Citations sur Le jongleur (45)
« J’assistais en spectateur à ma deuxième vie », reconnaissait-il avec fierté. « Aucun des critiques n’avait reconnu ma voix et pourtant c’était la même sensibilité. » C’est étrange, lui qui ne se faisait aucune illusion quant aux aptitudes intellectuelles et morales des critiques parisiens, il courait pourtant après leur reconnaissance. Malgré son succès aux États-Unis et dans le monde entier, d’ailleurs.
D'où vient ce besoin incessant de traquer un auteur ? D'où vient ce besoin de chercher l'homme dans l'artiste, de le mettre à nu, de lui lire dans la main ?
Qu'est-ce qui nous anime ? Pourquoi voulons nous savoir qui il était au quotidien, sous le voile de la nuit ou à la frontière du rêve ?
Nous devons être poussés par la tentation impudique de nous mettre dans la peau du génie.De le percer à jour, de le dominer. Par pure curiosité ou peut-être par envie de l'imiter? À quoi peut servir ce reflet dans le miroir ? À en savoir plus sur nous-mêmes ?
( p.54)
Romain aurait pu endosser le costume de victime. Il avait tout l'attirail, tous les atouts nécessaires : juif, émigré, polonais. Membre à plus d'un titre du lot des persécutés, il poussa au contraire avec insolence l'art de railler et moquer
les illusions et les dangers qui les attendaient.
( p.422)
Hormis quelques dates, nous ne sommes sûrs de rien.
Il est né en 1914 à Vilna sous le nom de Roman Kacew.
Il est mort en 1980 à Paris sous le nom de Romain Gary.
Citoyen du monde déraciné qui n'a jamais trouvé de chez soi.
Écrivain, aviateur, diplomate, Don Juan moderne. (..)
Il se référait souvent au caméléon.
Le caméléon prend la couleur de l'endroit où il se trouve. Pour sa sécurité. On le met sur un tapis rouge, il devient rouge, on le met sur un tapis vert, il devient vert, blanc sur du blanc.Mais une fois sur un tapis écossais, il devient fou.Gary disait, catégorique : c'était ça ou devenir écrivain.
Dès les premiers chapitres niçois de " La Promesse de l'aube", Gary écrit comment, éprouvé par l'adversité et sûr de sa vocation littéraire, il découvrit la valeur de l'humour, " cette façon habile et entièrement satisfaisante de désamorcer le réel au moment même où il va vous tomber dessus".
( p.182)
"Qu'est-ce qui me pousse à ces courses à travers le monde ?" se demandait-il.Il ne savait pas.Après réflexion, il avait l'impression qu'ailleurs se trouvait quelque chose (ou quelqu'un) qui le rapprochait de la réponse et qui apaisait ses souffrances.
( p.395)
Il n'a jamais regretté d'avoir fréquenté l'école polonaise. Pour un écrivain, une langue de plus c'est un trésor, pas un poids.Gary lisait et écrivait couramment en polonais jusqu'à la fin de sa vie, il appréciait les romantiques polonais et pouvait réciter des strophes entières de Mickiewiecz.
Nationalité ? La réponse n'est pas simple.Cela a toujours été un problème pour lui, en tout cas au début. Juive, russe, polonaise, lituanienne ? Il se disait aussi descendant des Tatars ou bien citoyen du monde.
Il jonglait avec les réponses et s'en amusait tant elles étaient nombreuses.
( p.29)
Le russe était la langue de sa mère. Sa première langue à lui.il qualifiait en russe les choses qui arrivaient.Les sentiments.Il pleurait et rêvait en russe.(...)
Sa mère lui récitait des poèmes en français, couramment mais avec un accent.Pouchkine et Lermontov aussi.Et puis il entendait du polonais dans la cour et dans la rue.
( p.361)
(**À propos d' " Éducation européenne)
Les communistes n'ont jamais publié ce livre en Pologne.Les partisans étaient trop " politiquement impropres", même si l'auteur avait fait en sorte que cela ne se voie pas.Il aimait raconter que les Polonais se reconnaissaient tellement dans cette histoire qu'ils le soupçonnaient d'avoir volé le manuscrit à un de leurs compatriotes aviateurs.
( p.299)