Dans l'album précédent, souvenez-vous, le n°33,
Uderzo a tué Astérix.
Je vais être dur. Dans cet album,
Uderzo, toujours en état de démence profonde, s'acharne sur le cadavre pour voir s'il donne encore des signes de vie. Il lui assène de violents coups de pied dans le ventre avec pour piètres résultats un peu de mousse et de vomi sortant de la bouche et l'éjection de gaz corporels nauséabonds indiquant que cette fois, c'est bien la fin. Cette remarque, hélas, est bien à prendre au sens littéral (voir page 53).
Dans un geste de folie qui stupéfia le monde de la BD et au-delà, le créateur a voulu dans le précédent album détruire sa créature (cf. ma critique).
Inconsciemment ou non, ce geste désespéré pouvait indiquer une volonté de mettre fin à des prolongements possibles. de sinistre mémoire, le 33ème album de la série, avait sonné le glas et démontré, pensait-on, non seulement la fin du talent d'
Uderzo mais aussi la fin définitive de l'aventure.
Eh bien non,
Uderzo pouvait faire encore pire, sortir son « nouvel » ultime album, le n°34, résultat au choix : d'un égo surdimensionné l'empêchant de déposer les armes, d'une volonté d'exister encore, du besoin de racler encore une fois les fonds de tiroir pour recycler des vieux trucs, comme il l'avait déjà fait pour l'album n°32 célébrant l'anniversaire des 35 ans, d'une vengeance envers ses lecteurs après les mauvaises critiques du précédent album, d'ajouter un tome de plus à la collection après quatre ans d'absence et de silence, de réaliser une opération de revalorisation lucrative et à moindre coût… Plus probablement pour toutes ces raisons à la fois. Rien ne l'arrête,
Uderzo, via Les Éditions
Albert René, est son propre éditeur.
Cet album fête donc cette fois l'anniversaire des 50 ans de la série (1959-2009), et il se présente fallacieusement comme une histoire complète et originale (contrairement au n°32, clairement découpé en scénettes compilant des productions anciennes, avec un mode opératoire assumé).
Fallacieusement, car il s'agit en réalité d'un album fourre-tout comportant de nombreux emprunts aux albums précédents, hypocritement recyclés, dans une histoire par ailleurs très largement artificielle et cousue de fil blanc, qui enchaîne des sujets distincts et juxtaposés sollicitant différents narrateurs.
Parmi les narrateurs mis à contribution, tous aussi improbables les uns que les autres, se succèdent : Mme Agecanonix, le facteur Pneumatix, Agecanonix, le Phénicien Epidemaïs, Assurancetourix, Falbala, Bonemine, Zaza, l'architecte romain Anglaigus, le druide belge Septantesix, le comédien Éléonoradus, le devin Prolix…
Les sujets à la gloire d'Astérix et Obélix sont « encyclopédiques » (parfois jusque dans leur format, notamment le Guide Coquelus des Voyages, de la page 18 à la page 25, recyclant un ancien texte de Goscinny). La succession de narrateurs qui enchaînent leurs discours constitue l'unique trame du scénario. Nous avons ici la preuve qu'
Uderzo, s'il l'a été un jour, n'est plus un véritable scénariste. Reste les illustrations, qui abondent, et qui relèguent finalement
Uderzo à son rôle de simple illustrateur.
Ce n'est donc pas un véritable album concernant une nouvelle aventure d'Astérix, on l'a bien compris. le malentendu aurait pu être évité en ne le numérotant pas à la suite des autres, mais en le qualifiant d'album « hors-série », ce qui n'a pas été fait. le but de la manoeuvre est manifestement d'obliger les collectionneurs qui souhaitent obtenir la série complète à se procurer l'album, il est donc finalement plus commercial qu'artistique.
Cette idée admise, et les artifices évacués, que reste-t-il ? Quelques bonnes illustrations pastichant des sculptures, tableaux ou photographies célèbres, dont la plupart n'auraient pas été réalisées par
Uderzo lui-même, mais sous-traitées à des assistants.
Parmi les détournements rencontrés, citons à titre d'exemple : Obélix représenté en Homme de Vitruve (page 17) ; les pochettes des partitions d'Assurancetourix qui suggèrent trois célèbres pochettes de disques : Abbey Road, One Step Beyond et Thriller (page 26) ; Falbala représentée en Joconde (page 30), les photographies des studios Art Court Lutèce (page 35) ; Obélix en Penseur de Rodin (page 42) ; une Liberté guidant le peuple, mettant en scène Bonemine (page 42) ; une "compression" de César, une "accumulation" d'Arman et des affiches Pop Art d'
Andy Warhol (page 44) ; le Cri de Baba (page 45) ; un "emballage" de Christo (page 46) ; Goudurix le désespéré (page 46) ; Astérix reconstruit façon Arcimboldo (page 47) ; Cléopâtre en Olympia (page 48) et Jules César franchissant le Grand-Saint-Bernard (page 49).
Un début assez accrocheur de quatre pages, met en scène les personnages de la série vieillis de 50 ans, comme dans un ultime épilogue. Pourquoi pas ?
Uderzo tenait là un bon sujet, mais il l'achève très vite, en se mettant en scène lui-même, en personnage contemporain, au milieu de ses « créatures » en colère contre lui. Sacrilège totalement hors sujet dans un album classique.
Ces belles idées auraient mérité, une fois encore, d'être formalisées dans un « hors-série » digne de ce nom, l'ensemble ne s'intégrant aucunement dans un scénario crédible.
Encore moins crédible le rassemblement d'une foule de personnages rencontrés tous azimuts dans les précédents albums et qui convergent vers la scène finale, qui brille par l'absence du traditionnel banquet. On y trouve pêle-mêle les invités les plus improbables qui soient : Jules césar, Cléopâtre, des Romains, des Pirates, des habitants venus des quatre coins du monde, il ne manque que le chef amérindien de la Grande Traversée, on a sans doute oublié de lui envoyer une invitation…
Restons-en là, il ne s'agit pas d'écrire une critique trop longue, même s'il y a encore beaucoup à dire sur les déceptions cumulées à la lecture de cet album. Terminons par le dernier doigt d'honneur que fait
Uderzo à ses lecteurs. Sa dernière pitrerie d'artiste.
L'album de termine en effet par un dernier gag, une série de pets malodorants indisposant la divine Cléopâtre qui accuse à tort Jules César (page 53). Je n'en croyais pas mes narines ! Rien ne nous aura donc été épargné ! Cet album totalement affligeant, peut-être le pire qu'ait pu produire
Uderzo dans sa carrière, semble sortir tout droit de la colère revancharde d'un vieillard indigne, sentant sa fin proche.