Citations sur Ce qu'elles disent (65)
Je lui ai répondu que je venais d’une partie du monde qui avait été fondé pour être un monde en soi, séparé du reste de l’univers. En un sens, lui ai-je expliqué, les miens (je me souviens d’avoir étiré les mots « les miens » dans une intention ironique avant d’être envahi par la honte et de demander silencieusement pardon) n’existent pas ou, à tout le moins, ils veulent être perçus comme s’ils n’existaient pas.
Tête baissée, les femmes continuent d’adresser des louanges à notre Père céleste. (Deux jours avant de disparaître, mon père, je m’en souviens comme si c’était hier, m’a dit que les deux piliers qui défendent l’entrée du temple de la religion sont le mensonge et la cruauté.)
Nous, les femmes, n’avons jamais rien demandé aux hommes, dit Agata. Rien du tout. Même pas le sel, à table, même pas un sou, même pas un moment de tranquillité, même pas de rentrer la lessive, de tirer un rideau, d’y aller doucement avec les yearlings, de poser une bas sur le bas de mon dos pendant que j’essayais, pour la douzième ou la treizième fois, de pousser un bébé hors de mon corps.
Ça ne manquerait pas de cachet, ajoute-t-elle, que l’unique demande que les femmes feraient aux hommes serait de s’en aller ?
Le problème, enchaîne Salomé en se faisant un devoir d’ignorer Neitje, c’est que ce sont les hommes qui interprètent la Bible et qui nous transmettent leur interprétation.
Salomé a ri encore une fois. Je ne m’étais pas rendu compte qu’elle riait si souvent, comme sa mère, comme toutes les femmes de Molotschna. Elles réservent leur souffle pour rire.
La vérité, c'est que je ne maîtrise pas l'art de la conversation, ce qui ne m'empêche hélas pas de vivre à chaque instant les affres des pensées inexprimées.
Je songe, bien qu’il s’agisse d’une digression, à l’affirmation de Montaigne : « Rien n’est cru avec autant de ténacité que ce que nous connaissons le moins. »
Nous savons que les conditions de vie qui prévalent à Molotschna ont été créées par les hommes, que ce sont ces conditions qui ont rendu les agressions possibles, que c’est justement la situation à Molotschna qui a permis la conception, la planification et les justifications de ces agressions dans l’esprit des hommes.
Pouvons-nous envisager de demander aux hommes de partir ?
Nous, les femmes, n’avons jamais rien demandé aux hommes, dit Agata. Rien du tout. Même pas le sel, à table, même pas un sou, même pas un moment de tranquillité, même pas de rentrer la lessive, de tirer un rideau, d’y aller doucement avec les yearlings, de poser une main sur le bas de mon dos pendant que j’essayais, pour la deuxième ou la troisième fois, de pousser un bébé hors de mon corps.
Ça ne manquerait pas de cachet, ajoute-t-elle, que l’unique demande que les femmes feraient aux hommes serait de s’en aller ?
Elle ne croit pas à l’autorité, point à la ligne, parce que l’autorité rend les gens cruels.