Impossible de résumer un tel livre, excitant et labyrinthique en diable, jouissif et délicieusement inconfortable, car il bouscule pas mal de certitudes, susurre des correspondances, les dénoue, enchevêtre à nouveau… « Mais la vie est ainsi. Un immense parcours de mots croisés, fléchés, que l'on peut emmêler à loisir dans un sens ou un autre » … Et puis, ne serait-ce pas courir le risque d'être trop « masculin » que d'essayer d'expliquer cet ovni littéraire ?
De quoi est-on sûr(e) ? L'auteure parle d'un homme écrivant sous le nom d'une femme… Il s'appelle Gabriel, soit Gaby, ô Gaby (oui, je me permets de bashunguer, car le roman regorge de références culturelles pop)… Gaby, diminutif androgyne, qui se voit en « pastiche d'homme »« femme à l'envers », « anonyme du sexe défait »… avec sa drôle de particularité physique sous la ceinture. « Un ange avec un sexe hors norme. Amoureux d'une icône et libre. ». Libre, pas sûr(e), il est un peu paumé Gaby, très lucide et très décousu à la fois. De son désœuvrement, il veut faire une œuvre car c'est un « homme de lettres » - et on doit le croire car il le clame sans cesse ! -, connecté aux réalités virtuelles, virtuellement déconnecté des sentiments réels. C'est tout son être qui se brouille, toutes ses frontières intérieures qui explosent, féminin-masculin, conscience-subconscient, imagination-réel… le style de Céline Vay est triturant et addictif, son rythme changeant déroute, perturbe, aucune page n'est prévisible, tout comme le héros pas si in. Prose ludique, parfois mutine, crue, cruelle même, parfois ça gicle, ça règle des compte, et on se cogne contre ce texte à tiroirs, on se perd, s'éprend, se reprend, et l'on replonge dans la mise en abîme, le roman dans le roman, on croit ces personnages qui se font leur cinéma, de chausse-trappes en chaussures à talon, d'existences usées en usurpations d'identités… certaines scènes virent au surréalisme. Deux personnages n'en font qu'un tandis que celui/celle-là est dual(e). Aucun(e) n'est vraiment cernable, invitant pourtant à s'identifier à lui/elle.
Au bout du compte, le roman traduit parfaitement l'atomisation d'une société où règnent les fantasmagories numériques. Exister par des clics n'évite pas de prendre des claques. Ce roman des tréfonds psychologiques révèle ainsi un fond social, film d'une époque où chacun(e) aimerait « regarder du côté des étoiles autrement que sur Amazon ».
Le livre terminé, on n'en a pas fini avec lui ; on ne sort pas indemne de cette expérience de lecture. Il a semé le trouble et les questions fourmillent : existe-t-il une écriture féminine ? Y a-t-il une psychologie masculine ? Je ne sais pas. Je ne sais plus… Et c'est très bien ainsi.
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Je porte la main à ma tempe, esquisse le geste de me tirer une balle dans la tête, me ravise, on ne sait jamais, le coup pourrait partir.
Je corrige son orthographe, elle corrige mon manque de connaissance de l’immensité psychologique de la femme.
Elle votait consciencieusement à chaque élection, sans être capable de dire pourquoi. Elle savait juste qu’elle appartenait à un groupe d’individus très prisé, l’électorat.
Les mots pour plaquer un type comme moi se cherchent, se réfléchissent. Je suis un homme de lettres.
Mais la vie est ainsi. Un immense parcours de mots croisés, fléchés, que l’on peut emmêler à loisir dans un sens ou un autre.