Dans les ténèbres tout s'élance - nomade :
Sur la terre ennuitée errance - des arbres
Le vin d'or en train de monter - aux grappes
De maison en maison tournée - d'étoiles
Les cours d'eau à rebours inclinent - à fuir
Et moi je veux sur ta poitrine - dormir.
Je m’ouvre les veines : irrécupérable
Et ingarrottable, la vie coule à flots.
Mettez au-dessous assiettes et seaux !
Toutes les assiettes seront toujours plates,
Petits les seaux.
À côté, débordant
Sur la terre noire, nourrir la fougère,
Tombe, irréversible, irrécupérable
Et ingarrottable l’averse des vers.
C'est ainsi quon écoute ( l'embouchure écoute la source)
C'est ainsi qu'on sent la fleur:
profondément à perdre le sens!
C'est ainsi que dans l'air, qui est bleu,
la soif est sans fond.
c'est ainsi que ressent dans le sang
l'adolescent jusqu'alors un lotus.
C'est ainsi qu'on aime l'amour:
on tombe dans le précipice.
Tous couchés en rangs
Sans partage.
À bien voir les soldats,
Où sont les nôtres ? Et les autres ?
Il était Blanc — le voilà rouge
Rouge de sang.
C’était un Rouge — le voilà blanc
Blanc de mort.
1920
Pas un carrosse du tonnerre :
Mais deux regards qui se croisèrent.
Pas de Babylone tombée :
Juste deux âmes affrontées.
Pas un orage au Pacifique :
Rien que des flèches entre Scythes.
- 16 janvier 1925
J'écrivais sur un tableau d'ardoise,
Et sur les feuillets d'éventails fanés,
Et sur le sable des mers et rivières,
D'un patin sur la glace, d'une bague sur le verre,
Et sur l'écorce des arbres centenaires...
Et, enfin, pour que nul ne pût ignorer
Que tu es aimé! aimé! aimé! aimé!
Je signais d'un arc dans le bleu du ciel.
Voici encore une fenêtre
où encore on ne dort.
Peut-être-on boit du vin,
Peut être-on est assis.
Ou simplement ils sont deux
Qui ne défont pas leurs mains.
Dans chaque maison, ami,
Il y a une fenêtre ainsi.
Le coup étouffé sous les années de l'oubli,
Années de l'ignorance.
Le coup qui vous arrive comme un chant de femmes,
Comme un hennissement,
Comme passe un vieux mur le chant passionné —
Le coup qui vous arrive.
Le coup qu'étouffe le fourré silencieux
D'ignorance, d'oubli.
Vice de la mémoire — rien, ni yeux ni nez,
Rien, ni lèvres ni chair.
De tous les jours l'un sans l'autre, nuits l'un sans l'autre,
La terre d'alluvion.
Le coup étouffé, comme de vase couvert.
C'est ainsi que le lierre
Mange le cœur et transforme la vie en ruines...
— Couteau dans l'édredon !
...Le coton des fenêtres bouche les oreilles,
Comme l'autre, au-delà :
De neiges, d'années, de tonnes d'indifférence
Le coup est étouffé...
Entre le 26 janvier et le 8 février 1935
Vanves
p.206-207
DEUX
Là où chacun
Est bave et bosse
J'en sais un ― qui
A même force.
Là où tous n'ont
Que vains espoirs
J'en sais un ― qui
A même pouvoir.
Là où tout n'est
que rouille et rance
Toi seul ― tu es
De même essence
Que moi.
3 juillet 1924
p.165
VERGER
Pour ce martyre,
pour ce délire;
A ma vieillesse
Donne un verger.
Pour ma vieillesse
Et ses détresses,
Pour mon labeur-
Années voûtées,
Chiennes d'années,
Années-brûlures:
Donne un verger...
Et la fraîcheur
De sa verdure
A l'évadé:
Sans- voisinage,
Sans- nul visage!
Sans- nul railleur!
Sans- nul rôdeur!
Sans- oeil voleur!
Sans- oeil violeur
Sur le qui-vive
Sans "puanteur"!
Sans bruit de coeur!
Sans âme vive!
Dis: assez souffert- tiens, voilà!
Prends ce verger- seul comme toi.
(Mais surtout, Toi, n'y reste pas!)
Prends ce verger- seul comme moi.
De ce verger, fais-moi cadeau...
Ce verger? Ou bien- l'Ici-haut?
Fais-m'en cadeau en fin de route
Pour que mon âme soit absoute.
1er octobre 1934