Via la douce mélodie du français d'il y a trois siècle, voici un curieux récit de voyage, conte d'une vie extraordinaire au travers de pays réels et imaginaires. le héros questionne au cours de ses pérégrinations les principes qui régissent le pouvoir et la société et examine les fondements de la religion, tout en présentant les bases connues alors de ce qui formerait la science à venir. Un livre impertinent et divertissant pour le lecteur du 21ème siècle.
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Comment, poursuivis-je, paillarder, tuer, voler blasphémer, ne sont pas des crimes par lesquels on offense la majesté du Très-Puissant?» « Nullement, repartit le prêtre, car premièrement, si la paillardise était un péché, Dieu en serait lui-même l'auteur, et qui pis est, de l'inceste même puisque, selon vous-même et votre grand Moïse, n'y ayant eu au commencement qu'un homme et qu'une femme, il a fallu que leurs descendants aient fait plusieurs incestes avant que le nombre des vivants leur ait permis de les éviter. Et que l'on ne me dise pas que c'était alors une nécessité, puisqu'il n'aurait pas plus coûté à Dieu de faire cent personnes que d'en créer seulement une.
« Vous raisonnez selon vos principes, repris-je, et nous agissons suivant les nôtres; chacun approuve ses sentiments, tous ceux qui leur sont contraires le choquent. » «Il est vrai, reprit-il, que l'éducation a un grand ascendant sur notre esprit. Nos ancêtres se seraient fait sacrifier plutôt que de douter de l'excellence de leur origine. Le Soleil les avait engendrés, ils avaient été enfantés de la Terre. Aujourd'hui on enverrait aux mines celui qui voudrait sérieusement soutenir cette opinion. Ce que nous suçons avec le lait, nous le retenons; les premières leçons de nos précepteurs sont les plus fortes, elles jettent des racines profondes que les vents d'un sentiment contraire ont de la peine à ébranler. »
Mais voyant qu'il m'en parlait tous les jours plus sérieusement: «Se peut-il, monsieur, lui dis-je un jour à mon tour, que vous ignoriez que comme la diversité des saisons de l'année nous oblige à nous habiller différemment selon qu'il fait chaud, ou froid, les changements qui arrivent dans la société nous engagent à observer de différentes maximes? Autrefois, poursuivis-je, les cheveux longs étaient une marque de sujétion. Lorsqu'un esclave était affranchi, on lui rasait la tête, en signe de la liberté qu'on lui avait accordé: c'est à quoi l'apôtre fait allusion.
Ticho Brahé, qui semblait avoir parcouru les Cieux comme Christophe Colomb la Terre, assure que le Soleil est cent trente-neuf fois plus grand que le globe que nous habitons. Copernic soutient que ce nombre va jusqu'à cent soixante-deux. Ptolémée le fait de cent soixante-six. Le père Scheiner de quatre cent trente-quatre. Wendelinus de quatre mille nonante-six. Et un de mes régents le pousse jusqu'à trois millions de fois plus grand que la même Terre.
Lorsque je lui reprochai son changement de religion, et sa profession qu'il faisait de la foi mahométane, qu'il ne croyait pas, il me répondit qu'après avoir bien examiné toutes les différentes religions qui étaient venues à sa connaissance, il n'avait rien trouvé dans aucune qui pût satisfaire une personne raisonnable, et qu'ainsi il ne voyait rien qui dût empêcher un homme sage de se conformer, pour le moins extérieurement, à la religion dominante du pays où il demeure, tout de même comme on s'accommode aux habits, aux coutumes et aux manière d'un pays pour ne pas paraître ridicule par sa singularité. « Et puisque j'ai le moyen de m'attirer plus de confiance et de considération parmi les gens de ce pays-ci en me conformant à leur mode de religion, je serais bien fou, me dit-il, si je me privais de cet avantage par un sot attachement à une autre qui est cent fois plus absurde et impertinente que celle-ci.»