évoluent au contact les unes des autres, pourvu qu'on ne cherche pas à les étouffer. Elle montre à quel point, en particulier dans les colonies, la déculturation imposée par l'interdiction des langues locales fait des dégâts. Ce livre est un cri d'amour à la richesse et à la variété des langues du monde, contre l'uniformisation culturelle. Et l'éducation massacrée des filles ! Et voilà aussi qu'elle démonte quelques statues : Jack London, des romans duquel elle s'est gavée, mais dont elle rappelle qu'il était raciste ; et Borges, qui soutint les pires dictateurs d'Amérique du Sud dans leurs entreprises de bourreaux ; et Tocqueville l'esclavagiste, puisque pour lui la démocratie était réservée aux blancs. Que de rappels indispensables ! Trois auteurs qu'elle admire pourtant, mais avec une grave lucidité sans compromis.
En filigrane aussi, Christiane Taubira ébauche une sorte d'éthique politique, en convoquant Hugo, Louise Michel, Zola (ce qui explique mon introduction ?)... Un des derniers petits chapitres semble illustrer une vision rêvée de ce que devrait être pour elle un parlement réellement démocratique (une utopie ?)… Tout cela teinté de quelques souvenirs de son parcours personnel, de ses engagements de jeunesse, de jeune femme, noire, résistante.
Mais au final, c'est avant tout un chant d'amour à la poésie des humiliés. Un beau livre, nécessaire, grave et parfois joyeux, un livre de révolte aussi. « Ne pas obéir… Ne se laisser ni asservir ni accabler… (…) Et parfois désobéir ».
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