Citations sur La chevauchée des steppes : 3000 kilomètres à cheval à traver.. (150)
-- J'ai fait douze gosses pour recevoir une voiture en cadeau!
C'était la loi à l'époque : vous faisiez douze enfants, on vous donnait une Volga. Une sacrée belle tire. Malheureusement le douzième est mort-né. J'ai jamais eu la bagnole mais j'ai gardé les onze mouflets.
Le thé est la "politesse de l'Orient", le breuvage des conversations, l'élixir du temps qui passe, servi avec lenteur et cérémonie pour que puissent se nouer les dialogues, se jauger les âmes, se juger les esprits.
Nous nageons avec les chevaux, accrochés aux crinières. Les lourds poitrails fendent les eaux du "lac chaud". Revenus sur le rivage, ils se roulent sur le sable, se gorgent d'eau, puis broutent tout ce qu'ils peuvent et s'endorment enfin.
Le soir, nous installons nos bivouacs à l'orée de forêts de pins, là où les herbes sont grasses. Nous entravons les chevaux avec une corde d'escalade. Ils broutent toute la nuit en divaguant, autour de la tente, s'allongeant sur les fleurs quand ils sont repus.
Dans la chaleur de plomb fondu qui envahit l'air, nous nous baignons tous ensemble. Nous nous laissons glisser sur le lac, accrochés aux encolures, agrippés aux crinières. Les chevaux nagent, se roulent dans le sable brûlant et s'endorment à l'ombre de maigres chardons calcinés par la fournaise. Indicible renaissance au contact de l'eau pure, de la peau et du corps caparaçonnés de poussière.
Nous installons la tente sur un replat surplombant le marais. La lumière de lune se reflète sur la mosaïque des pièces d'eau comme sur les facettes d'un vitrage éclaté.
Chaque soir, vers cinq heures, le ciel prépare le spectacle du coucher, met en place les draperies de nuées, dispose les traînées, agence les volutes, ordonnance les travées de nuages que les saignées de soleil embraseront une heure plus tard.
Aujourd'hui, les nouvelles générations Kirghizes découvrent le Coca-Cola sur les ruines de l'URSS et écoutent la techno, sous la statue de Lénine qui, de son socle très haut, dressé entre deux immeubles de la ville nouvelle, manteau au vent de l'Est, bras tendu vers demain, regarde à ses pieds l'oeuvre écroulée d'hier.
Rien n'est plus difficile que d'abreuver un cheval. Car il ne se désaltère que lorsqu'il a soif et ne s'encombre pas de faire provision, en prévision des assoiffements futurs. Il ne sait pas que l'attendent des kilomètres de pistes désertiques. Il doit croire que de gras alpages et des torrents d'eau fraîche surgiront au bon moment, au détour du chemin.
Parfois, il nous semble que les chevaux entendent et remarquent à l'horizon des choses dont nous n'avons pas idée. Acuité des sens de l'animal. La nôtre se développera au fur et à mesure de la marche à leurs côtés. Présence au monde acquise en chemin. Clairvoyance enseignée par la vie vagabonde. C'est ainsi qu'on devient nomade : en lisant les signes cachés de la Nature, en percevant aussi ceux que lancent les chevaux.