Citations sur East Village Blues (31)
Mon coeur, excellent conseiller, m'avait tôt informée que si la vie est un festin rien ne permet de prévoir combien de temps pour nous la table sera encore mise et le plus exquis encore à notre portée.
Si la vie était une party, la si simple et extraordinaire question posée par Jack Kerouac « Pourquoi ne nous arrive t’il jamais de pleurer du seul fait d'être vivant ? » ne nous atteindrait pas. Alors qu’au sortir d’une fête, ivres et brisés, et bizarrement lucides, nous la découvrons avec le lever du soleil. Elle s’insinue partout en nous, en chacun de nos membres, de nos organes, sous chaque millimètre de notre peau, et soudain, hors raison, nous fait éclater en sanglots.
Les tours du World Trade Center dominaient de très haut toutes les autres constructions, y compris l'Empire State Building et le Chrysler Building. Elles étaient seules alors avec leurs cent dix étages.
Marcheuse vers rien : ça ne retire pas leur nécessité aux tracés de mes errances.
De même que les fous de lecture se désespèrent à la pensée de l'infini des bibliothèques inexplorées, des milliers et milliers de livres que le temps limité de l'existence humaine leur interdit de lire, et que les libertins et libertines se rongent d'impuissance à la représentation des innombrables êtres de charme que les circonstances ne cessent d'offrir à leurs désirs alors qu'ils sont condamnés à faire un choix, les voyageurs dans l'âme se désolent de l'écart impossible à combler entre l'immensité du monde, son inépuisable richesse, et l'infime portion qu'ils auront réussi à approcher.
Mais justement non, la vie n'est pas une party, Pas toujours, en tout cas. Elle est aussi une traversée usant d'attentes, monde de pièges, déchirée de souffrances , de deuils. Et c'est parce-qu'il y a ce savoir noir , ces gouffres pressentis, ce tremblement en bord de larmes, qu'il peut y avoir fête. Sans cela, il n'y aurait que des matins normaux.
"Quand le soleil brille dans le ciel est bleu et que tous les oiseaux chantent en français", s'émerveillait Paul Claudel à l'un de ses retours en France. A l'inverse, autour de moi, perchés sur les arbres de l'East Village, les étourneaux chantaient en yiddish, en italien, en russe, en allemand, en ukrainien, en américain aussi, parfois, mais toujours avec un fort accent, et seulement quand ils avaient à se communiquer une nouvelle d'intérêt collectif. Ce qui ne se produisait presque jamais.
La passion me revient, le luxe de marcher pour marcher, de croiser des corps, des visages, de scruter des fenêtres, de déchiffrer au passage un titre de journal, un graffiti incendiaire, de saisir au vol un souffle d'air, une phrase, un geste étrange, un rire pour soi.
Les aubes d'arrivée ont une puissance singulière.
Tout de suite, à 5 heures du matin, le ciel parsemé de légers nuages blancs, est traversé de lueurs bleu acier et roses. Un air, encore irrespiré, transmet une faible fraîcheur venue de la nuit. J'en éprouve comme un parfum d'aventure.