La Croix-Rouge avait construit des camps de réfugiés dans les pays voisins du Vietnam pour accueillir les boat people, ceux qui avaient survécu au voyage en mer. Les autres, qui avaient coulé pendant la traversée, n’avaient pas de noms. Ils sont morts anonymes. Nous avons fait partie de ceux qui ont eu la chance de se laisser choir sur la terre ferme. Alors, nous nous sentions bénis d’être parmi les deux mille réfugiés de ce camp qui n’en devait desservir que deux cents.
J'ai rencontré des parents dont le regard s'était éteint (...) pendant les trop nombreuses années de rééducation communiste dans les camps, non pas les camps de la guerre, mais ceux de la paix, après la guerre.
(p. 21)
Mes enfants m'ont donné le pouvoir exclusif de souffler sur une plaie pour faire disparaitre la douleur, de comprendre des mots non prononcés, de détenir la vérité universelle, d'être une fée.
Si elles avaient pris le temps de laisser le sommeil venir à elles , elles se seraient imaginé leurs fils réduits en mille morceaux ou le corps de leur mari flottant sur une rivière telle une épave .
Mes frères et moi, nous avons ainsi marché dans les traces de leur regard pour avancer. J'ai rencontré des parents dont le regard s'était éteint, certains sous le poids du corps d'un pirate, d'autres pendant les trop nombreuses années de rééducation communiste dans les camps, non pas les camps de la guerre, mais ceux de la paix, après la guerre.
Les gens assis sur le pont nous rapportaient qu'il n'y avait plus de ligne de démarcation entre le bleu du ciel et le bleu de la mer. Le paradis et l'enfer s'étaient enlacés dans le ventre de notre bateau. Le paradis promettait un tournant dans notre vie. L'enfer, lui, étalait nos peurs [...].
La vie est un combat où la tristesse entraîne la défaite.
pendant longtemps j’ai cru que ma mère prenait un plaisir fou à me pousser constamment au bord du précipice……j’ai compris plus tard que ma mère avait certainement des rêves pour moi, mais qu’elle m’a surtout donné des outils pour me permettre de recommencer à m’enraciner, à rêver
Sans son visage, nous aurions certainement perdu le désir de tendre la main pour rattraper nos rêves.
[...] j'allais au bord d'un étang à lotus en banlieue de Hanoï, où il y avait toujours deux ou trois femmes au dos arqué, aux mains tremblantes, qui, assises dans le fond d'une barque ronde, se déplaçaient sur l'eau à l'aide d'une perche pour placer des feuilles de thé à l'intérieur des fleurs de lotus ouvertes. Elles y retournaient le jour suivant pour les recueillir, une à une, avant que les pétales se fanent, après que les feuilles emprisonnées aient absorbé le parfum des pistils pendant la nuit.