Il reste de belles causes à défendre. Elles peuvent fédérer les énergies, même à notre époque où les singularités s'exacerbent dans le triomphe de l'individualisme pour le meilleur, l'arrachement aux déterminismes et l'émancipation personnelle, comme pour le pire, les égoïsmes, la vanité agressive, la susceptibilité cruelle.
Que sait-on de l'hospitalité et de la fraternité si, écoutant Brassens chantant Pour l'Auvergnat, l'on ne s'est tout entier embué?
Il est sorti. Place de la République. Pour se retrouver et être sûr d'être. Il a tracé des mots cette fois encore sur de maigrichons papiers livrés à la pluie et les a déposés avec une affectueuse révérence sur les lieux du carnage et en cette place de catharsis. Il a apporté des bougies, des fleurs, des objets pour dire que la vie exulte. Et puisque c'est la joie de vivre qu'ils veulent détruire, il a convoqué sa joie malgré le malheur, malgré la peur, malgré la douleur. Le cœur n'y était pas mais les corps et les esprits relevaient le défi. Et puisque la jeunesse était visée, des jeunes sont revenus, en couple, en bande, en essaim sur les terrasses des cafés, prêts à faire retentir leurs rires mêle stridents d'angoisse, même mêlés de larmes, plaisantant sur les choses les plus sérieuses de la vie, comme faire souvent l'amour.
Puis il a de nouveau pris d'assaut les librairies pour célébrer la ville-lumière avec Hemingway, érigeant Paris est une fête non en livre de chevet, mais en guide pour une résistance folâtre et radieuse.
Sans doute tout cela demande-t-il sinon de blanchir sous le harnais, du moins de déceler combien est immense ce que l'on ne sait pas encore. (p. 66)
La responsabilité politique implique de rappeler les ancrages et de tracer des perspectives.
Quelle puissance dévastatrice! Mais aussi, quelle puissance tout court, pour ainsi fasciner, ensorceler, envoûter ces dizaines de milliers de jeunes qui savent si peu de la vie, n'en sont qu'à l'orée, et néanmoins abdiquent toute curiosité et toute appétence pour ses promesses et ses imprévus, en acquiesçant à désirer la mort aussitôt l'avoir semée.
Oui, au pays de Descartes, convoquons la raison
Cogito ergo sum. Chacun est responsable de ses actes et doit en répondre.
(p.16)
"Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, l'accomplir ou la trahir"
Frantz Fanon
(p.9)
Lorsqu’un pays est blessé, qu’il saigne encore, qu’il est tout de courbatures et d’ecchymoses, ne faut-il pas marcher sur la pointe des pieds, chuchoter et laisser faire en se défaussant sur le temps ? Après tout, puisque justement ce n’est pas efficace, qui risque quoi ? Justement, ceux qui risquent n’en ont cure et s’esquivent. Et s’esclaffent, avec grossièreté.
C’est une faveur qui remonte du fond des âges et porte la mémoire du monde. Une génération peut éclairer le présent et offrir à la suivante de choisir l’épaisseur et les couleurs de son propre présent. Par temps troubles et incertains soumis à des bouleversements ardus à lire, cette faveur se fait devoir.