Lettres aux Tsars (inédits et nouvelles traductions)

Nous étions censés passer notre lune de miel mais c’était l’enfer dans un bas de soie; hypocrisie et horreur.

Avant les devoirs du tsar, il y a les devoirs de l’homme et ceux-ci doivent être les devoirs essentiels d’un tsar; les deux ne doivent faire qu’un.

Au tsar et à ses assistants
Appel du 15 mars 1901

Il est très vraisemblable que l'agitation qui vient d'apparaître sera étouffée. Mais si elle est étouffée maintenant, elle ne s'éteindra pas et continuera de couver clandestinement sous la cendre. Tôt ou tard elle resurgira inévitablement avec une force renouvelée et occasionnera des souffrances et des crimes encore plus horribles.

Au tsar et à ses assistants
Deuxième appel - Octobre 1905
Vous luttez pour le pouvoir qui vous fuit. Mais l'important n'est pas que vous gardiez ou non le pouvoir. Ce n'est pas cela qui est important. L'important ce sont les souffrances corporelles et spirituelles, la perversion qui s'abat sur le peuple russe parce que vous n'avez pas su, et ne savez ou ne voulez toujours pas, utiliser votre pouvoir pour le bien du peuple.

Préface d'Henri Troyat à Lettres aux tsars de Léon Tolstoï
Extrait
(..) Les lettres et articles sont "les trompettes de Jérico" qui ont pour but de faire tomber les murailles de l'autocratie. Bien que nous en ayons eu déjà quelques exemplaires, celles-ci, rassemblées en un recueil à théme, nous frappent avec la hardiesse et l'intrépidité de l'auteur ainsi que par son étonnante clairvoyance qui touche à la prophétie.

Ecrits entre 1862 et 1902, au cours des règnes d'Alexandre II, Alexandre III et Nicolas II, ces lettres et pamphlets traitent d'un seul sujet : le malheur du peuple sous un régime "inepte et cruel". Nous voyons ici l'expression de la "pitié russe" qui rappelle celle de Dostoïevski sans lui être identique.

(..) On croirait lire un texte contemporain. Combien de pays mériteraient aujourd'hui qu'un de ses écrivains prenne leur défense avec un tel esprit d'analyse et une telle détermination.
HT

Lettre à Alexandre III. 8-15 mars 1881.

Extrait :
(...) Votre père, le tsar russe (*), qui a fait tant de bien et qui voulait tant de bien aux gens, un homme âgé et bon, a été mutilé et tué de façon inhumaine non par ses ennemis personnels mais par les ennemis de l'ordre existant des choses ; il a été tué au nom d'une curieuse idée du bien de l'humanité tout entière. Vous lui avez succédé et Vous êtes confronté aux mêmes ennemis, ceux qui ont empoisonné la vie de votre père et qui l'ont fait périr. Ils sont vos ennemis parce que Vous occupez la place de Votre père et au nom du même bien illusoire qu'ils recherchent, ils doivent souhaiter Vous tuer aussi..

(*) Le père d'Alexandre III était Alexandre II, tué par une bombe dans une rue de Saint Pétersbourg en 1881. Son fils s'opposera à toutes les réformes prévues par son père et raffermira l'autocratie

Lettre à Alexandre II, Moscou, le 22 août 1862.

Votre Majesté !

Le 6 juillet, un officier de gendarmerie, accompagné d'autorités territoriales, sont venus en mon absence dans ma propriété. C'était l'époque des congés et il y avait des hôtes dans ma maison : des étudiants, des instituteurs ruraux du district dont je fus l'arbitre de paix, ma tante et ma soeur. L'officier de gendarmerie a déclaré aux instituteurs qu'ils étaient arrêtés ; il a exigé qu'ils lui remettent leurs affaires et leurs papiers. La fouille a duré deux jours. Ils ont fouillé l'école, les caves et les garde-mangers. D'après ce qu'a dit l'officier de gendarmerie, ils n'ont rien trouvé de suspect.

Outre l'offense faite à mes hôtes, il a encore fallu que cette même offense soit faite à moi-même, à ma tante et à ma soeur. L'officier de gendarmerie est allé fouiller mon bureau et aussi la chambre à coucher de ma soeur. A la question de savoir sur quelle base il agissait ainsi, l'officier de gendarmerie a littéralement déclaré qu'il agissait sur ordre suprême ..

Dans la préface, on peut lire ceci : "nous avons deux tsars : Nicolas II et Lev Tolstoï . Lequel est le plus fort ? Nicolas ne peut rien contre Tolstoï, il ne peut pas le détrôner, tandis que Tolstoï ébranle le trône de Nicolas II et de sa dynastie..
(Henri Troyat qui remonte ce mot de l'éditeur célèbre à l'époque : A.S. Souvorine)