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Citations sur Lucerne (14)

En deuxième lecture, je confirme mes impressions plus que mitigées. Jusqu'à la rencontre avec ce chanteur de rue, la prose de Tolstoï se décline avec la talent qui lui est coutumier, elle est tour à tour contemplative, critique, presque panthéistique. Nous sommes en 1857 quand il écrit cette nouvelle, il a 28 ans. Visiblement cette construction moderne, carrée lui sort par les trous de nez. Visiblement ce diner huppé dans l'hôtel de luxe le Sweizerhoff, ces convives guindés qui ne semblent vivre que pour eux-mêmes, perdus dans des convenances et leurs chuchotements, lui rappellent des mauvais souvenirs de sa toute jeunesse. Il ne le supporte pas, il est seul :
" Aucun sentiment issu de l'âme ne se reflétait dans le geste de ces mains blanches, ornée de bagues et de mitaines (..), Ce genre de dîner me rend infiniment morose, désagréable et triste. "

Le spectacle que va donner le Tyrolien sous les balcons de l'hôtel de luxe, qui va tourner au fiasco va émouvoir le Prince Nekloudoff .. et je vois l'ambiance, tout le monde se barre, elle est sinistre.. Les gens de l'hôtel, riches anglais et autres, continuent de vaquer invariablement à leurs affaires ..

Il serait intéressant de voir ce qu'en a pensé l'auteur lui-même de cette nouvelle, l'a-t-il envoyé aux pelotes comme Le Bonheur conjugal qui va suivre qui lui était véritablement un chef d'oeuvre. C'est une époque où Tolstoï jurait qu'on ne le reprendrait plus sur "ses petites distractions qui amusent les hommes", il se lassait des fictions, il était désabusé. Je m'empresse d'ajouter que cette oeuvre d'une trentaine de pages, il faut vite l'oublier, c'est faible, et se tourner vers tout le reste de sa production qui a ma totale approbation. Et je l'excuse mille fois bien sûr !

J'ajouterai à ma première impression de lecture que Tolstoï était vraiment de mauvais poil, d'humeur changeante en cet été 1857. Il venait de visiter Paris qui lui laissa un goût fort amer, avec cette exécution capitale sur la place publique, ce cérémonial, ce raffinement dans l'horreur. Et sa rencontre avec Tourgueniev ne fut hélas pas de nature à le calmer. La brouille entre les écrivains était visible : Tolstoï n'apprécia pas l'attitude (ardente) que Tourgueniev avait manifesté pour sa soeur Marie ... Certes Tolstoï avait ses défauts, mais il ne faut pas non plus tout lui mettre sur le paletot ; combien de fois ai-je lu que Tolstoï avait snobé Tourguenief après que celui-ci ne cessait de l'encenser et de le considérer comme le futur grand prosateur de la terre russe attendu par tout un peuple. Tolstoï ne s'est jamais répandu sur cette affaire .. On n'a jamais inventé l'eau chaude en disant que Tolstoï avait un tempérament fougueux, farouche, comme il pouvait être d'un caractère radicalement différent ..
Maintenant, grâce à l'invasion anglaise, à leurs exigences, à leur goût et à leur argent, le vieux pont est disparu et à sa place s'étend un quai rectiligne. On y construit des maisons carrées, à cinq étages, et devant sont plantées deux rangées de tilleuls protégés par leurs tuteurs et, entre les tilleuls, comme il convient, des petits bancs verts. Cela s'appelle une promenade et c'est là que, de long en large, se promènent des Anglaises coiffées de chapeaux tyroliens, ainsi que des Anglais vêtus de costumes confortables et solides. Et tous sont contents d'eux-mêmes.
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Le lac, bleu comme la flamme du souffre, avec les points que formaient les bateaux, s'étendait immobile et comme bordé entre les rives vertes et variées
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« Le 7 juillet 1857, à Lucerne, devant l'hôtel Schweizerhof où sont logés les gens les plus riches, un misérable chanteur ambulant a passé une demi-heure à chanter des chansons et à jouer de la guitare. Plus de cent personnes l'ont écouté. Trois fois, le chanteur les a priés de lui donner quelque chose. Personne ne lui a rien donné, et beaucoup se sont moqués de lui. »
Ce n'est pas une invention, c'est un fait réel, sur lequel ceux qui le désirent peuvent se renseigner auprès des pensionnaires du Schweizerhof, en consultant les journaux pour savoir quels étrangers s'y trouvaient le 7 juillet.
Voilà un événement que les historiens de notre temps doivent graver dans le marbre, inscrire en lettres de feu. C'est un événement plus significatif, plus sérieux, et qui a un sens plus profond que les faits relevés dans les journaux et les livres d'histoire. Que les Anglais aient tués mille Chinois parce que les Chinois n'achetaient rien pour de l'argent, tandis que leur pays engloutissait de la monnaie sonnante et trébuchante, que les Français aient tué encore mille Kabyles parce que le blé poussait bien en Afrique et qu'une guerre permanente était utile pour l'entraînement des armées, que l'ambassadeur de Turquie à Naples ne puisse pas être un Juif et que l'empereur Napoléon se promène à pied à Plombières et assure son peuple par voie de presse qu'il ne règne que par la volonté du peuple entier, — tout cela, ce sont des mots qui dissimulent ou révèlent ce que l'on sait depuis longtemps ; mais l'événement qui s'est produit à Lucerne le 7 juillet me paraît absolument nouveau, étrange, et ne concerne pas les vices permanents de la nature humaine, mais une certaine époque du développement de la société. C'est un fait qui n'appartient pas à l'histoire des actions humaines, mais à celle du progrès et de la civilisation.
Pourquoi ce fait inhumain, impossible dans un village, qu'il soit allemand, français ou italien, est-il possible ici, où la civilisation, la liberté et l'égalité sont portés au pinacle, où se rassemblent des voyageurs appartenant à ce qu'il y a de plus civilisé dans les nations les plus civilisées ? Pourquoi ces gens cultivés, humains, capables en général de n'importe quelle action témoignant d'honnêteté et d'humanité, n'ont-ils pas assez de cœur pour accomplir individuellement une bonne action ?
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Qui mérite davantage le nom d'homme et qui celui de barbare : est-ce le lord qui, apercevant le vêtement fripé du chanter, a quitté la table avec colère, n'a pas voulu lui donner pour ses peines le millionième de sa fortune et à présent, rassasié, assis dans sa chambre tranquille et bien éclairée, discute paisiblement les affaires de la Chine, en justifiant les assassinats qui s'y perpètrent, ou le petit chanteur qui, risquant la prison, avec un franc en poche, s'en va depuis vingt ans, sans faire de mal à personne, par monts et par vaux, apportant aux hommes la consolation de ses chants, et qu'on a offensé, qu'on a presque mis à la porte tout à l'heure et qui, fatigué, affamé, couvert d'opprobre, est allé dormir quelque part sur une couche de foin pourri ?
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Mais comment vous, enfants d'un peuple libre et humain, vous, chrétiens, vous, hommes tout simplement, avez-vous pu répondre à la pure volupté que vous a procurée un malheureux qui vous implorait par la froideur et la dérision ? Mais non, dans votre pays il y a des asiles pour les mendiants. — Il n'y a pas de mendiants, il ne doit pas y en avoir, le sentiment de compassion sur lequel est fondée la mendicité ne doit pas exister. — Mais il s'est donné de la peine, il vous a donné de la joie, il vous a priés de lui donner ne serait-ce qu'une petite parcelle de votre superflu pour cette peine dont vous avez profité. Et vous, avec un froid sourire, vous l'avez observé comme un oiseau rare du haut de vos brillants palais, et parmi la centaine de gens riches et heureux que vous étiez, il ne s'en est pas trouvé un seul pour lui jeter le moindre sou ! Couvert de honte, il s'est éloigné de vous ; et celui que la foule obtuse a poursuivi et abreuvé d'offenses, ce n'est pas vous, c'est lui, — votre froideur, votre cruauté, votre malhonnêteté, le fait que vous lui ayez volé le plaisir qu'il vous a donné, c'est à LUI qu'on le fait payer en l'offensant.
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Quoi que disent les défenseurs du sentiment populaire, une foule est une réunion d'êtres qui, séparément, peuvent être bons, mais qui n'ont en commun que leurs côtés animaux, repoussants : elle n'exprime que la faiblesse et la cruauté de la nature humaine.
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— Dites-moi, les messieurs sont plus généreux là-bas ? continuai-je, souhaitant lui faire partager ma colère contre les habitants du Schweizerhof. — Là-bas il ne pourrait pas arriver comme ici que dans un grand hôtel où vivent des richards, cent personnes écoutent un artiste et ne lui donnent rien…
Ma question eut un effet tout différent de celui que j'attendais. Il était à mille lieues de s'indigner contre eux ; au contraire, dans ma remarque il vit un reproche à son talent qui n'avait pas obtenu de récompense, et s'efforça de se justifier devant moi.
— On n'arrive pas toujours à se faire bien payer, répondit-il. — Quelquefois on manque de voix, on est fatigué, — c'est qu'aujourd'hui j'ai marché pendant neuf heures et chanté presque toute la journée. C'est pas facile. Et ces messieurs les aristocrates sont des gens importants, ils n'ont pas toujours envie d'écouter des tyroliennes.
— Tout de même, comment peut-on ne rien donner ?
Il ne comprit pas ma remarque.
— Ce n'est pas ça, dit-il, — ici c'est surtout qu' " on est très serré par la police ", voilà le problème. Ici, si on veut vous le permettre, on vous le permet, et si on ne veut pas, on peut même vous mettre en prison.
— Qu'est-ce que vous me dites là ?
— Eh oui. Si on vous fait une fois la remarque, et que vous chantez encore, — on peut vous mettre e, prison. J'y ai déjà passé trois mois, dit-il en souriant, comme si c'était l'un de ses souvenirs les plus agréables.
— Mais c'est affreux ! dis-je. — Et pourquoi ? — Ce sont leurs nouvelles lois de la République, continua-t-il en s'animant. — Ils ne veulent pas prendre en considération qu'il faut bien qu'un pauvre puisse vivre. SI je n'étais pas un infirme, je travaillerais. Et si je chant, est-ce que ça fait mal à quelqu'un ? Qu'est-ce que ça veut dire ? Les riches peuvent vivre comme ils veulent et " un bauvre tiable "comme moi n'a même pas le droit de vivre ? Qu'est-ce que c'est que ces lois de la République ? Si c'est comme ça, on n'en veut pas, de votre République, n'est-ce pas, monsieur Nous ne voulons pas de la République, nous voulons… nous voulons… — il hésita un peu —, nous voulons les lois naturelles.
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Et qui pourra me définir la liberté, le despotisme, la civilisation, la barbarie ? Et où sont les frontières qui les séparent ? Qui peut dire que cette mesure du bien et du mal est si inébranlablement établie dans son âme qu'il peut l'appliquer à jauger l'enchevêtrement des faits quotidiens ? Qui a l'intelligence assez vaste pour embrasser, ne serait-ce que dans un passé désormais figé, tous les faits, et en peser l'importance ? Et qui a jamais vu une situation où il n'y aurait pas du bien et du mal en même temps ? Et comment savoir si ce n'est pas parce que je ne suis au bon endroit que je vois plus de l'un ou de l'autre ? Et qui est en mesure de prendre assez de distance envers la vie, même pour un bref instant, pour la regarder de haut de façon indépendante ?
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Demandez à qui vous voudrez, à tous ces habitants du Schweizerhof : quel est le plus grand bien de ce monde ? et tous, ou au moins quatre-vingt-dix-neuf pour cent d'entre eux, vous diront avec une expression sardonique que le plus grand bien de ce monde, c'est l'argent. « Peut-être que cette pensée ne vous plaît pas et ne s'accorde pas avec vos idées élevées, vous diront-ils, mais que faire, si la vie humaine est ainsi faite que l'argent seul fait le bonheur des hommes. Je ne peux pas interdire à mon esprit de voir le monde comme il est, ajouteront-ils, — c'est-à-dire de voir la vérité. » Pitoyable est ton esprit, pitoyable est le bonheur que tu désires, et tu es toi-même une créature malheureuse, ne sachant pas de quoi tu as besoin…
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