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336 pages
G. Charpentier & Cie (10/06/1887)
5/5   1 notes
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Chroniqueur raffiné, élégant et réaliste des moeurs provinciales, André Theuriet est l'un de nos écrivains les plus injustement oubliés. Comme Victor Cherbuliez ou Georges Ohnet, c'est un peintre érudit de la bourgeoisie de province, particulièrement de celle des petites villes ou des petites bourgades, dont les égarements, les problèmes familiaux, les trahisons amoureuses, deviennent vite des sujets publics de conversation. Sur bien des plans, son oeuvre s'inscrit dans la continuité de George Sand, avec la même préciosité des sentiments et des dialogues, tout en s'éloignant des thèses socialistes et du contexte paysan de son modèle.
André Theuriet était un républicain modéré et un laïc confirmé : ses personnages sont rarement pénétrés d'idéologies. La sincérité et l'honnêteté des sentiments sont de loin les valeurs qu'il défend le plus ardemment, contre les hypocrisies mondaines, les ragots, les postures sociales tranchées et les cléricaux et aristocrates désuets. Il est sur bien des plans un pur produit de l'esprit de la IIIème République : ouvert, tolérant, moderne, convivial et conciliant. Son oeuvre, qui s'étale sur les trois dernières décennies du XIXème siècle, en a acquis une grande force documentaire, car même si André Theuriet est un auteur plutôt aimable et romantique, ses chroniques provinciales sont très réalistes, souvent empreintes de souvenirs personnels, et demeurent un témoignage de grande valeur sur la Belle-Époque.
« L'Affaire Froideville », dont il est question ici, est pourtant un roman très différent de son style habituel. D'abord, parce qu'il se passe exclusivement à Paris, et ensuite, parce que l'intrigue sentimentale passant au second plan, « L'Affaire Froideville » est un des rares romans d'André Theuriet qui soit un portrait à charge, une critique cinglante de l'administration française, et ce huit ans avant la parution du célèbre « Messieurs les Ronds-de-Cuir » de Georges Courteline.
Il est vrai qu'André Theuriet connaît bien ce sujet : la littérature n'étant pour lui qu'un violon d'Ingres, il occupa différents emplois administratifs à travers la France, dont un poste de gratte-papier au Ministère des Finances, à Paris, qui semble être principalement la base de ce roman…
« L'Affaire Froideville », c'est d'abord une blague, la plaisanterie qui traîne dans le bureau d'un ministère parisien, celui des Finances indéniablement bien qu'il ne soit jamais expressément nommé dans le récit. Cette affaire avait longtemps traîné à l'étage consacré aux legs et aux héritages, et bien que le dossier ait finalement été classé puis oublié, le nom de l'instance est devenu, dans ces bureaux où les employés vont et viennent, le synonyme arbitraire d'un dossier impossible à résoudre. Mais voilà qu'un matin, un vieil homme débarque de sa province, avec dans ses papiers de quoi relancer la fameuse affaire Froideville. Celle-ci peut se résumer – à défaut de se résoudre - en quelques mots.
Un siècle auparavant, un aristocrate de la Haute-Marne, le marquis de Froideville avait fait un mariage d'amour avec une jeune roturière. Mais très vite, le marquis avait montré des signes de plus en plus évidents de troubles psychologiques, qui se muèrent en paranoïa. Alors que son épouse tomba enceinte, il se persuada, sans même le début d'une preuve, que l'enfant n'était pas de lui. Rien ni personne ne put le faire changer d'avis, et moyennant le versement d'une pension, il répudia son épouse et l'abandonna seule avec son enfant en bas-âge, dans une bourgade à vingt kilomètres du château.
Lorsque le marquis mourut, quelques années plus tard, ses frères se partagèrent son héritage. L'épouse répudiée en appela donc à l'État, car sans sa pension, ses moyens de vie devenaient difficiles, et malgré le contrat moral passé avec son défunt mari, elle n'en restait pas moins marquise de Froideville, vu qu'aucun divorce n'avait été prononcé. Elle réclamait donc une partie de l'héritage, non pour elle mais pour sa fille. Peu enthousiaste à intervenir dans la vie des aristocrates, l'administration renâcla longtemps à traiter l'instance, tellement longtemps que l'épouse répudiée eût le temps de mourir. Cela permit de classer l'affaire, car sa fille, écoeurée, préféra en rester là, et épousa un jeune dessinateur industriel du nom de Pierre Sombernon, à qui elle donna une fille nommée Thérèse, comme sa malheureuse grand-mère. Elle ne connut que peu de temps les joies de la maternité, et mourut précocement. Pierre Sombernon éleva seul la petite Thérèse, dans des conditions financières difficiles. Aujourd'hui âgée de 22 ans, la jeune Thérèse Sombernon s'est passionnée pour l'histoire de sa grand-mère, et a fini par retrouver, dans le grenier de la maison familiale, des documents qui attestent que le marquis de Froideville avait reconnu, à la naissance de l'enfant, être son père. Fort de ce nouvel élément, Thérèse avait convaincu son paternel de monter à Paris et de relancer l'affaire au Ministère des Finances.
On avait d'abord envoyé balader le vieil homme, mais il était tombé ce fameux matin sur Jacques Marly, un jeune fonctionnaire fraîchement nommé et encore plein d'illusions sur la mission de la fonction publique. Celui-ci, convaincu que l'instance est tout à fait plaidable, décide de relancer l'affaire, par pur esprit de justice. Mais le dossier Froideville ne va pas tarder à devenir le noeud d'intrigues entremêlées de la part des supérieurs de Marly, qui ne voient dans cette affaire que le moyen de servir leurs intérêts personnels, ou au contraire de saborder ceux d'un rival.
Couturier, le chef de Marly, est un fonctionnaire timoré qui cherche à étouffer le dossier, pour la seule raison qu'il témoigne d'une erreur causée par le service, et que ce genre de choses ne doit pas se savoir. Son rival et ennemi intime, Deshorties, porte l'affaire à son sous-directeur Perceval, afin qu'il force Couturier à traiter le dossier. Mais Perceval lutte lui-même avec un autre sous-directeur, Dubrac, pour obtenir le poste du directeur principal, lequel, absent pour une longue maladie, agonise et peut mourir à n'importe quel moment. Les deux hommes se disputent longuement le dossier, ce qui est encore une façon de ne pas le traiter. Excédé, et avec l'accord des Sombernon dont il s'est amicalement rapproché, Jacques Marly profite d'un contact dans la presse pour rédiger anonymement un article sur l'affaire Froideville, accompagné d'un portrait très acide sur les actuels égarements de ses supérieurs.
Rappelés à l'ordre par le ministre lui-même, furieux de cet article, tous les fonctionnaires du service s'attèlent à la résolution rapide du dossier, mais cet article de journal a hélas fourni aux Sombernon un nouvel adversaire : Bernard de Froideville, dernier héritier du marquisat.
Celui-ci apprend que son patrimoine est menacé. Ami d'un député influent, il parvient à dénicher le nom de Perceval, et entre en contact avec lui. Il lui promet sa nomination au poste du directeur agonisant s'il enterre définitivement le dossier Froideville. Perceval n'est pas contre, mais il ne peut aller contre les exigences du ministre. Pour enterrer le dossier, il faudrait un vice de procédure...
Froideville enquête donc officieusement et finit par se rendre compte de la grande complicité qui existe entre les Sombernon et ce Jacques Marly qui traite leur instance. Il parvient à réunir suffisamment de preuves que le jeune fonctionnaire est sorti de son devoir de réserve, et qu'il est probablement aussi l'auteur de l'article sur l'affaire publié dans le journal.
Habile, intelligent et voulant mettre toutes les chances de son côté, Bernard de Froideville se présente chez les Sombernon et leur met le marché en main : s'il transmet ce qu'il a appris au ministère où travaille Jacques Marly, ce dernier sera révoqué tandis que l'instance Froideville sera à nouveau classée, suite cette fois à un vice de procédure. Bon prince, Froideville accepte de détruire ses preuves et de sauver la place de Jacques Marly, en échange d'un contrat stipulant que Thérèse Sombernon renonce pour toujours à réclamer l'héritage Froideville. Il s'engage également, si elle signe, à lui faire un don désintéressé de 200 000 francs, qui lui permettra de ne plus rester dans la précarité.
Tiraillé entre le désir de réhabiliter sa grand-mère, son propre besoin d'argent, et aussi par les tendres sentiments qui sont nés en elle pour Jacques Marly, Thérèse Sombernon signe finalement l'abandon de poursuites. Bernard de Froideville exulte, il a sauvé son héritage… En remerciement, comme le directeur du Ministère a trouvé à propos de mourir au même moment, et bien que Dubrac soit pressenti pour le remplacer, Froideville appuie la candidature de Perceval, et c'est finalement ce dernier qui obtient le poste, à la surprise générale. Mais sachant que Jacques Marly ne sera pas dupe de cette nomination et qu'il sera difficile dorénavant de travailler avec lui, Perceval ordonne sa mutation dans une lointaine province. Écoeuré, Jacques Marly préfère démissionner, laissant Perceval médusé par une telle action. Démissionner ? Vraiment ? Alors qu'il y a la sécurité de l'emploi ?...
Jacques Marly n'aura cependant pas tout perdu à vouloir faire honnêtement son travail : l'amour de Thérèse lui est acquis, et les 200 000 francs de Froideville lui font une fort jolie dot. Ensemble et désormais mariés, ils vivent chichement, d'autant plus qu'ayant un certain talent pour le dessin, Jacques dispose du temps de parfaire son art, et en quelques années, il devient un peintre célèbre, dont les toiles s'arrachent à prix d'or…
« L'Affaire Froideville » est donc une attaque en règle de l'administration publique, de l'incompétence, de l'égoïsme et de la corruption des fonctionnaires. Si, sur bien des plans, ce roman nous semble encore terriblement actuel, tant l'administration reste de nos jours un vivier d'incompétences, il faut tout de même souligner que ce roman traite d'une époque où les concours internes n'existaient pas dans la fonction publique; il en résultait donc des rivalités et des haines, quant aux nominations, à la montée en grade et aux gratifications. Ces travers-là ont aujourd'hui disparu.
Néanmoins, la mission de service public est ici présentée dans toute son incompétence monolithique, et à ma connaissance, c'est la première fois que la littérature française a abordé ce sujet. Courteline, paradoxalement, y aura plus de succès en se cantonnant à la satire et à l'humour potache avec ses « Messieurs les Ronds-de-Cuir ».
André Theuriet signe cependant ici un roman beaucoup plus ambitieux, particulièrement engagé, tout à fait réaliste et désabusé. Pour lui, l'administration est viciée par ceux-là mêmes qui la font vivre, les arrivistes ne pensant qu'à leur carrière, les tire-au-flanc ne veillant qu'à leur tranquillité. Employé exemplaire, Jacques Marly est le seul à perdre son emploi, tandis que son supérieur le plus corrompu et le plus calculateur s'élève dans la hiérarchie. Tout le cadre de ce ministère y est d'ailleurs dépeint avec une galerie de personnages très variés et hauts en couleur, sympathiques mais affligeants, qui ont tous en commun de ne songer qu'à leur petit nombril. le "devoir de réserve",y est perçu comme l'aubaine des égoïstes qui trouvent facilement les prétextes, les alinéas du règlement, qui permettent de bâcler, d'empêcher ou de faire traîner interminablement une instance. À l'image de Jacques Marly et des Sombernon, ceux qui ont souci de justice et d'honorabilité doivent se tenir loin de la fonction publique et ne rien en attendre. Malgré la douceur du verbe et la rigueur d'un récit parfaitement maîtrisé, le message sous-jacent est étonnamment violent et nihiliste, surtout de la part d'un fonctionnaire zélé.
Néanmoins, « L'Affaire Froideville », s'il diffère considérablement, par son sujet, son humour noir et sa vision cynique, des autres romans d'André Theuriet, relève de l'ahbituel travail soigné d'un écrivain talentueux, qui réussit pleinement son expérience littéraire, et dont le récit, pour être moins contemplatif et atmosphérique qu'à son ordinaire, reste totalement envoûtant, flirtant même avec le rythme soutenu d'un roman policier sans pour autant sortir d'un portrait de moeurs bourgeoises façon Georges Ohnet.
Enfin, quelques moments de poésie romantique, quand il s'agit de narrer l'éveil amoureux de Jacques et Thérèse, nous font retrouver un André Theuriet plus classique, qui ne peut se résoudre à rédiger un roman qui soit totalement dépourvu d'une jolie romance pleine de bons sentiments, et qui sont ici une véritable bouffée d'oxygène au milieu d'un étouffant brouillard de mesquineries.
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