Ce qu’il m’est resté du confinement ? Pas grand-chose au final, à part mes lectures ; le mimétisme absurde dans lequel la planète s’est enfoncée en copiant un pays communiste totalitaire qui s’en fout éperdument du bien-être de son peuple, un président Macron incapable de trancher la moindre question, laissant des avions atterrir sur le sol français avec tous leurs passagers bientôt lâchés dans la nature comme si de rien n’était, sans contrôle, pendant qu’au même moment des flics interpellaient des randonneurs seuls dans la montagne, ou près du cimetière d’un petit village, les verbalisant parce qu’ils n’avaient pas leur attestation de déplacement sur eux ou parce qu’ils l’avaient remplie au crayon à papier, ce qui laissait supposer une fraude. On a réactivé en douce les transports en commun alors même que le métro de New York a été un corbillard en partance directe pour la mort. On nous a confinés radicalement, en mettant sous le boisseau toutes nos libertés individuelles, en nous serinant non-stop des mesures à prendre pour le bien-être de tous, s’asperger de gel hydroalcoolique par exemple, être bien propre en surface quand dans le même temps on commençait à trier les vieux dans les couloirs des urgences hospitalières et à les laisser mourir dans ces nids à abandon que sont les EHPAD, les cadavres s’entassant dans les entrepôts frigorifiques de Rungis et les familles éplorées devant glisser un petit billet à un employé des pompes funèbres pour voir leur parent une dernière fois...
Didier Raoult se présente comme un disciple de Nietzsche, hanté par Le Gai Savoir qui l’a marqué à vie. Ce n’est pas pour rien qu’il aime avoir une juste pensée des causes de chaque phénomène, exactement comme le philosophe moustachu a élaboré une pensée généalogique de la civilisation, cette « mince pellicule au-dessus d’un chaos brûlant ». Ô Nietzsche ! Fantôme de Sils-Maria ! Son humour, son ironie, son cynisme (au sens grec du terme) sont plus que des merveilles : un désir de puissance qui procède d’une faiblesse anatomique et physiologique. Bref, tout ça pour dire que Didier Raoult, face aux obstacles et aux ruptures épistémologiques, s’est attelé à construire une méthode qui soit en mesure de dévoiler l’essentiel, à savoir la vérité, laquelle se décompose peu à peu, facette par facette, dans le cubisme des réalités. Mais il faut bien dire que sa méthode est pour le moins bancale... Si bancale d’ailleurs qu’on pense à cette phrase de Nietzsche, dans Humain, trop humain : « Les médecins les plus dangereux sont ceux qui, comédiens nés, imitent le médecin-né avec un art consommé d’illusion. » Suprême ironie du Bison moustachu dont notre Buffalo Bill phocéen devrait se méfier !
D’habitude, je me lève sans savoir ce que je vais écrire. Après trois ou quatre heures seulement de sommeil, je titube de fatigue dans mon studio sans vie. Parfois, il m’arrive d’improviser un portrait de trois ou quatre pages sur une blonde énigmatiquement sexy que j’ai rencontrée la veille en pleine nuit blanche, dans un bar clandestin avec ses télés aux clips tonitruants, ses lumières en bamboula et ses chansonnettes inconnues au bataillon ; ou bien je parle d’un Kokoschka qui m’a réchauffé les yeux. La nuit se poursuit un peu. J’ai l’impression d’être seul avec mes fantômes, qui traversent sur les pointes de la discrétion cet espace qui est encore le mien (ce sont les seuls qui ont l’air de le comprendre). J’apprécie leur délicatesse. Et puis, ils finissent par s’esquiver le matin, comme des voleurs de luxe, le drap blanc aux anges, et je me fais un café et un sandwich pour éponger le passé qui semble n’avoir pas cessé de couler de ma fontaine de rêves éternelle. C’est agréable de passer à autre chose sans un mot, dans les vapeurs d’expresso...
Oubliez la grippe de Hong Kong qui s’est répandue à travers le globe juste après mai 1968, faisant un million de morts à cause d’une souche réassortie H3N2 du virus H2N2 de la grippe A ! Oubliez les hémorragies pulmonaires en cascade et les cadavres s’entassant dans les salles de réanimation sans qu’on puisse les évacuer ! Désormais, c’est la peur qui va d’un foyer à l’autre et contamine tout le monde. De Rome à Moscou, de New York à Barcelone, les mêmes images ont circulé d’avenues désertes, de carrefours fantômes à peine traversés par quelques bus vides, de rues aussi muettes que des impasses. Jamais on n’avait aussi bien vu la mort à l’œuvre, la mort qui vide les lieux les uns après les autres, la mort qui force chacun à rester chez soi et à oublier progressivement, dans son trou à rat ou dans son château sublime, l’existence d’une espèce humaine.
Marseille. L’ex-éternelle princesse délaissée par ce royaume fantoche qu’est devenue la France. Le gros caillou plein de vent où une foule de silhouettes bleues paresse au soleil, avec des cœurs gros sans qu’on puisse s’en douter. La Marsiho sublime du grand poète oublié André Suarès, noyé avec ses cheveux longs et ses petits yeux noirs comme des billes en feu dans les pauvres ambroisies poétiques de notre siècle, ces nectars pour tocards !
C’est là-bas que tout devait se jouer. C’était écrit d’avance dans la course des planètes, dans tout un résidu d’étoiles que la pollution lumineuse des grandes villes recouvre d’un intolérable halo et qu’enfant j’aurais adoré observer, au fond d’un jardin, avec mon télescope miniature...